FOCUS – Une étude commandée par Grenoble-Alpes Métropole propose un état des lieux de la consommation de drogue chez les jeunes de l’agglomération grenobloise. Face à la banalisation de l’achat et de la consommation de stupéfiants, la Métro table sur un plan d’action en lien avec les communes de son territoire. Tandis que des voix au sein de sa majorité, dont celle du maire Éric Piolle, prônent au niveau national une légalisation contrôlée du cannabis.
Quels sont les modes de consommation de drogues de la jeunesse métropolitaine ? Tel est l’objet d’une étude réalisée par le cabinet Eneis pour le compte de Grenoble-Alpes Métropole. Sur la base de 1300 questionnaires remplis par des lycéens, auxquels s’ajoutent une centaine d’entretiens avec des usagers dans des quartiers définis, l’étude livre ainsi un portrait saisissant des habitudes de consommation des jeunes.
L’étude s’appuie (notamment) sur 1300 questionnaires remplis par des lycéens de l’agglomération © Chloé Ponset – Place Gre’net
Pourquoi un tel document ? « Le pouvoir de police est resté dans les communes. Mais la prévention de la délinquance et la santé sont des axes du contrat de ville, dont la Métropole est chef de file », explique Suzanne Dathe. C’est donc sous l’angle préventif que la conseillère métropolitaine en charge des dispositifs contractuels et à la prévention de la délinquance s’est “invitée” dans la question des stupéfiants.
Drogue : le cannabis banalisé… mais pas que selon l’étude
Au-delà des compétences, des élus métropolitains se sont en effet alarmés de la question de la présence de drogue sur leur territoire. Inutile de posséder un sixième sens pour repérer les revendeurs dans le quartier Très-Cloîtres ou près du parc Saint-Bruno. Ou encore reconnaître l’odeur d’un joint d’herbe ou de cannabis dans la rue. « La consommation et le trafic est quelque chose en augmentation, et de plus en plus visible », résume Suzanne Dathe.
L’étude révèle en effet une banalisation certaine de la consommation de drogues. Sans surprise, le cannabis demeure la substance la plus consommée, et de loin la plus banalisée par les jeunes. Près de 40 % des 1300 lycéens interrogés déclarent avoir déjà consommé du cannabis. Avec, comme de coutume, une proportion plus élevée chez les garçons que chez les filles. La classe sociale ou l’origine géographique des jeunes ne font en revanche guère de différences.
Il n’en va pas de même pour d’autres drogues. Ainsi, note l’étude, des produits comme la cocaïne, la MDMA, l’ecstasy ou même les champignons hallucinogènes se banalisent dans les classes sociales supérieures. Mais continuent à avoir une représentation négative dans les milieux plus modestes. Plus que le coût parfois modeste des produits, c’est bien « le type de soirées et d’événements festifs » qui crée la différence de perception.
Conséquences sanitaires… et sociétales du trafic de drogue
Les conséquences de la banalisation ? Les jeunes n’ont pas conscience de la dangerosité potentielle des produits pour leur santé. Et plus encore pour des consommateurs âgés parfois de moins de 16 ans, en plein développement physique et mental. « Le risque santé ne fait pas partie des freins à la consommation ou très rarement », note l’étude. Et les usagers créent souvent un parallèle avec le tabac et l’alcool, substances aussi légales… que dangereuses.
La cité Mistral de Grenoble, l’un des (nombreux) points de vente de drogues en tout genre sur l’agglomération grenobloise © Jules Peyron – Place Gre’net
Mais les conséquences sont aussi sociétales. « Il faut rappeler aux gens que consommer de la drogue sur la voie publique, ce n’est pas bien ! », insiste Suzanne Dathe. Sans parler des lieux de trafic et des désagréments qu’ils entraînent pour des quartiers entiers. « Les jeunes ne sont pas conscients que quand ils achètent à l’Alma ou à Mistral, cela contribue à mettre les gens qui habitent là dans des situations inconfortables », ajoute-t-elle.
Difficile pourtant de ne pas banaliser les produits quand les points de vente sont visibles et connus de tous. « On constate une absence de peur parmi les jeunes pour aller acheter des produits », écrit l’étude. Le sentiment de sécurité est d’autant plus fort quand les dealers lancent via Snapchat de véritables opérations commerciales. En 2018, relevait le site RapRNB, les revendeurs de Mistral offraient ainsi l’album du rappeur Rohff pour tout achat de 10 grammes de cannabis !
Pour autant, relativise l’étude, l’acte d’achat de drogue dans la rue n’est pas toujours perçu comme naturel, ou parfaitement sécure. Fait marquant : les filles s’approvisionnent ainsi surtout auprès de leurs amis masculins, « par opportunité ». Certaines zones de deal sont également frappées d’une très mauvaise réputation. Ainsi, les jeunes métropolitains déclarent éviter le Square des fusillés, associé à des violences. Vite, une campagne promotionnelle sur Snapchat ?
Un plan d’action de la Métro en lien avec les communes
Que faire au final des conclusions de l’étude ? « Nous n’avons pas commandé une étude quantitative. Nous voulions du qualitatif, et un certain nombre d’idées en sont ressorties », explique Suzanne Dathe. Problème : la Métropole n’a pas plus la compétence de police que celle de la jeunesse. « Nous n’avons pas la main sur ce qu’il se passe dans les collèges et les lycées… mais nous avons quand même prévu un plan d’action ! », confie la conseillère.
Suzanne Dathe, conseillère métropolitaine déléguée à la prévention de la délinquance © La Métro
Les détails du plan en question ? En premier lieu, « soutenir les actions portées par les CCAS ou les Maisons des habitants des communes », explique Suzanne Dathe. Un soutien qui n’est « pas encore défini », mais serait avant logistique. À travers des mises en relation, des communications autour des rendez-vous, ou autres.
Ensuite, la Métro et la Ville de Grenoble annoncent le co-financement de maraudes et « d’aller-vers », assurés par quatre associations de l’agglomération. Des associations qui se rendront sur l’espace public ou dans des lieux festifs pour sensibiliser sur la consommation de drogues. Mais aussi pour réaliser des tests chimiques sur les produits en possession des jeunes. « Il n’y a pas de normes qualité dessus », s’inquiète Suzanne Dathe.
La bonne « posture » face aux revendeurs ?
Troisième piste : soutenir des formations pour les techniciens de la commune. Mais aussi auprès des acteurs qui interviennent dans les quartiers politique de la ville, fortement touchés par la question. « Ça peut être des associations, des bailleurs, des éducateurs jeunesse ou sportifs », détaille la conseillère métropolitaine. Grenoble et Fontaine se disent déjà prêtes à accueillir ces moments de formation.
Le trafic de drogues mène parfois à des opérations de police et des coups de filet conséquents. Le 30 avril en centre-ville de Grenoble, 13 kilos de cannabis et un fusil d’assaut ont été saisis © Image France 3 Alpes.
Se former à quoi ? Pour Suzanne Dathe, l’enjeu est d’apprendre aux personnes un « savoir être »… face au trafic et aux revendeurs de drogue. « Pour les techniciens, c’est savoir jusqu’où ils peuvent aller, ce qu’ils peuvent faire, quelles sont les bonnes habitudes, ce qu’il faut éviter ». En somme, « équiper d’outils pédagogiques » les agents municipaux et métropolitains, « pour aborder sereinement ces points-là et travailler différemment ».
Une demande qui émane des agents eux-mêmes, assure Suzanne Dathe. Quitte à renforcer l’impression de zones de non-droit sur certains points de vente ? Il est vrai qu’en décembre 2017, pour n’avoir pas adapté leur « posture » face aux dealeurs de leur quartier, des mères de famille d’Échirolles avaient été agressées par les revendeurs. Résultat : six hommes condamnés en juin 2018, comme le rapportait alors France 3.
« Les dealeurs n’ont pas de contrat de travail »
Cette volonté d’adaptation résonne-t-elle avec les prises de position d’Éric Piolle sur la légalisation du cannabis, à ses yeux nécessaires ? Le maire de Grenoble a plusieurs fois remis le sujet sur la table. Et n’a pas manqué de le faire une nouvelle fois, à l’occasion de son passage dans l’émission On n’est pas couché, le samedi 19 octobre. « Un regard très politique », a déclaré le maire de Grenoble en prônant une légalisation contrôlée.
Le maire de Grenoble Éric Piolle a rappelé à de nombreuses occasions être en faveur de la légalisation du cannabis © Joël Kermabon – Place Gre’net
Sans surprise, Suzanne Dathe partage ce point de vue : la conseillère métropolitaine est également… conseillère municipale de la majorité grenobloise. « D’autres pays l’ont déjà fait, et on ne peut pas dire que la consommation ait augmenté ou diminué », estime-t-elle. Non sans mettre en avant l’intérêt fiscal d’une telle mesure. Selon une étude notamment citée par Le Figaro, la vente seule de cannabis représente un milliard d’euros en France tous les ans.
Peut-être plus surréaliste, Suzanne Dathe voit aussi dans la légalisation une manière d’améliorer… les conditions de travail des dealeurs. « Ces gens qui travaillent dans les quartiers n’ont pas de contrat de travail, ils ne cotisent pas à la retraite, ils ne cotisent pas à l’Urssaf, ils n’ont pas les 35 heures, ils n’ont pas de congés payés… », énumère la conseillère métropolitaine. Avant de conclure : « Ce sont quasiment des esclaves ! »