FOCUS – Ce lundi 7 mai, la police est intervenue vers 8 heures du matin sur le campus de Saint-Martin-d’Hères pour dégager les accès à la galerie des amphithéâtres où devaient se dérouler des examens, ceux-ci étant entravés par une trentaine d’étudiants en lutte contre la loi Vidal. Contestataires et syndicats dénoncent une banalisation de la présence policière tandis que la direction botte en touche, estimant primordial que les étudiants puissent passer leurs examens.
La tension, déjà palpable ces dernières semaines sur le campus de Saint-Martin-d’Hères où des étudiants luttent contre la loi Vidal, est montée de quelques crans dans la matinée de ce lundi 7 mai.
La direction de l’Université Grenoble-Alpes (Uga) a en effet sollicité la force publique afin de dégager les accès à la galerie des amphithéâtres où étaient convoqués 580 étudiants de l’UFR Arts et sciences humaines (Arsh) et de l’UFR Sciences de l’homme et de la société (SHS) pour y passer leurs partiels.
Une trentaine de personnes avaient, depuis 6 h 30, commencé à bloquer la galerie, jusqu’à ce que dix-sept policiers interviennent vers 8 heures – de manière musclée selon les témoins de la scène – pour les en déloger.
La police a chargé assez durement et fait usage de gaz lacrymogène
De très vifs et brefs affrontements se sont alors déroulés au cours d’une bousculade où a régné la plus grande confusion. Les étudiants grévistes refusant de quitter les lieux, la police a chargé faisant usage de gaz lacrymogène et provoquant une réelle panique parmi les autres étudiants, gazés eux aussi alors qu’ils étaient juste venus passer leurs examens. Des vidéos postées sur les réseaux sociaux par les manifestants illustrent bien l’intensité de cette confrontation.
#Grenoble Intervention policière violente à la Galerie des Amphis de l’Université Grenoble Alpes… Violence disproportionnée contre des bloqueurs pacifiques et des étudiant-es attendant pour leur partiels (annulés suite à cette violence). Regardez bien la tête du gars à la fin.. pic.twitter.com/Zq0QFeJfLE
— berurier (@berurier_) 7 mai 2018
Un boycott des partiels avec des copies blanches et solidaires
« Il n’y avait pas que des personnes qui bloquaient. La majorité des étudiants était là pour passer les partiels. Il y a eu des coups de matraques. Trois personnes sont parties à l’hôpital et une personne n’appartenant pas au mouvement a été interpellée et est en garde à vue », relate Camille, l’un des étudiants présents sur les lieux. Le jeune homme est scandalisé. « On voit bien sur une vidéo qui tourne sur Twitter un policier lui prendre la tête et la frapper sur le sol », précise-t-il encore.
Avant d’assurer que les personnes présentes « ont été choquées par le déchaînement de tant de violence contre des personnes qui, bien qu’elles bloquaient effectivement les accès, sont en revanche restées totalement pacifiques », souligne l’étudiant.
Sur le nombre de personnes blessées, la version livrée par les forces de l’ordre diverge de celles de certains témoins.
Si les services de police déplorent qu’un fonctionnaire ait été blessé à la tête et affirment que deux autres policiers ont porté plainte, ils démentent qu’il y ait eu d’autres blessés. « À ma connaissance, il n’y a pas eu de blessé dans les rangs des manifestants », a déclaré à nos confrères du Dauphiné libéré Nadine Le Calonnec, la directrice départementale de la sécurité publique (DDSP). Les pompiers affirment quant à eux avoir conduit à l’hôpital « un étudiant légèrement blessé ».
De supposés “bloqueurs” pris à partie par des membres de la sécurité
Toujours est-il que vers 10 heures, au cours d’une réunion spontanée, des manifestants ont décidé, tout comme les étudiants mobilisés de Sciences humaines appliquées et de Philosophie de l’UFR Arsh, de boycotter les partiels en rendant des copies blanches et “solidaires”. Camille est d’autant plus remonté que certains étudiants auraient été pris à partie par des vigiles qui les auraient reconnus comme étant des bloqueurs.
Finalement, ces mêmes étudiants ont pu rentrer mais le mal était fait. « C’est déstabilisant quand on a trois partiels dans l’après-midi de se voir refuser l’accès par des vigiles », juge Camille.
Pour ce dernier, les choses sont claires. « Nous ne pouvons pas passer des partiels dans ces conditions », s’insurge-t-il, regrettant que toutes les demandes d’aménagement des examens faites par l’assemblée générale des étudiants aient été refusées par Patrick Lévy, le président de l’Université Grenoble-Alpes. D’ailleurs, nous confie Camille, « il n’y a pas qu’avec les étudiants contre la loi Vidal qu’il refuse de discuter, il y a aussi des enseignants qui ont trouvé porte close et qui auraient beaucoup à dire sur les violences policières, sur comment la réforme à été mise en place car c’est eux qui vont devoir l’appliquer ».
« Il n’y aura aucun aménagement d’épreuve » réaffirme Patrick Lévy
Du côté de la direction de l’Université, c’est un autre son de cloche que l’on entend. Patrick Lévy s’est en effet fendu d’un communiqué en fin d’après-midi, ce lundi 7 mai, dans lequel il revient sur les tenants et aboutissants de sa décision de recourir aux forces de l’ordre. « Au vu des tensions depuis plusieurs semaines entre bloqueurs et étudiants désireux de passer leurs examens, je ne pouvais laisser seuls face à face des bloqueurs et des étudiants qui souhaitent aller passer leurs examens », explique-t-il. Et de poursuivre.
« Aussi, j’ai demandé l’intervention des forces de police. Les bloqueurs ont souhaité rester malgré la présence des forces de l’ordre, et se sont volontairement affrontés avec les forces de police, entravant par là même le passage d’étudiants qui souhaitaient malgré tout intégrer le bâtiment », retrace Patrick Lévy.
C’est donc « pour les protéger […] que j’ai demandé le report des examens prévus à la galerie des amphithéâtres à 8 heures et à 11 heures. Les examens organisés dans les autres bâtiments, y compris le bâtiment Stendhal, se sont tous tenus sans problème », assure le président de l’Université Grenoble-Alpes qui ne lâche rien.
« Afin de préserver la valeur des diplômes de l’Université et de respecter l’ensemble des étudiants, je réaffirme, comme exposé depuis le début des événements, qu’il n’y aura aucun aménagement d’épreuve. La présidence mettra tout en œuvre avec l’appui de l’administration pour la tenue effective des examens tels que prévu dans le règlement des études de chaque diplôme », conclut-il dans son communiqué.
« Le président de l’université a encore une fois choisi l’usage disproportionné de la force »
La réaction des syndicats ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué commun, la CGT, FO et le Snesup de l’UGA se sont alarmés de cette nouvelle flambée de violence. « Face aux étudiants mobilisés pacifiquement contre la loi ORE, le président de l’université a encore une fois choisi l’usage disproportionné de la force », condamnent-ils avec force. Et d’appeler tous les agents concernés « à exercer leur droit de retrait quand les conditions de sécurité ne sont pas réunies, ou leur droit de grève pour refuser d’assurer leur service dans des conditions qui contreviennent à la franchise universitaire (présence policière, barrages filtrants mis en œuvre par des compagnies de sécurité) ».
Pour les syndicats, c’est l’incompréhension qui prédomine devant « l’autisme » de la direction de l’UGA qui, estiment-ils, refuse tout dialogue.
Reportage Joël Kermabon
Joël Kermabon