FOCUS – Le Département de l’Isère lance une campagne de sensibilisation à la vaccination des jeunes filles contre le papillomavirus humain (HPV), une maladie sexuellement transmissible responsable du cancer du col de l’utérus. Objectif ? Atteindre un taux de 30 % de vaccination dans le département en 2021, alors que le taux actuel n’est que de 16 %.
« La vaccination, c’est la première expression de la Fraternité », juge Jean-Pierre Barbier. À l’heure où le Conseil départemental de l’Isère lance une grande campagne de sensibilisation à la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), son président, pharmacien de profession, en vante les bienfaits : « Vous vous protégez vous-mêmes, mais surtout vous protégez les autres. Vous êtes le maillon d’une chaîne qui permet de protéger l’ensemble de la population. »
Une conviction bien ancrée dans la majorité du Conseil départemental, dont la vice-présidente déléguée à la Santé Magali Guillot rappelle qu’elle a voté en 2017 un budget de plus de 3 millions d’euros « pour faciliter l’accès aux soins de tous les Isérois ». Sur cette somme, plus de 900 000 euros sont consacrés à la couverture vaccinale, alors même que la vaccination ne fait pas partie des compétences obligatoires des conseils départementaux.
Un taux de vaccination de 16 % en Isère
Pour Jean-Pierre Barbier comme Magali Guillot, il y a urgence. Dans certains pays d’Europe comme le Danemark ou le Portugal, le taux de vaccination contre le HPV est supérieur à 70 %. En France, il plafonne à 19 % après une véritable chute libre à partir des années 90. Et dans le département de l’Isère, le taux est encore plus bas : seules 16 % des jeunes filles sont vaccinées.
Les jeunes filles ? C’est à elles en effet que la campagne s’adresse. Si le HPV peut être contracté autant par les hommes que les femmes, ce virus sexuellement transmissible est responsable du cancer de l’utérus. « 80 % des femmes seront en contact avec le HPV durant leur vie. C’est la MST la plus fréquente dans le monde. Et 3 000 nouveaux cas sont constatés en France tous les ans », détaille Magali Guillot.
La vaccination contre le HPV relève donc d’une « priorité de santé publique », insiste le docteur Gaëlle Vareilles, du service Prévention santé publique. Si la prévention passe aussi par le dépistage, le médecin insiste sur l’importance de la vaccination. « Quid des lésions précancéreuses, du stress induit, des répercussions sur la santé des femmes, quand bien même le dépistage serait élevé, alors que nous avons un vaccin efficace ? », plaide-t-elle.
Une communication auprès des jeunes filles… et des mamans
Au-delà des polémiques (cf. encadré ci-dessous), le Département veut donc sensibiliser les jeunes filles à la vaccination. « Mais pour parler aux jeunes filles, il faut parler aux mamans : ce sont elles qui amènent les adolescentes à la vaccination », assure Manuel Poncet, directeur de la communication au Département de l’Isère. Avant d’affirmer que l’on retrouve la même approche dans tous les pays européens.
Le visuel de campagne représente donc une maman aux côtés de sa fille, avec la mention « Stop HPV » et un slogan pour le moins limpide : « Vaccinez vos filles ! » Un visuel réalisé en interne, le Département faisant même appel à ses agents, sur la base du volontariat, pour prendre la pose.
De “vraies” mamans et filles en somme. Ainsi qu’une “vraie” tablette Apple dans les mains de l’adolescente, au logo bien visible. « Aucune arrière-pensée », nous promet-on au Département : les tablettes sont celles diffusées dans les collèges.
Une manière de rappeler que la lutte contre le HPV sera numérique ou ne sera pas ?
Point phare de sa campagne, le Département a créé le site Internet Stop HPV, un espace d’information répondant aux questions médicales et pratiques sur le virus, ainsi que sur le col de l’utérus. Le site propose également un espace dédié aux professionnels de santé.
Campagne d’affichage sur les abribus, diffusion de spots radio ou de clips vidéos réalisés pour l’occasion, mais aussi interventions dans les collèges… Le Département se donne jusqu’en 2021 pour atteindre un taux de vaccination contre le HPV supérieur à 30 % en Isère. Avec des phases d’évaluation pour adapter si nécessaire sa politique en fonction des retours de terrain.
Florent Mathieu
VACCINATION OU « LIBERTÉ DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE » ?
C’est peu de dire que la vaccination soulève doutes et polémiques au sein de la société française. « Il y a des “fake news” sur la vaccination qui ont tendance à prospérer de manière incroyable sur Internet, qui font que les gens ont une véritable défiance : il faut absolument lutter contre tout cela ! », tonne Jean-Pierre Barbier. Qui ne cache pas son effarement lorsqu’il apprend que même des professionnels de santé manifestent des suspicions à l’égard des vaccins.
Et le président du Département d’enfoncer le clou : « Il faut lutter contre l’obscurantisme. La vaccination n’est pas quelque chose de dangereux, il faut le dire et il faut l’assumer ! » Tandis que le docteur Vareilles met en avant « un recul de plus de dix ans sur 130 pays dans le monde » concernant le vaccin contre le HPV. Verdict ? « Pas d’effets indésirables susceptibles de remettre en cause le bénéfice de la vaccination ».
Un vaccin qui rapporte plus que le préservatif ?
Le son de cloche n’est pas le même du côté du mouvement En marche pour la liberté vaccinale. Sa cofondatrice Marjorie Rivolta prévient cependant : « Je ne suis pas du tout contre la prévention, ni contre le principe de vaccination et d’immunisation contre une maladie. » Bref, Marjorie Rivolta veut se démarquer des « extrémistes » de l’anti-vaccination, mais veut mettre en avant la question de la liberté de choix thérapeutique.
La militante ne voit dans la campagne du Département « aucune sensibilisation, aucune information et aucune éducation ». « C’est une grosse campagne de communication. Je n’irais pas jusqu’à dire de propagande, mais c’est limite », estime-t-elle. Son grief ? « Pour moi, la prévention, c’est éduquer. Dire qu’il existe un vaccin qui protège contre certains cancers du col de l’utérus, OK. Mais il faut englober tous les types de prévention. »
Tous les types de prévention, autrement dit inciter au port du préservatif, le HPV étant un virus sexuellement transmissible. Pour Marjorie Rivolta, la volonté de la Haute autorité de santé de mettre en avant la vaccination n’a rien d’innocente : « Vendre des vaccins, ça rapporte plus d’argent que de vendre des préservatifs », juge-t-elle, avant de préciser qu’il s’agit là de son point de vue strictement personnel.
« Si on est honnête, il y a moins de défiance »
« Ces campagnes sans éducation, sans information, cela génère de la peur, alors que chez la majorité des jeunes le virus est éliminé naturellement », ajoute la militante. Que pense-t-elle des études mises en avant par le Département montrant l’efficacité de la vaccination sur le taux des cancers du col de l’utérus ? « C’est toujours la même chose : il faudrait voir par qui elles ont été financées », répond-elle.
« L’honnêteté serait de dire : “c’est un vaccin qui sert, si des études le prouvent, mais il se peut qu’il y ait des effets secondaires, comme pour n’importe quel médicament” », considère encore Marjorie Rivolta. Qui estime que le collectif aurait pu être consulté dans le cadre de cette campagne, pour « lui donner plus de légitimité ». « Si on est honnête, il y a moins de défiance », assure-t-elle.