FOCUS – Le 102, lieu culturel autogéré de la rue d’Alembert, accueille, mardi 5 décembre, la pièce Pisser dans l’herbe, mise en scène par Marie-Paule Guillet et interprétée par Philippe Giai-Miniet. Le comédien y interprète le rôle de Camille, dont l’expérience du milieu carcéral évoque celle de Christine Ribailly. Rencontre avec la bergère drômoise et le comédien qui ont coécrit le texte.
Bergère rebelle. En évoquant autant la profession bucolique d’un autre âge qu’une forme de résistance atemporelle, la formule par laquelle on désigne communément Christine Ribailly s’avère fort séduisante. La bergère drômoise, dont l’expérience de la prison inspire en partie la pièce Pisser dans l’herbe programmée au 102 mardi 5 décembre, ne s’en réclame pourtant pas.
En acceptant la proposition du comédien Philippe Giai-Miniet d’écrire une pièce de théâtre à partir des lettres écrites pendant les quatre ans qu’a duré son incarcération, elle a d’abord voulu témoigner. « Ce qui se passe en prison est tabou. Tout est fait pour que l’information ne sorte pas et pour que les gens qui sont dedans aient honte et n’en parlent pas une fois dehors », résume-t-elle.
Faire valoir ses droits dans le milieu carcéral
Si le terme de « rebelle » est volontiers utilisé dans les médias pour qualifier la bergère, la plupart des surveillants des prisons par lesquelles est passée Christine (qui a connu une quinzaine de « transferts disciplinaires » en quatre ans) lui préféraient, plus vraisemblablement, le terme d’« emmerdeuse ».
« Mon truc, en entrant en taule, a été de dire : « Vous m’avez mise là parce que vous dites que je ne respecte pas la loi, donc vous, vous devez la respecter. » Il y a des règlements, notamment, le droit aux activités, le fait de ne pas aller au mitard toutes les heures, le droit d’y fumer, d’aller chercher des livres à la bibliothèque… Or, en prison, la vraie règle n’est pas de respecter le règlement mais plutôt de ne pas faire chier les matons et d’être soumis. Moi, je ne laissais passer aucun manquement au règlement. Donc on rentrait en opposition très souvent », décrit-elle.
« Oppositions » qui s’achevaient souvent dans la violence et aboutissaient à des plaintes de la part des surveillants. Lesquelles se sont soldées par une succession d’allongements de peine après des passages, nombreux, en comparution immédiate. Christine Ribailly a ainsi passé quatre ans en prison (elle en est sortie en décembre 2016) au lieu de l’année et demie à laquelle elle était initialement condamnée.
Du particulier au général
Par sa connaissance des lois et des règlements auxquels doit normalement se conformer l’administration pénitentiaire, la bergère a eu tôt fait d’être considérée par cette dernière comme une sorte de – dangereux ? – porte-drapeau. Rôle que Christine Ribailly refuse d’endosser autant dedans que dehors.
« J’ai bouffé énormément de mitard (la cellule disciplinaire), j’ai explosé tous les records ! En quatre ans, j’y ai passé 752 jours. Et j’ai fait plus de dix mois d’affilé d’isolement. Donc je ne veux pas faire croire que ma combine est la meilleure parce que j’ai morflé. Je comprends que des filles qui avaient des enfants, par exemple, ne voulaient pas rentrer dans ce type de combat-là. Je ne veux pas me poser en héroïne. Il n’y a rien de glorieux dans ce que j’ai fait. Je me suis rebellée pour pouvoir rester debout », déclare-t-elle avec sa gouaille habituelle.
La condition de sa collaboration à la pièce Pisser dans l’herbe était donc de ne pas s’inspirer de sa seule expérience, qu’elle ne juge en rien exemplaire. En plus des lettres de Christine, le texte se construit donc autour des témoignages d’autres détenus et de l’essai Pourquoi faudrait-il punir ?, de Catherine Baker. Seul en scène, Philippe Giai-Miniet incarne Camille, dont le prénom mixte – également utilisé par les activistes, dont les « zadistes », lorsqu’ils s’expriment officiellement dans les médias – témoigne de la volonté de sortir du cas particulier vécu par la bergère.
Adèle Duminy
Pisser dans l’herbe, oui, mais pas dans un violon
Au-delà d’un témoignage sur les réalités du milieu carcéral, la pièce Pisser dans l’herbe – activité quotidienne dont la bergère drômoise était bien sûr privée en prison – entend aussi porter les opinions abolitionnistes de ses auteurs. Pour qualifier son travail, le comédien Philippe Giai-Miniet reprend le terme des Casseurs de pub en se disant « artiviste ». Le théâtre, d’après lui, peut-il encore tenir lieu de tribune ?
« C’est vrai qu’il n’y a que 10 % des gens qui vont au théâtre une fois dans l’année. Mais ce qu’on fait là est loin du théâtre institutionnel. On joue dans les milieux ruraux, dans des lieux alternatifs, pas toujours adaptés pour accueillir du théâtre, d’ailleurs, mais on s’adapte. Les gens qu’on croise ne sont pas ceux qui vont au théâtre en général. Je pense donc que ce théâtre-là est utile. Je suis content de toucher des gens qui ne vont jamais au théâtre ou qui y vont avec un certain a priori au départ. Pendant les débats qui suivent, on s’aperçoit qu’il y a de véritables échanges. Donc, oui, le théâtre peut servir de média alternatif pour véhiculer des idées. », défend, confiant, le comédien.
Infos pratiques
Soirée théâtre au 102 « Pisser dans l’herbe »
Mardi 5 décembre à 18 h au 102 rue d’Alembert, Grenoble
18 h ouverture des portes
19 h concert acoustique (blues)
20 h repas vegan
21 h pièce « Pisser dans l’herbe »
Suivie d’une discussion avec Christine Ribailly notamment