DÉCRYPTAGE – La prise de position du Planning familial de l’Isère, qui annonce soutenir les actions pro-burqinis de l’Alliance citoyenne, n’a pas été sans susciter de virulentes réactions de la part des opposants au maillot de bain religieux dans les piscines municipales. Jusqu’à celle de la rédaction de Charlie-Hebdo, pour qui l’association « abandonne les femmes aux injonctions patriarcales religieuses ». Dernier épisode en date : le lancement de Laï’Cité, collectif transpartisan pour un féminisme universaliste.
« La question du maillot de bain et la polémique médiatique montrent bien la double oppression que subissent les femmes musulmanes du fait d’islamophobie et du contrôle patriarcal sur les corps. » Ainsi s’exprime le Planning familial de l’Isère dans un communiqué en date du jeudi 11 juillet, afin de faire connaître sa position sur la polémique autour des opérations burqini (ou burkini) organisées par l’Alliance citoyenne dans deux piscines municipales de Grenoble.
Rappelant que « la loi de 1905 [sur la séparation de l’Église et de l’État, ndlr] n’instaure pas de police du vêtement », le Planning familial voit ainsi dans l’interdiction du burqini « une discrimination et une stigmatisation à l’encontre d’un groupe de personnes spécifique ». Tout en contestant le règlement des piscines municipales : « Le maillot couvrant ne pose pas de problème d’hygiène ni de sécurité », affirme ainsi l’association.
Le Planning familial contre « l’injonction à la standardisation »
Mais, pour le Planning familial, ce règlement pose problème de manière plus large. « Qu’on soit trans, intersexes, non-binaire, ou cisgenre, le règlement intérieur de la plupart des piscines françaises nous impose arbitrairement la forme du maillot en vigueur. Finalement, ce serait dans l’intérêt de toutes et tous de pouvoir porter son maillot de bain, selon ses choix, ses envies, son genre, son degré de pudeur », juge encore l’organisation féministe. Qui entend dénoncer « l’injonction à la standardisation ».
Le Planning familial revient par ailleurs sur une autre polémique, cette fois dans une piscine municipale d’Annecy, où une femme a « découvert » qu’il lui était interdit de s’y baigner seins nus. « Alors en bikini, en maillot couvrant ou seins nus… Ne serait-ce pas simplement nos corps qui finalement dérangent ? », s’interroge l’association. Et de lancer : « Vive la liberté en maillot de bain couvrant, maillot de bain une pièce, bikini, short, jupette, topless, peu importe ! »
Est-ce à dire que le Planning invite le maire de Grenoble à modifier le règlement des piscines de la ville pour y autoriser le burqini ? L’association ne formule pas d’injonction particulière. Mais annonce la création « d’espaces de dialogue sur l’ensemble du territoire […] pour que si les règlements devaient évoluer cela soit possible sereinement ». Les personnes invitées à participer ? « D’autres associations, et surtout les citoyen.n.es concerné.e.s ».
Des critiques de droite et de gauche
Pas dit que Stéphane Gemmani compte parmi les invités de ces « espaces de dialogue ». Le conseiller régional d’opposition n’a pas manqué, dès le début de la polémique, d’exprimer son opposition à une évolution du règlement des piscines municipales en faveur du burqini. Non sans reprocher au passage au maire de Grenoble Éric Piolle son temps de réaction. C’est peu dire aujourd’hui que la position du Planning familial le déçoit.
« Je ne m’attendais pas à ce que le planning familial, avec son histoire et ses combats historiques, puisse donner un tel crédit à une opération et l’action d’une association visant à hystériser le débat », déplore-t-il ainsi dans un message diffusé sur les réseaux sociaux. Avant de réaffirmer sa position : « Pour moi, c’est un non ferme et définitif. Et les responsables politiques que nous sommes, ne doivent pas avoir la main qui tremble ».
Le conseiller municipal d’opposition de Grenoble Matthieu Chamussy n’est pas plus tendre. « Quel aveuglement faut-il pour que les dirigeantes actuelles du Planning familial cautionnent l’action politique d’un islamisme qui, partout où il prospère, fait reculer les droits des femmes ! », fustige-t-il. Non sans rappeler les publications aux accents complotistes ou antisémites déterrées sur la page Facebook d’une figure des opérations burqini de Grenoble.
Côté opposition grenobloise de gauche, Marie-José Salat s’inquiétait dès le 10 juillet d’une rencontre entre l’Alliance citoyenne et le Planning familial de l’Isère, en relayant un billet signé du blogueur Naëm Bestandji. Une rencontre organisée au « centre social autogéré » du 38 rue d’Alembert à Grenoble, dans le cadre de rendez-vous « avec des structures qui seraient prêtes à porter la lutte (…) sur le temps long ».
Charlie-Hebdo s’invite dans le débat
Le débat sur le burqini a depuis longtemps dépassé le seul cadre local. Et la position du Planning familial de l’Isère le révèle une nouvelle fois, avec la réaction… de Charlie Hebdo.
Sur Facebook, l’hebdomadaire satirique aux positions vigoureusement anti-religions et anticléricales estime que l’association « abandonne ainsi les femmes aux injonctions patriarcales religieuses ». Avant de partager un ancien article titré : « Quand le Planning familial veut renoncer à la laïcité ».
Le soutien du Planning familial n’est cependant pas une première : les Jeunes insoumis et les jeunes NPA de l’Isère, ou encore les syndicats étudiants et lycéens Unef et UNL avaient fait connaître leur soutien à l’Alliance citoyenne en jugeant « injuste de demander aux femmes de renier leur religion pour accéder à un équipement municipal ». Un texte également signé par le « centre de santé communautaire » Village 2 santé d’Échirolles.
Une position vivement critiquée par Lutte ouvrière, pour qui « ces militants déroulent le tapis vert à l’extrême droite islamiste ». Tandis que, au milieu de l’afflux de réactions, le PCF Isère appelle au retour à la « sérénité » du débat. Et rejoint la position du maire de Grenoble pour demander à l’État de définir « une règle commune ». Tout en estimant que « le combat pour l’émancipation des femmes ne peut être l’otage d’instrumentalisations religieuses ou politiciennes ».
Florent Mathieu
Laï’Cité : un nouveau collectif pour un féminisme universaliste
Toutes et tous se sont dit « sidérés » par le communiqué de presse du Planning familial 38 renvoyant dos à dos le monokini et le burqini… et soutenant les actions de l’Alliance citoyenne. Plusieurs dizaines de responsables ou membres politiques locaux* viennent ainsi de lancer Laï’Cité, en réaction.
Ce « collectif transpartisan d’élu.es et militant.es engagé.es pour la promotion de l’universalisme dans les politiques publiques » a en effet vu le jour le 6 juillet dernier lors de la Fête de la Laïcité à Échirolles. Avec un objectif aux antipodes de la tendance actuelle dans plusieurs Planning familiaux, dont celui de l’Isère.
« Céline Deslattes […] utilise la laïcité pour renvoyer à l’État de légiférer sur le règlement intérieur des piscines », affirment les signataires dans un communiqué. « Le sujet ne relève pas tant de la laïcité que de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes et bien évidemment la conception du vivre-ensemble. »
« Une gifle magistrale à l’égard de celles qui ont fondé ce mouvement »
Et c’est peu dire que la position officielle du Planning familial les hérisse : « En cédant sur le principe de l’universel, le Planning familial 38 fait le jeu de l’ultra-libéralisme, et c’est une gifle magistrale à l’égard de celles qui ont fondé ce mouvement d’émancipation des femmes, de toutes les femmes. »
Premier acte fondateur de l’ensemble des membres de ce collectif : adhérer au Planning familial de l’Isère. Une façon de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais au contraire de soutenir ce mouvement en tentant de changer les choses de l’intérieur. Et ce alors même que des militantes opposées à l’intersectionnalité, prônée par Céline Deslattes notamment, ont fait part de leurs désaccords quant à cette évolution.
PT
* Parmi les signataires, Laetitia Rabih, adjointe PS à Échirolles, Véronique Sanchez, assistante sociale, et membre du PCF, Sophie Romera, conseillère municipale d’opposition La France insoumise, et présidente du groupe politique “Fontaine en commun”, Hakima Necib, ancienne élue Go Citoyenneté à Grenoble et membre de L’Observatoire isérois de la parité, Stéphane Gemmani, Naëm Bestandji, militant laïc et féministe, Patrice Voir, élu PCF à Grenoble, Sarah Boukaala, élue au Parti radical de gauche à Grenoble et à la Région Aura, Marie-José Salat, conseillère municipale PS à Grenoble, Brigitte Périllié, ancienne vice-présidente au conseil départemental de l’Isère, Antoinette Pirrello, élue d’opposition à Eybens, ou bien encore Maxime Gonzalez, ex-animateur fédéral de Génération.s Isère.
ELLES ONT DIT
Véronique Sanchez :
• « Le PF38 décide de privilégier une poignée de fanatiques en reprenant le langage des islamistes sur les droits civiques. En France, il n’y a pas de droits civiques en fonction des sexes et des religions […] Le modèle américain communautariste est en train de s’imposer – en particulier auprès des militantes plus jeunes – au détriment de notre modèle universaliste. »
• « La question n’est pas la laïcité [dans ces actions pro-burqini, ndlr], mais quel modèle de société nous voulons. »
• « Il ne faut pas oublier que si aucun homme ne prescrivait le voile, aucune femme ne le porterait. »
Lætitia Rabih :
• « Il y a une frilosité des responsables des partis face aux dérives communautaristes observées de partout sur le territoire. Et je le déplore. »
• « Nous ne sommes pas face à un débat sur la liberté de choix mais sur un débat sous-tendu par un fondamentalisme religieux. »
Hakima Necib :
• « Le positionnement du PF38 sème le trouble. Il privilégie aujourd’hui les injonctions religieuses à l’égalité femme-homme. »
Sophie Roméra :
• « L’espace public doit constituer un lieu d’émancipation. »
• « À La France insoumise, nous souhaitons réaffirmer que nous défendons un féminisme universel. Aucune femme ne doit être placée dans une position de soumission ou de sujétion. »