FOCUS – Le Musée de Grenoble expose les « Souvenirs de voyage » d’Antoine de Galbert, important collectionneur français d’art contemporain, du 27 avril au 28 juillet 2019. On est souvent ému, parfois secoué, rarement de marbre. Le parcours proposé, conçu par ce Grenoblois d'origine, nous en dit autant sur sa personnalité de collectionneur que sur notre nature de spectateur.
Le risque d’une telle exposition ? L’éparpillement. Que peuvent nous dire les pièces extraites de la collection d’un seul homme outre nous parler, en creux, de la personnalité dudit homme ?
Si l’exposition « Souvenirs de voyage », proposée par le Musée de Grenoble du 27 avril au 28 juillet 2019, révèle effectivement les préoccupations du collectionneur Antoine de Galbert, elle offre aussi au visiteur un véritable voyage au cœur de l’art contemporain.
Elle permet d’y dessiner des cheminements – orchestrés par le collectionneur lui-même, qui avait ici carte blanche –, dans plusieurs décennies d’un art qui vibre par bien des facettes. Lesquelles s’affichent dans des thématiques universelles regroupées par salles, numérotées de 1 à 17.
Le voyage du titre, on s’en doute, est métaphorique. Il s’agit de faire, au sein d’une collection réfléchie, un beau parcours qui, finalement, s’avère fort pédagogique. Et qui, parierait-on, pourrait désinhiber ceux qui trouveraient l’art tout court – Antoine de Galbert se méfie des adjectifs qui s’ensuivent tels que « moderne », « contemporain », « brut », « conceptuel » – un poil abscons. Visite.
L’humour d’abord
Salle une. Point de chichi. La collection, c’est aussi beaucoup d’emmerdes, comme l'affirme l’artiste-collectionneur Thibault de Gialluly sur sa toile « Collectionneur d’emmerdes ».
La messe est dite. Notre collectionneur se montre humble en se présentant lui-même à travers ces artistes-collectionneurs, dont il se sent proche.
Il y a de la trivialité à vouloir s’attacher des objets, fussent-ils de grandes œuvres. Le bric à brac de Ben (voir ci-contre) en est une bonne illustration ! L'artiste complète ainsi le propos : "J'ai une maladie : je n'aime pas jeter et je me suis trouvé une excuse culturelle pour entasser."
La dérision, on la retrouvera dans d’autres salles, non plus tournée vers l’acte de collectionner mais vers l’art lui-même. L’art conceptuel, qui n’a pas les préférences d’Antoine de Galbert, est montré par ce biais. La vidéo de Roman Signer, Punkt [Point], 2006, en offre un exemple amusant. L’artiste s’y montre face à une toile blanche. Un pétard explose derrière lui. Il sursaute et précipite la pointe de son pinceau sur la toile vierge. La peinture est née.
L’art des chairs
L’art n’est jamais plus touchant que quand il nous parle de l’humain sans cette autodérision qui le condamne à se mordre la queue. Et la collection d’Antoine de Galbert révèle cela avec force. L’homme n’est pas de ces cyniques qui condamnent dans un rire la vanité des arts. Il aime l’incarnation et la carnation. Alors, souvent, on réagit face aux œuvres de sa collection.
« Lorsque j’étais galeriste à Grenoble, une femme a observé cette photographie puis est sortie pour vomir dans le caniveau. J’étais ravi qu’une œuvre puisse faire tant d’effet. Je l’ai achetée ! » La photographie à laquelle Antoine de Galbert fait référence peut générer, c’est vrai, quelques hauts le cœur.
Dans Feast of Fools [La fête des fous], 1990, Joel-Peter Witkin réalise une composition aussi sophistiquée que répugnante. Dans le plus pur art de la nature morte, les fruits et autres poulpes côtoient des membres humains dans un savant clair-obscur. Génialement dérangeant.
L’art qui répare
L’art répare celui qui regarde. Éventuellement. Celui qui le pratique. Plus surement. On pense à cet autoportrait de Mari Katayama qui date de 2014. La jeune-femme, qui souffre d’une maladie congénitale, se montre sous les atours les plus sensuels sans escamoter son handicap mais en le sublimant, voire en l’érotisant. Dérangeant autant que sensuel.
Autre démarche : celle que l’on retrouve dans ce que Jean Dubuffet a nommé l’art brut. Dix pour cent de la collection d’Antoine de Galbert relève de cette forme d’art, produite par des individus pour lesquels l’art fonctionne comme une thérapie (pour le dire très vite !). Une salle lui est dédiée.
Dans une autre, consacrée aux architectures imaginaires, on trouve, notamment, la « Composition décorative » d’Augustin Lesage (voir ci-contre). Il signe là une forme d’architecture rêvée qui comble entièrement la toile et le regard. Ce mineur du Pas-de-Calais remplit de ses miniatures la toile immense.
Et puis tout le reste
L’art et la nature. Et le cosmos. L’art et la réflexion sur le genre, le transformisme. La violence. La politique. L’homme qui se dégrade lui-même. La dégénérescence. Et, en fin de compte, notre cœur qui bat, à l’unisson d’au moins l’un de ces artistes. Au sens propre sans doute, avec celui de Christian Boltanski. Lequel a enregistré les battements du sien dans cette installation toute simple intitulée « Le Cœur » (2005).
Au cœur du parcours, le rythme de ces battements nous approche d’une vérité toute simple sur l’art et sur nous-même. Notre fragilité. Sa permanence. Salle 17. C’est la fin du voyage. Qui fut plein de facéties, de heurts, de troubles et d’émerveillements. Merci.
Adèle Duminy