FOCUS – Durant trois heures d’entrevue au ministère de l’Économie, une délégation de GE Hydro Grenoble, accompagnée d’une avocate, a plaidé la cause de la filière hydroélectrique et du maintien de tous les emplois de l’entreprise. La balle est désormais dans le camp de Bercy. Le gouvernement Macron va-t-il intervenir auprès de General Electric pour reporter le plan social, comme demandé ? Réponse en fin de semaine.
Ce lundi 13 novembre, une délégation de syndicalistes et représentants du personnel de GE Hydro, qui compte pour l’heure encore 800 salariés, s’est retrouvée, pour la troisième fois depuis l’annonce du plan social, dans les locaux de Bercy.
Et cette fois, ils ont joué le tout pour le tout, et abreuvé les haut-fonctionnaires d’éléments techniques, juridiques et économiques.
L’objectif visé : empêcher le plan social imposé par General Electric, qui se rapproche à grands pas et devrait s’abattre sur 345 salariés. Aux côtés de la délégation de syndicalistes, des salariés de GE Hydro et d’EDF [lire encadré], venus en car lui prêter main forte, ainsi que des responsables politiques de La France insoumise.
Le pôle grenoblois ne pourrait pas se passer de 345 salariés
« Nous avons abordé les choses dans l’autre sens », explique Nadine Boux, déléguée syndicale, relatant ce qui s’est dit lors de cette longue entrevue. Les salariés ont en effet présenté à l’équipe de Bruno Le Maire, un projet d’organisation pour GE Hydro, établi avec les salariés.
A la différence de General Electric, ils sont partis des commandes actuelles de GE Hydro et de celles qui sont dans les tuyaux, avec l’Australie notamment.
Leur conclusion ? Le pôle grenoblois ne peut sérieusement pas se passer de 345 salariés, avec une telle charge de travail.
À l’opposé, General Electric a décidé d’un plan social, « sans projet, sans feuille de route pour la suite », regrette Nadine Boux. Et d’ajouter : « Nous n’avons plus confiance en Yves Rannou [le PDG de la branche Hydro Énergie du groupe GE, ndlr]. Ça fait deux ans qu’il nous parle de recentrage sur ceci, sur cela… »
Jérôme Pécresse pointé du doigt
Par ailleurs, jusqu’ici les salariés n’ont eu de cesse de chercher à comprendre de quel chapeau sortait le chiffre précis de 345 salariés, prévu dans le plan social.
General Electric n’a jamais pipé mot à ce sujet, et Bercy affirme ne pas savoir. Ce lundi, la délégation a donc livré un scoop aux membres du cabinet ministériel.
« Ce chiffre vient de Jérôme Pécresse, président de GE Renewable Energy, dévoile Nadine Boux. Il a été prendre les 345 salariés GE Hydro pour constituer une unité de 550 salariés consacrée à la filière de l’éolienne en mer à Cherbourg ».
Bercy entend “vérifier” cette thèse. Les délégués affirment quant à eux s’appuyer sur des documents dont ils ont eu connaissance.
EDF génère 50 % de ses bénéfices grâce à l’hydroélectricité
Faire oeuvre de pédagogie était aussi l’un des objectifs poursuivis par la délégation de GE Hydro, lors de cette rencontre avec Bercy. Avec le regret de ne pouvoir en faire autant auprès de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, qui fait pour l’heure assez peu de cas du plan social.
Et démontrer par A + B en quoi les turbines fabriquées à Grenoble relèvent d’un savoir-faire précieux, qu’elles peuvent être perfectionnées et donc ont un avenir, pourquoi le secteur de l’hydroélectricité est stratégique…
Parmi les chiffres éloquents qui ont ainsi été rappelés aux collaborateurs du ministre de l’Économie, ce lundi après-midi : le fait qu’EDF génère 50 % de ses bénéfices grâce à l’hydroélectricité. Seule énergie renouvelable à être mobilisable à tout moment, elle alimente les réseaux lors des pics de consommation. Raison pour laquelle elle est vendue plus cher et rapporte autant.
Enfin, dernière requête du jour, la plus importante à court terme : la délégation réclame un délai supplémentaire de deux mois avant le démarrage du plan de sauvegarde de l’emploi. Ce qui le reporterait à janvier prochain, permettrait de gagner du temps et de « trouver des investisseurs », espère Nadine Boux. Or seul l’État peut obtenir ce délai auprès de General Electric. Bercy a promis des réponses aux salariés d’ici la fin de la semaine.
Une restructuration encore plus drastique se profile à GE, mais GE Hydro serait épargnée
Au cours de leur rendez-vous, les délégués syndicaux ont découvert par la presse, en consultant les réseaux sociaux, qu’un « nouveau plan d’économies encore plus drastique » se tramait à General Electric, avec des cessions d’activité à la clé.
« Bercy nous a assuré que la branche Hydro ne faisait pas partie des ventes », déclare Nadine Boux.
Et pour cause : céder GE Hydro n’est pas possible pour le moment, la branche appartenant encore, en partie, à Alstom et ce, pour quelques mois.
Après l’expiration de la joint-venture, en septembre 2018, l’Américain aura en revanche totalement les mains libres. L’État n’aura alors plus aucun moyen de pression…
Séverine Cattiaux
LES SALARIES D’EDF DANS LE MEME BATEAU QUE GE HYDRO
Ont grimpé dans le car, ce lundi, pour venir soutenir GE Hydro à Bercy, une cinquantaine de salariés du leader mondial de la construction de turbines ainsi que des salariés d’EDF. Pour les syndicats des entreprises respectives, la cause est entendue : les salariés de GE Hydro et d’EDF ont en commun d’être dirigés par des managers qui cherchent avant tout à faire du profit, au détriment des salariés et aux dépens de la transition énergique.
« Il faut unir nos forces pour avoir une chance de ne pas les laisser tout détruire dans nos métiers, pourtant indispensables à la réussite d’une transition énergétique urgente », exhortait, la veille de la rencontre à Bercy, les syndicats CGT, FO et SUD, dans un communiqué s’adressant aux salariés d’EDF.
L’État « brille par son silence »
Dans l’entreprise EDF, les syndicats dénoncent, de leur côté, un plan social de « 6 000 emplois supprimés en quatre ans sur 65 000 […], notamment dans l’hydraulique et à la R&D. […] EDF profite de la transition énergétique pour en faire une transition sociale », vilipendent les syndicats.
Et de sonner également le tocsin à la vue des filiales low cost d’EDF dans l’éolien et le solaire « payant ses salarié-e‑s 35 % de moins ». Quant à l’hydro-électricité, elle est « siphonnée pour la petite hydraulique vers des filiales EDF low cost. Et sera, redoutent les syndicats, « bradée à la concurrence dès que Bruxelles et la Commission européenne auront gagné leur bras de fer sur les renouvellements de concessions des barrages, privant de fait EDF (qui n’aura même pas le droit de postuler à sa succession !) de vallées entières qu’elle exploitait jusque-là ». Deux stratégies délétères et un seul responsable aux yeux des syndicats : l’État « qui brille par son silence ».