FOCUS – Après les violences policières survenues lundi à l’Université Grenoble-Alpes, les étudiants mobilisés contre loi Vidal ont de nouveau bloqué la galerie des amphithéâtres, ce mercredi 9 mai au matin. Les manifestants ont ainsi obtenu l’annulation des partiels prévus au calendrier. Une action qui est toutefois loin de faire l’unanimité…
« Malgré les pressions qu’on subit depuis désormais plusieurs semaines de la part de la direction et malgré l’intervention presque quotidienne de la police, nous sommes encore nombreux à nous mobiliser contre la réforme de l’accès à l’université. Les blocages tiennent bon et nous continuerons notre action jusqu’à ce que la loi Ore [loi d’Orientation et de réussite des étudiants, ndlr] soit retirée. » Ainsi se réjouissaient les étudiants grévistes de l’Université Grenoble-Alpes, regroupés devant les accès obstrués de la galerie des amphithéâtres, ce mercredi matin.
C’est dans ce bâtiment que 420 étudiants des UFR Arts et sciences humaines (Arsh) et Sciences de l’homme et de la société (SHS) auraient dû passer leurs partiels, ce même jour.
« À 7 heures, une trentaine d’entre nous se sont rendus sur le campus pour bloquer les accès à la galerie », relate Anatole, syndiqué à l’Union nationale des étudiants de France (Unef). Ce militant de la première heure poursuit : « Environ deux cents personnes nous ont ensuite rejoints. » Une brève consultation s’est alors tenue. La question en débat ? Décider de permettre ou non l’accès à l’édifice. Bien que la majorité des présents se soit exprimée en faveur de la tenue des partiels, les manifestants ont choisi de maintenir le blocage.
« Maintenant, la balle est dans le camp de la direction de l’UGA et du gouvernement. Au lieu de répondre à nos revendications par la violence, ils doivent chercher des solutions viables pour que les examens soient aménagés », résume Anatole.
La session d’examens a été annulée
Ce débat, un certain nombre de professeurs y ont assisté. « Face aux violences qui se sont produites ce lundi, de plus en plus d’enseignants réfléchissent à la mise en sécurité des étudiants, explique une enseignante en histoire de l’art, entourée par un petit groupe d’élèves. La meilleure solution pour les mettre à l’abri est d’être présent physiquement. C’est pourquoi nous avons décidé de nous rassembler en leur soutien, ce mercredi matin. »
S’improvisant médiateurs entre les différentes parties en présence, les membres de la direction de l’UFR Arsh ont annoncé aux forces de l’ordre leur décision d’annuler les partiels, afin d’empêcher une nouvelle intervention policière.
Une initiative qui a vite permis d’apaiser les tensions. Arrivés en grand nombre sur le campus vers 8 heures, les CRS sont donc repartis en fourgons une heure plus tard, en évitant tout affrontement avec les militants.
Vers 13 h 30, la mobilisation s’est toutefois poursuivie au sein de l’IUT, à Grenoble, où des partiels de l’UFR Langues étrangères avait été précédemment déplacés. « Cette fois-ci, les étudiants ont pu accéder au bâtiment grâce à un filtrage par liste d’émargement tenue par des agents de sécurité », affirme le président de l’UGA Patrick Lévy dans un communiqué.
Une décision qui ne fait pas l’unanimité
La mobilisation aurait donc porté ses fruits ? Si les militants s’empressent de crier victoire, les divergences entre opposants à la loi Vidal et étudiants non grévistes sont encore loin de s’estomper. « Je comprends le point de vue des manifestants, mais ils ne peuvent pas empêcher aux gens de passer leurs partiels », proteste une jeune fille inscrite en licence de psychologie. Et celle-ci de renchérir : « J’espère que la situation va se débloquer avant que tout cela dégénère. »
Las du bras de fer entre université et “bloqueurs”, d’autres étudiants ont confié leur exaspération au micro de Place Gre’net.
Reportage Joël Kermabon
Patrick Lévy n’entend pas « céder au chantage »
Alors que blocages et déblocages s’enchaînent depuis désormais plus d’un mois, quelle mesure la direction de l’UGA envisage-t-elle de mettre en place pour sortir de cette impasse ? « À plusieurs reprises, j’ai sollicité le recours à la force publique et je me suis assuré à chaque fois avec mon équipe, en lien avec les services de la préfecture, que ces interventions s’effectuent selon les règles d’usage et de sécurité », affirme Patrick Lévy dans un communiqué cinglant.
« La présence des forces de l’ordre est ainsi, de fait, face à ces blocages, le seul moyen réglementaire permettant aux étudiants de passer leurs examens en toute sécurité », se défend-il, en omettant toute référence aux violences policières survenues ce lundi 7 mai.
Pour le président de l’UGA, il n’est donc pas question de « céder au chantage en fermant l’université ou en reportant les examens », celui-ci se disant « conscient du préjudice que cela occasionnerait pour des milliers d’étudiants ».
Les bloqueurs, poursuit-il, « pénalisent une grande majorité d’étudiants ayant travaillé tout au long de l’année et souhaitant passer leurs examens tels que prévus dans le calendrier universitaire ». Et de conclure : « Contester la loi ne nécessite pas d’entraver le déroulement des examens ou l’accès des personnels à leur lieu de travail. »
La concertation se poursuit au sein de l’UFR Arsh
Quoi qu’il en soit, la polémique s’accroît, notamment au sein de l’UFR Arsh. « Les représentants d’une association ni politique ni syndicale d’étudiants ont envoyé, ce mardi, une lettre ouverte adressée à la direction de leur composante pour exprimer leur colère face à la répression conduite par la direction de l’UGA, mais aussi leur peur de se rendre aux examens », nous raconte un enseignant de l’Arsh qui souhaite rester anonyme. « Ils nous demandaient par ailleurs de reporter les examens prévus aujourd’hui. »
Une mesure adoptée donc « dans l’urgence », sur laquelle les enseignants sont revenus en fin de matinée. À l’issue de la mobilisation, ces derniers se sont en effet réunis en assemblée d’UFR pour se concerter sur les modalités d’aménagement des partiels. « Nous avons trouvé une solution permettant de garantir la qualité des examens ainsi que la valeur des diplômes », assure le professeur de la composante d’arts et sciences humaines. Avant de conclure : « La décision finale sera prise lors du prochain conseil de l’Arsh, fixé pour ce lundi 14 mai. »
Giovanna Crippa, correspondante à Saint-Martin-d’Hères
UNE CONSULTATION EN LIGNE TRÈS CONTESTÉE
Quelques semaines après le vote électronique sur les blocages, le dispositif de consultation en ligne mis en place par la présidence de l’UGA ne cesse de susciter de vives polémiques. En cause : le (supposé) non-respect de la confidentialité des données de la part de l’université.
Fin avril, le syndicat étudiant La Licorne avait en effet dénoncé la non-déclaration de ce vote à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Une accusation à laquelle l’université avait répondu en montrant son numéro d’inscription. En l’occurrence, le 1 016 668.
« Alors que plus d’une semaine après la « consultation », sa déclaration n’apparaît toujours pas dans les registres de la Cnil (librement consultables ici), des personnels mobilisés contre la loi Ore ont fait une découverte étonnante » relate la Licorne dans un communiqué.
Le résultat de cette enquête ? « Absent dans le registre des déclarations à la lettre [U] (comme Université Grenoble-Alpes), sa présence à la lettre [G] correspond bien à une déclaration, enregistrée le 3 mai 2004, il y a quatorze ans quasiment jour pour jour, par le Grand Orient de France pour déclarer sa liste de diffusion. »
Entre fausses déclarations et menaces de poursuites pénales
« Il n’y a que deux explications possibles », enchaîne la Licorne : « Soit l’Université aurait sous-traité l’organisation de cette consultation au Grand Orient de France […] Soit l’Université a sciemment communiqué un faux numéro de déclaration Cnil sur tous les supports. »
« Le numéro d’enregistrement correspond au registre local géré par notre Cil » [à savoir, le Correspondant informatique et libertés, ndlr] rétorque sur les réseaux sociaux le directeur général des services de l’UGA Joris Benelle.
Et d’assurer : « Ce numéro n’est pas connu de la Cnil mais, si elle le souhaite, elle peut très bien accéder à notre déclaration locale via une requête auprès du président. »
Une réponse qui ne convainc guère ses accusateurs. « En refusant de communiquer les documents qu’elle doit obligatoirement tenir à disposition des votants et en communiquant de fausses informations, l’Université contrevient aux dispositions des articles 226 – 16 et suivants du Code pénal, puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende », fustigent ainsi les membres de la Licorne.
D’où leur décision de continuer à enquêter sur cette (possible) infraction à la loi, tout en brandissant la menace d’éventuelles « poursuites sur les fausses déclarations répétées de la présidence de l’université ». Affaire à suivre.