Le Rabbinat de Grenoble dénonce publi­que­ment un refus de divorce reli­gieux : une pre­mière en France

Le Rabbinat de Grenoble dénonce publi­que­ment un refus de divorce reli­gieux : une pre­mière en France

FOCUS – Le Rabbinat de Grenoble a publié sur sa page Facebook un com­mu­ni­qué dési­gnant nom­mé­ment l’un des membres de la com­mu­nauté juive gre­no­bloise. Coupable de refu­ser le guett, autre­ment dit le divorce reli­gieux, à son ex-épouse, l’homme s’est vu inter­dit de syna­gogue ou de par­ti­ci­pa­tion à des rituels. Une pra­tique de « naming and sha­ming » (nom­mer et faire honte) rela­ti­ve­ment cou­rante aux États-Unis ou en Israël, mais jus­qu’ici inédite en France.

L’initiative du Rabbinat de Grenoble n’est pas pas­sée inaper­çue, au sein de la com­mu­nauté juive de France et même au-delà. Le 23 mai 2018, le compte Facebook des deux rab­bins de Grenoble, Meïr Knafo et Nissim Sultan, affi­chait un mes­sage public pour dési­gner nom­mé­ment une per­sonne per­sis­tant à refu­ser, « mal­gré [des] efforts renou­ve­lés de dia­logue et en dépit [de] fermes recom­man­da­tions », le guett à son épouse.

Illustration Facebook de la page de Meïr Knafo et Nissim Sultan © Rabbinat de Grenoble

Illustration Facebook de la page de Meïr Knafo et Nissim Sultan © Rabbinat de Grenoble

Le guett ? Un acte de divorce reli­gieux pro­noncé par le mari à l’in­ten­tion de son épouse, selon les règles de la loi juive édic­tée par la Torah. Une fois le guett pro­noncé, les deux membres de l’an­cien couple sont ainsi libres de se rema­rier reli­gieu­se­ment. À noter, insistent les experts, que le guett n’est pas une répu­dia­tion : si seul l’homme est en mesure de l’ac­cor­der, la femme est tou­te­fois en posi­tion de le deman­der et de le refuser.

Le guett, un divorce dis­sy­mé­trique pour Janine Elkouby

Pour Janine Elkouby, le guett n’en demeure pas moins dis­sy­mé­trique dans le prin­cipe. La vice-pré­si­dente du Consistoire israé­lite du Bas-Rhin, très enga­gée pour la cause des femmes et leur repré­sen­ta­tion au sein du judaïsme, décrit ainsi des cas où les époux refusent le guett à leurs épouses pour des motifs pécu­niaires, en leur deman­dant par exemple de renon­cer à leur pen­sion ali­men­taire. La ques­tion de la garde des enfants peut éga­le­ment peser dans la balance.

Quand la communauté juive de Grenoble célèbre Hanoucca, ici le 29 décembre 2016. © Yuliya Ruzhechka - Place Gre'net

La com­mu­nauté juive de Grenoble célé­brant Hanoucca le 29 décembre 2016. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net

Si la mili­tante refuse toute cari­ca­ture, pas ques­tion pour autant de se voi­ler la face : « Ce sont des choses qui existent, du chan­tage pur et simple, de l’ex­tor­sion finan­cière, et il est temps que le rab­bi­nat prenne clai­re­ment posi­tion et dise que c’est quelque chose d’i­nac­cep­table ! » Autant dire que la démarche du rab­bi­nat de Grenoble, prise de concert et avec le sou­tien du grand rab­bin de France Haïm Korsia, trouve grâce à ses yeux.

Un com­mu­ni­qué désor­mais retiré par le rabbinat

La pra­tique du « naming and sha­ming » (lit­té­ra­le­ment tra­duit : « nom­mer et faire honte ») dans le cadre du refus d’un guett n’est pas nou­velle : elle est même rela­ti­ve­ment cou­rante aux États-Unis ou en Israël. C’est tou­te­fois la pre­mière fois qu’elle inter­vient en France, du moins d’une manière aussi osten­ta­toire, en pas­sant via les réseaux sociaux.

Le second communiqué émis par le Rabbinat de Grenoble. Un signe que la pratique du « naming and shaming » n'est pas la bienvenue en France ?

Le second com­mu­ni­qué émis par le Rabbinat de Grenoble. Un signe que la pra­tique du « naming and sha­ming » n’est pas la bien­ve­nue en France ?

Le texte du com­mu­ni­qué gre­no­blois est sévère : la per­sonne dési­gnée est ainsi pri­vée de toute céré­mo­nie reli­gieuse, ne peut inté­grer de groupes de prières (minyan) ni exer­cer au sein de la Hevra Kaddisha (« assem­blée sainte » pré­pa­rant reli­gieu­se­ment les défunts) dont il est membre. En somme, des mesures proches du ban­nis­se­ment reli­gieux pour ce Juif pra­ti­quant qui, conclut le com­mu­ni­qué, « pren­dront fin immé­dia­te­ment après la remise du guett ».

Signe que la pra­tique n’est pas encore entrée dans les mœurs ? Un second com­mu­ni­qué, émis deux jours plus tard, fait état d’une pro­fonde bles­sure de la famille de la per­sonne incri­mi­née. Les rab­bins de Grenoble lui pré­sentent alors « [leurs] excuses publiques pour cet outrage immé­rité » et demandent à cha­cun de sup­pri­mer sur les réseaux sociaux les com­men­taires désobligeants.

Quant au pre­mier com­mu­ni­qué, il est aujourd’­hui introu­vable sur la page Facebook du Rabbinat.

Des réac­tions miti­gées au sein de la com­mu­nauté grenobloise

Au sein de la com­mu­nauté juive de Grenoble, l’i­ni­tia­tive a en effet fait grand bruit. Désapprobation chez les uns, sou­tien plus ou moins dis­cret chez les autres, les réac­tions chez les hommes comme chez les femmes demeurent géné­ra­le­ment miti­gées, nous confie l’un de ses membres. Qui compte sur l’é­du­ca­tion et la péda­go­gie pour mieux faire entendre la démarche.

Janine Elkouby © Srebnicki

Janine Elkouby © Srebnicki

Une bonne nou­velle tou­te­fois : sans déblo­quer la situa­tion, la prise de posi­tion du Rabbinat de Grenoble a tout de même per­mis un retour au dia­logue et à la média­tion entre les deux parties.

Pour notre inter­lo­cu­teur juif gre­no­blois, qui sou­haite demeu­rer ano­nyme, l’af­fi­chage public de ce refus de guett a sur­tout per­mis de « bri­ser un silence ».

Et de décrire un judaïsme ou, sou­vent encore, les femmes se sentent peu sou­te­nues, quand « les mes­sieurs sont reçus dans les syna­gogues avec tous les égards ! »

Janine Elkouby le confirme : femmes et hommes ne sont pas égaux devant un refus de guett, notam­ment en ce qui concerne les enfants. « Si l’homme ne peut pas divor­cer et décide de pas­ser outre et de refaire sa vie, il n’y aura pas de consé­quence sur ses enfants. Par contre, si la femme passe outre et refait sa vie, elle est en situa­tion d’a­dul­tère et ses enfants sont à ce moment-là des mam­zer », explique-t-elle. Un sta­tut qui limite for­te­ment le droit au mariage reli­gieux au sein de la communauté.

Un signe d’é­vo­lu­tion des mentalités ?

L’initiative du rab­bi­nat de Grenoble est-elle un signe de pro­grès des men­ta­li­tés ? « Je pense qu’il y a un réel mou­ve­ment qui se des­sine. Je peux vous dire de façon très claire que le grand rab­bin de France Haïm Korsia est extrê­me­ment actif dans ce domaine », se réjouit Janine Elkouby. Un rab­bin qui n’en demeure pas moins, insiste-t-elle, rigou­reux sur l’or­tho­doxie et le res­pect de la loi juive.

Le constat est le même à Grenoble. Avec tou­te­fois cette idée que, si la com­mu­nauté juive y est assez ouverte d’es­prit pour per­mettre l’é­clo­sion d’une telle pra­tique, ce ne serait pas néces­sai­re­ment le cas dans d’autres villes de France. L’avenir dira si le rab­bi­nat de Grenoble fera école dans le reste de l’Hexagone.

Florent Mathieu

Florent Mathieu

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