PORTRAIT – Graphiste et illustrateur grenoblois exigeant, Gwenaël Manac’h défend l’idée d’une bande dessinée utile et engagée qui incite plus à la réflexion qu’à la distraction. Son ambition : faire réagir sans nécessairement provoquer.
Facile de le trouver dans la foule lors de la présentation de son travail au centre de gérontologie du CHU d’Échirolles : son mètre quatre-vingt-dix dépassé révèle immédiatement sa présence. En dehors de cette particularité physique, Gwenaël Manac’h est plutôt du genre discret.
En cette journée d’été, il est venu expliquer comment s’est passée sa résidence dans cet établissement hospitalier pour personnes âgées. En lien avec le service culturel du CHU et l’association Médiarts (cf. encadré), il a commencé un mois plus tôt avec les résidents un travail d’expression par la peinture sur le thème des Moaï, ces fameuses statues géantes de l’Île de Pâques.
Frédérique Ryboloviecz de Médiarts présente le travail de Gwenaël Manac’h. © Richard Collier – placegrenet.fr
Il explique doucement sa démarche et l’on perçoit, à l’attention de l’assistance, aux remerciements et aux applaudissements sincères, que le courant est passé et qu’il a su mener à bien son projet : il a progressivement réussi à mettre les gens en confiance et à les convaincre de sa démarche.
« Au début, je pensais que vous nous faisiez faire n’importe quoi. Et puis, ensuite, je vous ai suivi », lui confie une résidente, micro à la main. Gwenaël Manac’h sourit, appréciant visiblement la franchise et mesurant le résultat de ses efforts.
« Cela me permet de sortir de ma zone de confort »
Ce travail s’inscrit pleinement dans son parcours artistique. Des résidences d’artiste, il en avait fait auparavant, mais jamais avec des personnes âgées. « Cela me permet de sortir de ma zone de confort, de remettre en question mes préjugés. Je ne vais pas pour autant transformer cette expérience en BD. »
Gwenaël Manac’h lors de son atelier avec les résidents du Centre de gérontologie Sud. © CHU Grenoble – Service communication
Cela nourrira probablement son goût d’une certaine confrontation polie. Car l’homme plie mais ne rompt pas, bien attaché à ses valeurs. Revendiquant une démarche basée sur le surréalisme et le symbolique – d’où son choix de traiter des Moaï durant cette résidence – il cite comme repères graphiques des auteurs à forte identité visuelle tels que le français Moebius et l’australien Shaun Tan.
Formé à Liège en Belgique dans une école de graphisme, Gwenaël Manac’h semble avoir exploré plusieurs univers, passant de l’illustration pour jeux vidéo au récit journalistique. Une publication dans La Revue XXI, une autre dans Politis… Le tout pour aboutir à une première BD à 29 ans, La Cendre et le Trognon, publiée début 2019 aux Éditions 6 pieds sous Terre. Un roman graphique aux allures d’interrogation sur des itinéraires de vie.
Des personnages y prennent vie en quelques traits dans un décor tout en nuances de gris. Et nous voici plongés dans l’histoire, imprégnés par une ambiance, un climat social particulier.
Cette première œuvre saluée par la critique a révélé le talent de raconteur et d’illustrateur de Gwenaël Manac’h. Un auteur qui sait vous faire entrer dans son univers. Ce par petites touches, sans forcer le trait ou s’embourber dans des explications. Avec le don de mettre en place une atmosphère où les préjugés vont tomber.
Richard Collier
L’hôpital comme lieu de rencontre avec des artistes
La résidence de Gwenaël Manac’h au centre de gérontologie du CHU de Grenoble s’inscrit dans le cadre d’une programmation mise en place par le service des affaires culturelles du CHU.
Un résident de centre de gérontologie montre un portrait de lui fait par Gwenaël Manac’h. © Richard Collier – placegrenet.fr
Elle résulte d’une collaboration avec l’association Médiarts. Comme les autres actions de ce type, elle répond à des appels à projets financés par le conseil départemental de l’Isère, le ministère de la Santé, le ministère de la Culture et la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
« Notre objectif est de faire percevoir l’hôpital autrement. Cela peut être aussi un lieu de rencontre avec des artistes. Nous souhaitons impliquer le personnel soignant et les patients, mais aussi les familles de ces derniers » explique Sylvie Bretagnon, chargée des affaires culturelles au CHU.
« Nous mettons en place de nombreux projets. Nous avons déjà travaillé avec Jean-Claude Gallotta et organisé un concert en collaboration avec Détours de Babel dans l’enceinte de l’hôpital. »
Concernant la résidence de Gwenaël Manac’h, le résultat semble aller au-delà des espérances : “Au début, il était prévu que les fresques peintes sur les vitres ne resteraient que durant l’été et, finalement, nous allons les prolonger jusqu’à Noël. »