FOCUS – Devinette. Il avait toujours « le cul en selle », a été le dernier connétable de France, le plus fidèle serviteur d’Henri IV, catholique, puis protestant, puis catholique, marié deux fois… Vous ne voyez pas ? Il a donné son nom à un stade de rugby et à un lycée hôtelier grenoblois. Oui voilà : c’est le duc de Lesdiguières. Le musée dauphinois lui consacre une exposition jusqu’au 16 juillet 2018 : Lesdiguières, Le prince oublié. Où l’on avance, justement, quelques hypothèses quant à l’essoufflement de sa renommée.
Dans le cadre de « 2017, année Lesdiguières », initiée par le Département de l’Isère, de nombreuses opérations ont été menées pour “redorer”, ou plutôt simplement raviver, le blason de ce personnage historique un tantinet oublié.
Le duc de Lesdiguières n’était pourtant pas une simple personnalité locale puisqu’il alla tout de même, entre autres, jusqu’à devenir le connétable du roi, c’est-à-dire le chef des armées. Soit la position la plus élevée dans la hiérarchie juste après celle du monarque.
À tel point, d’ailleurs, qu’elle fut supprimée ensuite pour ne pas faire d’ombre au roi. François de Bonne de Lesdiguières (1543−1626) fut donc le dernier connétable de France.
Mais sans doute les noms de « Bonne » ou de « Lesdiguières » riment-ils davantage pour vous avec quelque infrastructure locale : le stade, la caserne ou le lycée hôtelier, par exemple. L’Histoire n’a certes pas retenu ce personnage. D’où le nom de l’exposition que le musée dauphinois lui dédie : Lesdiguières, le prince oublié, visible jusqu’au 16 juillet 2018. Avec l’ambition assumée de remédier, en partie, à cet état de fait ou, du moins, de l’expliquer.
Un cheminement cohérent au sein du parcours de Lesdiguières
En dépit d’une iconographie assez pauvre (on ne trouve du duc que quelques portraits le représentant après 50 ans), l’équipe du musée, menée ici par Anne Cayol-Gerin, en sa qualité de commissaire d’exposition, a su ménager pour le spectateur un parcours cohérent et ludique. Pas simple au vu de la complexité du personnage historique qu’il s’agit de révéler. Enrichie de peintures, de cartes, d’ouvrages et d’objets militaires, religieux ou artistiques, l’exposition se divise en trois parties.
On remonte d’abord aux origines nobiliaires modestes de l’homme né entre les massifs de Dévoluy et des Écrins en 1543. Manière de montrer l’une des facettes exceptionnelles de son parcours : son ascension sociale fulgurante, acquise via ses hauts faits d’arme en premier lieu. Il s’illustre notamment à la tête des troupes protestantes dauphinoises pendant les guerres de religion.
La seconde partie de l’exposition se concentre sur l’héritage laissé par le duc, tant d’un point de vue pacifique – il a beaucoup œuvré pour restaurer la paix entre catholiques et protestants après la promulgation de l’Édit de Nantes en 1598 – que d’un point de vue territorial.
Grenoble lui doit un changement complet de physionomie, via ses nouvelles fortifications notamment. Plus largement, des ponts sont construits en quantité dans la région. Et il fait encore élargir la route, qu’il emprunte régulièrement, ralliant Grenoble à Gap. D’où le nom qu’elle a longtemps connu, « route du connétable », avant de porter les couleurs d’un personnage historique autrement plus illustre…
Troisième temps : la mémoire défaillante
Volet important de l’exposition, la troisième partie tente d’expliquer l’oubli du duc. Lequel œuvra pourtant, de son vivant, à l’édification de sa propre gloire. En témoigne la reproduction de son mausolée, grandiloquent à souhait. Le gisant qui le représente ouvre de grands yeux, comme pour attester de l’immortalité de sa renommée. Mais quand s’éteint sa descendance, le lustre de son nom finit par suivre le même chemin.
Au XIXe siècle, alors que naît un intérêt tout particulier des historiens pour la période, la légende Lesdiguières renaît de ses cendres mais guère plus qu’au niveau local.
Et encore, on lui préfère un autre personnage, qui semble plus exemplaire : le chevalier Bayard, dit « sans peur et sans reproche ». Si la peur ne semble pas non plus caractériser l’homme de guerre qu’était Lesdiguières – toujours « le cul en selle » –, on l’accabla, par contre, de bien des reproches.
Religieusement d’abord, on décela chez lui un manque de constance : il a été catholique avant d’embrasser le protestantisme pour finir à nouveau par se convertir au catholicisme à la demande du roi… Son double mariage ensuite n’a rien de très catholique, justement. On retint donc de lui son ambition et sa ruse plutôt que ses talents de diplomate ou de stratège géopolitique.
Des légendes sombres circulèrent enfin à son endroit. Un petit recueil de ces histoires est d’ailleurs disponible à l’écoute dans le musée. Lequel parvient ainsi à donner de Lesdiguières une image kaléidoscopique qui brise la réputation monolithique de l’homme, simplement associé à la guerre et à l’ambition.
Adèle Duminy
Infos pratiques
Tout le programme de l’année Lesdiguières sur le site du Département de l’Isère
Jusqu’au 16 juillet 2018
Lesdiguières, le prince oublié