ENTRETIEN – Xavier Emmanuelli, président du Samu social international, ancien Secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence, cofondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu social de Paris, était à Grenoble ce samedi 18 novembre. Avec un double objectif : remettre la médaille de l’Ordre national du mérite à Stéphane Gemmani, fondateur du Samu social de Grenoble, ainsi que présenter son dernier livre : Accueillons les migrants !
C’est un homme souriant et affable que nous présente Stéphane Gemmani, conseiller régional et fondateur du Samu social de Grenoble, ce samedi 18 novembre, dans l’arrière salle cossue du Gazetta café, situé non loin de la gare de Grenoble.
Xavier Emmanuelli, président du Samu social international, l’homme de tous les combats contre les exclusions, a fait le déplacement à Grenoble à l’occasion de la sortie de son dernier livre Accueillons les migrants ! Mais pas seulement puisqu’il devait également remettre, un peu plus tard dans la journée dans les salons de la préfecture de l’Isère, sa médaille à Stéphane Gemmani, fraîchement promu chevalier de l’Ordre national du mérite.
« Ouvrons nos portes, ouvrons nos cœurs », peut-on lire sous le titre de son manifeste en forme de cri en faveur des migrants et d’appel à la solidarité de tous. Tel est le solennel et vibrant appel que lance Xavier Emmanuelli au fil des 160 pages de son ouvrage paru le 15 novembre dernier aux éditions de l’Archipel.
Rien d’étonnant de la part de ce médecin qui cite souvent, pour s’en nourrir, des passages du Petit prince de Saint-Exupéry. L’exclusion, c’est un sujet qu’il connaît bien et sous toutes ses formes. N’a-t-il pas été, entre autres, le cofondateur de Médecins sans frontières (MSF), puis secrétaire d’État chargé de l’action humanitaire d’urgence lors du premier puis deuxième gouvernements Juppé, avant de fonder le Samu social de Paris ?
Dans ce nouveau livre, loin de baisser les bras devant l’ampleur du phénomène des flux migratoires, Xavier Emmanuelli continue à s’insurger. Pour nous dire comment « changer notre regard, accueillir nos frères avec dignité, à la mesure de nos forces ». C’est bien là toute la substance des propos qu’il a consenti à nous livrer.
Place Gre’net – Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Xavier Emmanuelli - C’est toujours mon combat contre l’exclusion. L’hiver va venir. Dans Paris, des femmes, des enfants, des gens seront démunis dans les rues de la plus belle ville du monde… Qu’est-ce que ça veut dire ? Nous avons des structures qui datent de la Libération : l’aide sociale à l’enfance, la loi de protection des enfants… Or, dans les rues, vous en voyez tout le temps. On a renoncé. Encore une fois qu’est-ce qui est en train de se passer ? Comment prendre la défense de ces gens ? Il faudrait peut-être se poser des questions sur ces exilés sans statut.
Le monde est en train de changer et moi je ne supporte pas l’exclusion. Le lien social se délite et l’on désigne toujours l’autre comme le coupable ou le responsable. Ce livre est un cri d’alerte comme je l’ai toujours fait. C’est dire : attendez, vous avez un phénomène nouveau, un phénomène mondial ! Alors on fait quelque chose, oui ? Et on ne se contente pas de regarder par par le petit bout de la lorgnette.
Les immigrants fuient leurs pays pour des tas de raisons Les Syriens, les Afghans, les Érythréens, les Sahéliens et d’autres encore viennent parce que ce sont des réfugiés de guerre mais il va en venir aussi pour des raisons climatiques.
Sur tous les continents les gens prennent la route, c’est un phénomène universel.
D’ailleurs, en France, nous avons eu dans notre histoire des gens qui venaient de Russie, de Pologne, d’Italie… Ce n’est donc pas nouveau. Mais comme les guerres se multiplient, notamment en Syrie où la situation est désastreuse, le phénomène augmente, sachant que les pays les plus concernés – considérant leur situation géographique – sont la Grèce et l’Italie. L’espace Schengen est un espace de grande liberté, seulement voilà, Schengen a aussi érigé des barrières. Les gens qui sont sur ces routes, qui cherchent à s’installer, qui ont quitté leur pays, on les accueille très mal.
Quels messages cherchez-vous à faire passer à travers cet ouvrage ?
Je veux démontrer dans ce livre que l’Europe se conduit mal. Je dénonce par exemple la procédure Dublin. Quand les gens arrivent de Grèce en France où ils sont indésirables, on les remet en Grèce ; pour ceux qui viennent d’Italie, c’est pareil. C’est un peu le mistigri, on dit « c’est pas moi, c’est toi ». Je dénonce aussi les accords du Touquet où c’est chez nous, en France, que des douaniers et des policiers anglais viennent faire la police. Ça donne Grande-Sainthe, la jungle de Calais… Je dénonce aussi la façon dont ils sont coincés dans les îles grecques et comment ils font la fortune des passeurs. Tout autant que je m’insurge contre les accords pris avec la Turquie où il y a deux millions et demi de réfugiés, tout ça parce qu’on ne les veut pas.
Ce que je demande à l’Europe c’est de savoir bouger et prendre de vraies mesures. Je reproche à l’Europe de ne pas avoir pris la mesure du phénomène et de se recroqueviller sur elle-même. Chacun joue pour soi. Par exemple, Angela Merkel a sa propre politique, les pays de l’Est ne prennent pas de migrants alors que, lorsqu’ils étaient derrière le rideau de fer, l’Occident les a accueillis à bras ouverts. Donc, si vous voulez, l’Europe n’existe pas ! Elle n’a pas de politique, voilà ce que je reproche à l’institution européenne.
Que vous inspire l’émergence en Europe de mouvements d’extrême droite qui axent leurs discours sur les migrants ?
C’est de la démagogie pure et simple. Ils croient résilier le lien en désignant le mauvais objet. C’est toujours comme ça : on désigne un mauvais, un méchant et, comme ça, on fait peut-être des liens sociétaux. C’est une mauvaise politique à court terme qui fera beaucoup de malheurs. De toute façon, nous allons nous réveiller, nous allons être obligés d’avoir une politique. Le monde entier s’est couvert de murs.
On croit qu’avec ça on va arrêter les gens alors qu’ils les contournent. Tous les murs sont faits pour être franchis. C’est très décevant ce qui se passe en Hongrie. Quand les gens fuyaient le communisme, ils trouvaient un accueil dans les pays occidentaux et, là, ils ne s’en souviennent plus. L’Europe n’a pas de mémoire.
Quant aux Français, ils sont généreux. Moi qui me balade à travers la France, je vois bien qu’elle est déserte, les villages se meurent et je connais bien des maires de petites communes qui seraient bien contents d’avoir des gens qui viennent pour relancer les écoles, s’occuper des vieux et tout ça. Ils voient l’intérêt [d’être accueillants, ndlr].
En France, nous avons l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), les Centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), des dispositifs d’aide, bien sûr. Mais ils sont sous-dimensionnés par rapport à l’amplitude du phénomène. Il faudrait élargir nos dispositifs, travailler les uns avec les autres, mais chacun roule pour soi.
Certains craignent que les flux migratoires soient un vivier pour le terrorisme. Qu’en pensez-vous ?
C’est une crainte entretenue. D’après ce que nous avons pu voir, la plupart des actes de terrorisme en France ont été faits par des gens de chez nous, élevés au lait de la République française. Qu’ils ont haïe finalement. Je ne veux pas dire qu’il n’y en a pas eu qui venaient de Syrie mais si on s’arrête à ça, on arrête tout et on soupçonne tout le monde.
Or les gens qui sont sur la route n’ont qu’une idée : vivre en paix, survivre et faire vivre leurs enfants. Quand les gens ont immigré aux États-Unis, bien sûr que ça a donné quelques mafieux ! Mais la plupart d’entre eux ont fait toute la vigueur de ce pays, tout autant qu’ils l’ont construit. Il faut une pédagogie, il faut expliquer aux gens que ce n’est pas Attila, que ce ne sont pas des terroristes.
Propos recueillis par Joël Kermabon
STÉPHANE GEMMANI, PROMU CHEVALIER DE L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE
« J’ai été promu à l’Ordre national du mérite. Je ne voyais personne d’autre pour me remettre la médaille que Xavier Emmanuelli », nous confie Stéphane Gemmani, conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes et fondateur du Samu social de Grenoble. Le hasard fait bien les choses puisque cette cérémonie tombe précisément la même semaine que la sortie de son livre. Un ouvrage que l’ancien conseiller municipal de l’équipe de Michel Destot, spécialiste de l’entraide et de l’accueil des précaires, a tenu à promouvoir ce samedi 18 novembre, quelques heures avant de recevoir sa distinction.
« Je trouvais important, compte-tenu de notre parcours commun avec le Samu social, de mettre en avant ce livre plein de bon sens, d’humanité, qui n’est pas dans le misérabilisme ou la pitié mais l’œuvre de quelqu’un qui a une expérience de plusieurs décennies de l’action humanitaire », explique Stéphane Gemmani.
Lequel se désole, en tant que petit-fils de réfugié italien, du climat de fantasmes et de non-dits autour de la problématique des réfugiés, des migrants.
« Nous sommes tous des déracinés, nous devons accepter l’autre »
« C’est un problème de plus en plus récurent à Grenoble. Depuis de nombreuses années, nous avons toujours eu un flux assez régulier de populations migrantes. L’explosion à laquelle nous assistons actuellement n’a pas été anticipée et cela a enrayé un système déjà déficitaire », regrette-t-il. Et ce, bien que les acteurs de terrain aient, à maintes reprises, alerté l’opinion publique et les institutions pour plus d’accueil et plus d’hébergement d’urgence.
« Il faut vraiment qu’il y ait une conscience qui s’éveille, que les fantasmes s’éteignent et que les gens soient plus dans la véracité des faits », espère Stéphane Gemmani.
Et d’ajouter : « Nous sommes tous des déracinés, nous devons accepter l’autre parce que c’est un investissement pour l’avenir », plaide-t-il.
Quant à la décoration, Stéphane Gemmani déclare avoir failli ne pas l’accepter. « Je ne fais pas ce que je fais pour ça. Si j’ai accepté c’est parce que quelqu’un qui m’est cher l’a demandé. Je ne pouvais pas refuser », nous confie-t-il. Et d’ajouter : « C’est une étape, une reconnaissance mais aussi une responsabilité supplémentaire pour moi ».