TRIBUNE LIBRE – Pascal Clérotte, porte-parole du Groupe d’analyse métropolitain (Gam) qui, depuis 2013, se penche sur les décisions et comptes des collectivités locales de l’agglomération grenobloise, dénonce cette fois les procédés utilisés par certains candidats ou listes de candidats en cette période de campagne des municipales. En particulier les promesses faites à des intermédiaires dans les “quartiers”, perçus comme des “leaders” locaux susceptibles de mobiliser des votes. Des procédés qui s’apparentent à du clientélisme.
Vous l’aurez tous compris, la campagne des municipales a belle et bien débuté, même si ce n’est pas le cas de la campagne officielle.
Les périodes électorales étant des moments particuliers dans la vie de notre démocratie et une élections étant un objet particulier, tout cela est régulé par un corpus juridique particulier, le code électoral.
Car oui, les périodes électorales où plusieurs candidats ou listes de candidats sont en concurrence pour l’accès au pouvoir politique sont paroxystiques et, dans certains cas, peuvent mener à des conflits civils graves. C’est pour cela que les élections sont régulées et que les candidats comme les citoyens ne peuvent pas faire tout et n’importe quoi. En clair, ce n’est pas “open bar”.
Le code électoral prévoit des dispositions pénales sanctionnant les infractions – délits et crimes – qui pourraient être commises dans ce contexte particulier. Ces infractions sont également listées comme des exceptions à l’article 85 du code procédure pénale qui permet à tout citoyen d’enclencher l’action publique – c’est-à-dire l’ouverture d’une information judiciaire et la désignation d’un juge d’instruction – sans condition préalable de recevabilité par saisine du doyen des juges d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile.
Nous allons tout de suite planter le décor : la corruption électorale conduit mécaniquement à un exercice du pouvoir et à une gestion de la chose publique corrompus.
Propagation de fausses nouvelles et clientélisme sont des infractions
Notre législation est suffisante pour prévenir et éviter cela. Sauf qu’elle n’est pas toujours appliquée. Certaines de ces infractions sont très intéressantes à considérer. Voyez un peu :
- La propagation de fausses nouvelles est punie d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende (article L97 du code électoral)
- Le clientélisme est puni de deux ans de prison et de 15 000 euros d’amende (Article L106 du code électoral)
Ce dernier article, le L106, est particulièrement intéressant : « Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d’emplois publics ou privés ou d’autres avantages particuliers, faits en vue d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d’obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l’entremise d’un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d’entre eux à s’abstenir, sera puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros. Seront punis des mêmes peines ceux qui auront agréé ou sollicité les mêmes dons, libéralités ou promesses. »
Il signifie qu’un candidat qui proposerait un « quid pro quo » – un ceci pour un ou plusieurs votes – commenterait alors un délit. Remarquez que c’est bien un « quid pro quo » qui a déclenché, dans un contexte électoral, l’enquête formelle de destitution de Donald Trump engagée par la chambre des représentants. C’est l’apanage des démocraties de sanctionner tout ceux qui subvertiraient par quelque moyen que ce soit des élections libres et transparentes.
« On ne peut pas promettre tout et n’importe quoi à n’importe qui »
En clair, en ce qui concerne les élections municipales et métropolitaines à venir :
Un candidat peut dire : « Je propose si je suis élu de remettre des services publics dans les quartiers qui n’en n’ont plus ou pas suffisamment et d’ouvrir x places de crèches. »
Un candidat ne peut pas dire : « Si je suis élu, je promets de réserver la commande publique aux entreprises locales, de réserver les emplois municipaux de renforts aux habitants de tel quartier ou aux bénéficiaire du CCAS, d’autoriser la construction de lieux de culte etc.
On ne peut pas promettre tout et n’importe quoi à n’importe qui et il est dans les faits délictueux de faire des promesses catégorielles lors d’élections municipales, les promesses faites valant pour l’ensemble de la collectivité. Une fois aux manettes, il faut livrer et les promesses déçues peuvent provoquer au mieux de la colère, au pire des incendies en série.
Tous les candidats déclarés écument « les quartiers ». Les retours que nous avons du « terrain » sont inquiétants. Les discours tenus par tous les candidats, toutes chapelles confondues, se résument à : ce n’est pas de votre faute, vous êtes des victimes, vous êtes discriminés, nous allons vous sauver, et si vous votez pour nous, alors nous vous donnerons [mettez ici ce que vous souhaitez].
Les promesses concrètes faites le sont à des « intermédiaires » perçus comme des « leaders » locaux susceptibles de mobiliser des votes : « grands frères », présidents de lieux de culte, d’associations “culturelles”, sportives etc.
« Celui qui se pose en client a l’assurance d’être déçu »
Nous disons aux habitants de ces quartiers qu’on les prend pour des buses, qu’on les chosifie par un mécanisme à double détente. Ni les candidats, ni les “leaders” locaux n’ont intérêt à ce que la situation change car :
C’est la promesse de mobiliser des moyens publics pour telle ou telle catégorie qui génère certains votes au seins de ces catégories et donc l’arrivée ou le maintien au pouvoir de tel ou tel candidat. C’est la capacité des leaders locaux à obtenir ces promesses de moyens publics qui justifie leur situation de pouvoir local.
Pour que ce système se perpétue, il faut que rien ne change. Il faut que les “leaders” locaux puissent continuer à “monnayer” leur entremise, que les candidats puissent continuer à les “acheter” en promettant des moyens publics et que les habitants – électeurs soient maintenus en état de dépendance de ces moyens publics. Sans client, pas de clientélisme possible.
Celui qui se pose en client a l’assurance d’être déçu, puisque celui qui promet, une fois au pouvoir, aura toute la latitude de choisir six ans durant, de tenir ses promesses ou pas. Celui qui se pose en client perd à tous les coups, parce que son utilité ne tient qu’à son vote : une fois ce vote donné, le client n’existe plus et n’a plus aucune valeur. Jusqu’à la prochaine élection.
Vous voulez savoir pourquoi rien ne change dans les “quartiers” ?
Nous venons de vous en exposer la principale raison.
Pascal Clérotte
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