FOCUS – Dans sa nouvelle exposition temporaire « Former l’élite », le Musée de la résistance et de la déportation de l’Isère relate jusqu’au 21 mai 2018 le destin de l’École nationale des cadres d’Uriage. Une école voulue par Vichy qui, de 1940 à 1942, deviendra un lieu de formation intellectuelle et critique par lequel passeront aussi… des résistants.
Comment une école de formation des cadres, créée par le régime de Vichy et d’inspiration pétainiste, a‑t-elle pu devenir un lieu de liberté intellectuelle, et même fournir des forces à la Résistance ? Telle est la question à laquelle entend répondre le Musée de la résistance et de la déportation de l’Isère, qui accueille jusqu’au 21 mai 2018 une exposition consacrée à l’École nationale des cadres d’Uriage.
Une école dont le but était bien, ainsi que le rappelle le Musée, de « former l’élite ». Une nécessité pour Vichy et le Maréchal Pétain, dont la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie allait de paire avec une Révolution nationale, entreprise de “régénération” de la France autour du culte du chef, du rejet de la démocratie et d’une racialisation de la société au détriment premier des Juifs.
Un esprit de chevalerie
Le secrétariat d’État à la Famille et à la Jeunesse charge donc Pierre Dunoyer de Segonzac, officier démobilisé après la débâcle de juin 1940, de créer une école de formation des cadres. D’abord installée au château de la Faulconnière, non loin de Vichy, l’école déménagera rapidement au château d’Uriage pour être reconnue officiellement en décembre 1940 par le régime collaborationniste.
Pourquoi le château d’Uriage ? « Parce que, dans cette école qui se crée et s’aménage, il y a un esprit de chevalerie. Il y a un ordre, une devise, un blason. Le lieu s’y prête complètement, en étant un peu isolé, un peu sur les hauteurs, dans les montagnes, tout en étant en plaine », explique Alice Buffet, directrice du Musée de la résistance.
L’école n’accueille toutefois pas d’élèves réguliers mais des stagiaires de passage, venant pour accomplir des stages d’une durée généralement inférieure à un mois. En deux ans, 3 000 stagiaires “défileront” ainsi à Uriage, dont certains s’illustreront plus tard dans la Résistance. Voire dans l’Histoire politique française, en la personne notamment d’un certain… François Mitterrand.
Développer l’esprit critique
La philosophie qu’insuffle l’école a pourtant tout, en apparence, d’une conception de « l’homme nouveau » telle que le fascisme se la représente. Une attention toute particulière est portée à la discipline, au maintien, et les activités sportives sont largement de mise, selon l’adage vantant « un esprit sain dans un corps sain ». Mais la personnalité du Vieux chef, le surnom du trentenaire Pierre Dunoyer de Segonzac, ne peut se satisfaire de telles limitations idéologiques.
S’il n’est pas question de parler d’une école de résistants, le Musée démontre comment les stagiaires d’Uriage sont aussi amenés à développer leur esprit critique vis-à-vis des régimes politiques, y compris envers le fascisme dominant. Les instructeurs de l’école ainsi ont à cœur d’armer intellectuellement leurs élèves. Ce qui n’a rien d’une surprise, quand parmi les enseignants figurent des personnalités comme Emmanuel Mounier ou Hubert Beuve-Méry.
Pétainiste convaincu à l’origine, la position de Pierre Dunoyer de Segonzac évoluera au fil des mois de la domination allemande. Le Vieux chef passera ainsi d’un « loyalisme absolu » à une prise de distance de plus en plus marquée envers la doctrine officielle. Une évolution que tout le monde ne voit pas d’un bon œil, ainsi que le démontre une lettre de délation reproduite par le Musée. Et dont l’auteur, identifié, sera promptement renvoyé de l’école.
Un épisode bien particulier de l’Occupation
L’invasion de la zone libre par les troupes allemandes achèvera de marquer le divorce entre les hommes d’Uriage et le régime. Après l’avoir progressivement marginalisée, Vichy fera fermer l’École nationale des cadres en décembre 1942. Début 1943, c’est une École nationale des cadres… de la Milice qui prendra possession des lieux.
Quant au Vieux chef, c’est au service de la Résistance qu’il prêtera sa force de caractère. Après être passé par différents maquis dont celui du Vercors, il prendra la tête des Forces françaises de l’intérieur du Tarn et libérera Castres et Béziers, avant que son régiment ne rejoigne et n’intègre la première armée du Général de Lattre. Mais tout ceci est une autre Histoire.
Comme toujours, le Musée de la résistance prend soin de donner vie à un passé complexe sans tomber dans la caricature ou la facilité. « Former l’élite » se veut autant didactique qu’immersive, avec une exposition richement documentée et des pièces totalement inédites. L’occasion de découvrir un épisode bien particulier, peut-être emblématique, de l’Occupation en Isère, comme en France.
Florent Mathieu