REPORTAGE – En grève depuis le 10 décembre, des internes des CHU de Grenoble, Chambéry et Annecy ont manifesté vendredi 13 décembre dans l’après-midi. Ils réclament l’amélioration de leurs conditions de travail, face à l’épuisement bien présent. Et pointent les faiblesses de leur formation, faute de personnels encadrants en nombre suffisant.
« La dernière grève d’internes datait de 2002 », rappelle Baptiste Caylar, représentant local de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Ce vendredi 13 décembre, sur 370 internes au CHU Grenoble Alpes, ils étaient 198 à avoir cessé le travail. Une grève qui dure depuis le 10 décembre.
Les internes des CHU de Grenoble, de Chambéry et d’Annecy ont manifesté en centre-ville pour réclamer l’amélioration de leur statut et de leurs conditions de travail. Le cortège est parti du CHU Michallon pour se terminer à l’hôtel de ville, en passant par la préfecture.
« Des internes souvent obligés de gérer les patients eux-mêmes »
Passage obligé des études de médecine, l’internat peut durer de trois à cinq ans et consiste en des stages de six mois en centre hospitalier. Le futur praticien reste donc sous la responsabilité d’un médecin “senior”… du moins en théorie.
« Lors de mon dernier stage en internat, à Thonon-les-Bains, c’était fréquent qu’un des internes se retrouve sans son médecin de référence, raconte Iris, interne en médecine générale. On devait donc gérer les patients nous-mêmes, et aller systématiquement voir l’un des autres médecins pour qu’il valide nos décisions, alors qu’ils avaient évidemment bien autre chose à faire ! » Une situation malheureusement très commune.
« J’étais de plus en plus épuisée »
Les médecins en formation assument donc de lourdes responsabilités, lors de journées longues et éprouvantes. Mais une telle organisation peut avoir des conséquences très graves.
« J’étais de plus en plus épuisée, se souvient Iris. Et sur une garde, un soir, un patient est arrivé avec un problème aigu à l’intestin. On manque aussi de personnel de radiologie, alors quand on appelle le radiologue la nuit, on a la pression de se demander si ça vaut le coup, sachant qu’il va enchaîner sur sa journée derrière… On s’est donc dit que ça pouvait attendre », précise l’interne.
« Le lendemain, à 8 heures, on a diagnostiqué au patient une occlusion intestinale. Le chirurgien qui a opéré nous a appelés en nous disant que c’était n’importe quoi, qu’il aurait dû être pris en charge plus tôt, en urgence. Il avait raison. » Après l’incident, la jeune femme décide de se mettre en arrêt maladie. « Au final, on maltraite les patients. »
Formation au rabais
L’Isni dénonce par ailleurs un manque de formation lors des stages d’internat, ceux-ci étant plutôt utilisés pour combler les manques de personnel au sein des hôpitaux : « Et, dans tout ça, on doit combler les trous // alors qu’on veut se former jusqu’au bout », ont chanté les internes sur une reprise des Rois du Monde, ce vendredi après-midi.
Les internes grenoblois ne lâchent rien ! @ISNItwit #grevedesinternes pic.twitter.com/7P7QknAFhg
— Internes Grenoblois (@InternesG) December 13, 2019
« Clairement, à Thonon, je n’ai rien appris », tranche Iris. Un constat que partage Alex, interne à Grenoble en neurologie. « Moi, je passe mon temps à faire de la paperasse. J’ai la sensation d’être perdu… On n’a pas d’assistante sociale, la cadre de santé est en arrêt maladie, alors je dois gérer les entrées, les sorties, les familles, trouver un centre de rééducation… » Autant de situations au cours desquelles Alex ne complète pas sa formation. « Pendant tout ce temps-là, je ne lis pas de résultats d’examen, je ne lis pas de livres. »
L’Isni pointe également du doigt l’épuisement de nombre d’internes. « Depuis novembre, je n’ai pas fait une seule semaine de moins de 80 heures », témoigne Alex.
Et ce, alors que les médecins en formation sont payés pour 48 heures hebdomadaires sans comptabilisation d’heures supplémentaires.
Un rythme qui peut émousser la vocation des plus motivés. « Quand je rentre le soir, je suis dégoûté de mes journées. »
« Beaucoup d’internes se retrouvent assignés. Ça ne devrait pas être le cas »
L’Isni avait déposé un préavis de grève illimitée à partir du 10 décembre. 60 % des 27 000 internes ont suivi le mouvement en France. « C’est une profession qui est censée pouvoir se mobiliser parce qu’on est étudiants, explique Baptiste Caylar, mais malheureusement beaucoup d’internes se retrouvent assignés. Ça ne devrait normalement pas être le cas. »
Au CHU de Grenoble, selon le syndicaliste, quatre internes étaient aujourd’hui assignés. Un aveu de faiblesse qui prouve la nécessité de faire travailler les jeunes gens en formation pour assurer le fonctionnement normal des hôpitaux.
Une délégation d’internes a rencontré dans la foulée le maire Eric Piolle, également président du conseil de surveillance du CHU. « On veut l’alerter sur ce qui se passe », indique Baptiste Caylar. Eric Piolle a accepté à la suite de cet entretien de faire part de la situation lors du prochain conseil de surveillance. Une autre mobilisation est d’ores et déjà prévue mardi prochain.
Raphaëlle Denis