© Parc national des Écrins

Biodiversité végé­tale en alti­tude : le Muséum de Grenoble part « Sur les îles du ciel »

Biodiversité végé­tale en alti­tude : le Muséum de Grenoble part « Sur les îles du ciel »

FOCUS – Et si Darwin avait été alpi­niste ? Tel est le thème de l’exposition « Sur les îles du ciel » que pro­pose jusqu’au 26 août le Muséum d’histoire natu­relle de Grenoble. Explorant les liens entre bota­nique, alpi­nisme et bio­lo­gie évo­lu­tive, cette expo­si­tion per­met de faire connais­sance avec tout un panel de plantes alpines mécon­nues. Mais aussi de s’immerger dans le milieu mon­ta­gnard à l’époque des pre­miers alpi­nistes bio­géo­graphes et natu­ra­listes. Tout autant que décou­vrir les recherches actuelles sur la bio­lo­gie évo­lu­tive de ces plantes de l’extrême.

Affiche de l'exposition

Affiche de l’exposition

L’eau y est rare, le vent gla­cial, le sol qua­si­ment inexis­tant et les rayons du soleil irra­diants. Et pour­tant, aux hautes alti­tudes, blot­tie dans les ébou­lis, accro­chée aux parois des falaises, la vie végé­tale abonde.

Comment de si petites fleurs ont-elles pu gagner ces « aus­tères som­mets » et y sur­vivre ? Comment y ont-elles évolué ?

Le Muséum d’histoire natu­relle de Grenoble vous invite à décou­vrir, jusqu’au 26 août, l’exposition « Sur les îles du ciel » et pose la ques­tion « Et si Darwin avait été alpiniste ? »*

Tout un panel de plantes alpines méconnues

Éclairant les liens entre bota­nique, alpi­nisme et bio­lo­gie évo­lu­tive, cette expo­si­tion ne se limite pas à dépous­sié­rer d’anciens spé­ci­mens, comme Piopio de Nouvelle-Zélande (Turnagra capen­sis, Sparrman, 1787). Une espèce d’oi­seau endé­mique vivant dans des milieux iso­lés, aujourd’hui dis­pa­rue à cause de l’in­tro­duc­tion des rats sur l’île du sud. Elle per­met sur­tout de faire connais­sance – là est le cœur du sujet – avec tout un panel de plantes alpines mécon­nues qui vivent sur les hauts som­mets montagneux.

Saxifrage à feuilles opposées dans la neige. © C. Albert - Parc national des Écrins

Saxifrage à feuilles oppo­sées dans la neige. © C. Albert – Parc natio­nal des Écrins

Comment résistent-elles aux basses tem­pé­ra­tures ? Comment luttent-elles contre l’excès de lumière et d’ultraviolets (UV) ? Quelles stra­té­gies ont-elles adop­tées pour se repro­duire alors même que, là-haut, la période de végé­ta­tion [de l’ap­pa­ri­tion des feuilles au prin­temps au jau­nis­se­ment autom­nal, ndlr] est courte, les insectes pol­li­ni­sa­teurs plu­tôt rares et qu’il existe peu de sites pro­pices à la ger­mi­na­tion des graines ? Voilà autant de ques­tions sur l’a­dap­ta­tion de ces êtres vivants aux condi­tions de la haute mon­tagne qui trouvent leurs réponses dans cette exposition.

Le visi­teur peut aussi prendre plei­ne­ment conscience de ce qu’il sait déjà intui­ti­ve­ment. À savoir que les condi­tions rudes de la haute mon­tagne font naître l’entraide. Pas seule­ment entre les alpi­nistes mais aussi chez les végé­taux : « En haute mon­tagne, où les condi­tions de vie sont dif­fi­ciles, c’est plu­tôt la coopé­ra­tion entre plantes qui pré­do­mine », affirme ainsi le muséum.

Une immer­sion dans le milieu mon­ta­gnard des pre­miers alpinistes

Aucune construc­tion de la connais­sance sur ces espèces végé­tales n’étant pos­sible sans l’exploration des alti­tudes et la col­lecte de spé­ci­mens à étu­dier, l’exposition raconte en paral­lèle cette his­toire. Chronologiquement.

Saxifraga dipensioides. © Cyril Coursier - Parc national des Écrins

Saxifraga dipen­sioides. © Cyril Coursier – Parc natio­nal des Écrins

Ainsi per­met-elle éga­le­ment de s’immerger dans le milieu mon­ta­gnard à l’époque des pre­miers alpi­nistes bio­géo­graphes ou natu­ra­listes, aux paires de chaus­sure en cuir à clous et à l’hygromètre à che­veu de type Saussure dans son étui en bois, bien rangé au fond du sac.

Une aven­ture qui a com­mencé au XIXe siècle, quand les mythes et croyances sur les mon­tagnes, par­fois consi­dé­rées comme demeures de divi­ni­tés ou d’esprits mal­fai­sants, n’ont plus impres­sionné les esprits au point d’inhiber la volonté de conquête des hauts sommets.

Que deviennent les êtres vivants lorsque leur envi­ron­ne­ment se transforme ?

Avec l’aiguille Dibona en fer de lance, on devine d’emblée que l’exposition se foca­lise sur le mas­sif des Écrins. Et pour cause ! Ce vaste ensemble de mon­tagnes aux sept val­lées ne manque pas de hautes altitudes.

Au sommet de l'aiguille Dibona. © A. Martin

Au som­met de l’ai­guille Dibona. © A. Martin

Culminant actuel­le­ment à 4 102 mètres au som­met de la Barre des Écrins, ce der­nier pos­sède plus de 150 som­mets de plus de 3 000 mètres.

De quoi faire le bon­heur des bio­lo­gistes et explo­ra­teurs d’hier comme d’aujourd’hui, les­quels se lancent tou­jours à l’assaut des falaises les plus abruptes pour col­lec­ter de nou­veaux spé­ci­mens afin de répondre aux nom­breuses ques­tions scien­ti­fiques qui demeurent.

Les ques­tions en sus­pens ? Que deviennent les êtres vivants lorsque leur envi­ron­ne­ment se trans­forme ? Pendant toute la der­nière gla­cia­tion, les plantes alpines sont-elles res­tées sur les hauts som­mets ou y sont-elles reve­nues plus tard ?

Mais encore, ces espèces végé­tales dotées de capa­ci­tés d’adaptation éton­nantes seront-elles réel­le­ment mena­cées par les crises éco­lo­giques à venir ? Question lan­ci­nante qui prend tout son sens en cette période cru­ciale de la vie sur Terre mar­quée par la dis­pa­ri­tion des espèces au rythme impla­cable d’une extinc­tion toutes les vingt minutes !

Un docu­men­taire pour suivre deux bota­nistes en haute montagne

Pour per­mettre au public d’appréhender des concepts scien­ti­fiques par­fois com­plexes, en sus des textes expli­ca­tifs, de nom­breuses illus­tra­tions, objets et spé­ci­mens issus des col­lec­tions du Muséum jalonnent le par­cours des visi­teurs. En relief de l“exposition, ceux-ci peuvent décou­vrir la recons­ti­tu­tion du mas­sif des Écrins il y a 28 mil­lions d’années mon­trant un pay­sage sur­pre­nant en plein cœur de la période glaciaire.

Quant au clou de l’ex­po­si­tion, il s’agit sans conteste du docu­men­taire épo­nyme d’une durée de cin­quante deux minutes pro­duit par Nomade Productions. Celui-ci per­met au spec­ta­teur de suivre une équipe de bota­nistes – Cédric Dentant et Sébastien Lavergne** – sur des ver­sants sau­vages mécon­nus de la com­mu­nauté scien­ti­fique et du grand public, dans l’étude de trois fleurs d’altitude.

Olivier Alexandre filme les deux scientifiques dans leur ascension de l’Aiguille Dibona, dans le massif des Écrins à la recherche des plantes de haute altitude. © A. Martin

Olivier Alexandre filme les deux scien­ti­fiques dans leur ascen­sion de l’Aiguille Dibona, dans le mas­sif des Écrins à la recherche des plantes de haute alti­tude. © A. Martin

« Une aven­ture fil­mique et humaine de plus de deux ans, com­men­cée en 2015 », pré­cise Olivier Alexandre, réa­li­sa­teur du docu­men­taire. Une aven­ture si inté­res­sante qu’elle a fait l“objet d“un repor­tage dans « Des racines et des ailes » la même année.

Une expo­si­tion mar­quée par l’empreinte de Darwin

Et Darwin dans tout cela ? Le père du méca­nisme de la sélec­tion natu­relle marque bien sûr de son empreinte toute cette expo­si­tion dont le fil rouge est l’his­toire évo­lu­tive des plantes des îles du ciel. L“expression poé­tique qui a donné son nom à l’ex­po­si­tion, aide aussi le visi­teur tout au long du par­cours, à se trans­por­ter par l’i­ma­gi­naire jusqu“aux som­mets alpins les plus inac­ces­sibles. Si hauts qu“ils peuvent émer­ger comme autant d’îles flot­tant au des­sus de la mer de nuages. Comme autant de réser­voirs de bio­di­ver­sité, aussi.

Charles Darwin par G. Richmond

Charles Darwin par G. Richmond

En effet, à l’ins­tar des îles per­dues au milieu des océans, les hauts som­mets, iso­lés des terres en contre­bas – en par­ti­cu­lier pen­dant les périodes périlleuses des gla­cia­tions –, ont éga­le­ment conduit les espèces à évo­luer de manière indépendante.

Ainsi, bien que ne cou­vrant que 3 % de la sur­face ter­restre du globe et ne conte­nant que 4 % des plantes vas­cu­laires [c’est-à-dire pour­vues de vais­seaux par les­quels cir­cule l’eau pui­sée par les racines, ndlr] connues, les régions alpines se sont révé­lées si favo­rables à l’apparition de nou­velles espèces qu’un cer­tain nombre de plantes décrites dans cette expo­si­tion sont uniques au monde.

Plutôt que les exemples écu­lés des îles Galapagos ou océa­niques en géné­ral, pour­quoi ne pas visi­ter l’ex­po­si­tion « Sur les îles du ciel » pour s’émerveiller autant que com­prendre par la vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique, la bio­lo­gie de l’évolution appli­quée aux plantes alpines ? Et sous le regard tuté­laire de Darwin, décou­vrir tous ces tra­vaux récents qui per­mettent de mieux com­prendre l’évolution de la flore à tra­vers le monde.

Véronique Magnin

* L’exposition a été éla­bo­rée en par­te­na­riat avec le labo­ra­toire d’écologie alpine (Leca) et le parc natio­nal des Écrins (PNE) dans le cadre du pro­gramme éco­lo­gie ver­ti­cale. Ce der­nier vise à étu­dier les plantes de haute mon­tagne en met­tant en lumière leur his­toire évo­lu­tive, notam­ment grâce à leur ADN.

** Cédric Dentant, bota­niste au PNE, spé­cia­liste de l’his­toire de la conquête alpine et Sébastien Lavergne, cher­cheur du centre natio­nal de la recherche scien­ti­fique (CNRS) au Leca.

Une bio­di­ver­sité sur­na­tu­relle aux hautes altitudes ?

Écologie verticale - Arête des cinéastes. L'exposition Les iles du ciel se poursuit jusqu'au 28 août au Muséum de Grenoble.pour explorer les liens entre botanique, alpinisme et biologie évolutive© T. Maillet - Parc national des Écrins

Écologie ver­ti­cale – Arête des cinéastes. © T. Maillet – Parc natio­nal des Écrins

L’inventivité, autre­ment dit les solides capa­ci­tés d’a­dap­ta­tion aux condi­tions extrêmes et d’é­vo­lu­tion des plantes, s’a­vère si incroyable que même Darwin en son temps en a été désar­çonné. Au point de le faire dou­ter de sa théo­rie de l’évolution for­ma­li­sée en 1859 dans son ouvrage majeur « L’Origine des espèces par le moyen de la sélec­tion naturelle ».

Tant les fos­siles de plantes à fleurs décou­verts dans les années 1860, 1870 ont laissé sup­po­ser une appa­ri­tion et une diver­si­fi­ca­tion bru­tales de ces végé­taux au Crétacé supé­rieur (entre ‑100 et ‑66 mil­lions d’années). Ce, en par­faite contra­dic­tion avec sa théo­rie qui au contraire, sup­pose un pro­ces­sus évo­lu­tif lent et graduel.

Mais fina­le­ment, nul mys­tère, a‑t-on décou­vert grâce aux explo­ra­tions récentes et aux apports de la géné­tique moderne qui s’est déve­lop­pée dans les années 1990.

On sait désor­mais que le taux d’apparition de nou­velles espèces peut varier consi­dé­ra­ble­ment dans le temps, en mon­tagne comme ailleurs, sans que cela ne remette en cause la théo­rie de la sélec­tion naturelle.

L'exposition Les iles du ciel se poursuit jusqu'au 28 août au Muséum de Grenoble.pour explorer les liens entre botanique, alpinisme et biologie évolutive© Muséum d'histoire naturelle de Grenoble

Visite de l’ex­po­si­tion « Sur les îles du ciel ». © Muséum d’his­toire natu­relle de Grenoble

« Sur les îles du ciel »

Jusqu’au 26 août 2018

Au muséum de Grenoble

1 Rue Dolomieu

Plein tarif : 5 euros

04 76 44 05 35

Véronique Magnin

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