En campagne Pierre Moscovici ? Le commissaire européen, à Grenoble ce 10 février, revient pour Place Gre'net, sur les crises que traverse l'Europe.

P. Moscovici : “mon com­bat pour 2017, c’est la lutte contre la fraude à la TVA”

P. Moscovici : “mon com­bat pour 2017, c’est la lutte contre la fraude à la TVA”

ENTRETIEN – A deux ans des élec­tions euro­péennes, la Commission euro­péenne part en cam­pagne. Alors que les crises suc­ces­sives fra­gi­lisent l’Europe, que les dis­cours natio­na­listes gagnent du ter­rain, Bruxelles sonne le rap­pel des troupes. Le com­mis­saire euro­péen aux affaires éco­no­miques et finan­cières, le Français Pierre Moscovici, à Grenoble ce ven­dredi 10 février, revient pour Place Gre’net sur le Brexit, le risque de déli­te­ment de l’Europe, la relance de la crois­sance et la lutte contre l’é­va­sion fis­cale et la fraude à la TVA.

Quelle est la rai­son de votre venue ce ven­dredi 10 février* à Grenoble ?

Pierre Moscovici à Grenoble. Commission de la dernière chance, Brexit, évasion fiscale… © European Union , 2017 / Source- EC - Audiovisual Service / Photo- Johanna Leguerre

Pierre Moscovici © European Union , 2017 / Source- EC – Audiovisual Service / Photo- Johanna Leguerre

Je vou­lais me rendre dans l’un des cœurs bat­tants de l’é­co­no­mie euro­péenne. L’Isère est en effet un exemple de tran­si­tion réus­sie vers l’é­co­no­mie de la connais­sance et d’in­té­gra­tion har­mo­nieuse à la mondialisation.

L’agglomération gre­no­bloise est la 5ème agglo­mé­ra­tion la plus inno­vante au monde. C’est aussi un exemple de réus­site euro­péenne : l’Isère se situe à la fron­tière avec l’Italie et elle a su tirer parti de cette posi­tion pour déve­lop­per ses échanges avec la Lombardie. Mais pas seule­ment : cer­taines entre­prises gre­no­bloise sont connec­tées avec l’Allemagne, avec l’Espagne.

L’Europe a aidé et conti­nuera à aider le ter­ri­toire isé­rois à se tour­ner vers l’a­ve­nir, en sou­te­nant l’in­ves­tis­se­ment dans cer­tains domaines clefs. Plus de 3,2 mil­liards d’eu­ros de fonds euro­péens seront inves­tis d’ici 2020. Au moment où le pro­jet euro­péen est cri­ti­qué, où cer­tains veulent le retour aux fron­tières, où cer­tains pré­fèrent les murs aux ponts, le dyna­misme gre­no­blois nous montre que le repli sur soi n’est jamais la bonne solution.

M. Juncker défi­nit cette Commission euro­péenne comme la Commission de la « der­nière chance »…

Nous assis­tons depuis plu­sieurs années à une mon­tée des forces popu­listes, par­tout en Europe, et à un retour en force des dis­cours natio­na­listes et pro­tec­tion­nistes. Avec les élec­tions euro­péennes en 2019, le risque d’un Parlement euro­péen dominé par ceux qui veulent la fin de l’Europe est réel. Et une Europe domi­née par les euro­phobes, c’est la para­ly­sie et le début du déli­te­ment de l’Union.

« Avec les élec­tions euro­péennes en 2019, le risque d’un Parlement européen

dominé par ceux qui veulent la fin de l’Europe est réel »

Voilà pour­quoi le Président Juncker a parlé de cette Commission comme celle de la der­nière chance : nous nous devons de ren­ver­ser la ten­dance actuelle et convaincre les citoyens qu’il y a besoin d’Europe. Pour cela, il faut plus d’ef­fi­ca­cité dans trois domaines : la pro­tec­tion – qui n’est pas le pro­tec­tion­nisme – que ce soit au niveau social ou de la sécu­rité, plus de démo­cra­tie et plus d’ef­fi­ca­cité éco­no­mique. Nous gué­ris­sons de la crise de 2008, la reprise est là, mais la crois­sance n’est pas assez forte et le chô­mage est encore trop élevé, par­ti­cu­liè­re­ment en France.

Après le Brexit, redou­tez-vous la sor­tie de l’Europe d’autres pays de l’union ?

Pierre Moscovici © European Union , 2017 / Source- EC - Audiovisual Service / Photo- Georges Boulougouris .jpg

Pierre Moscovici © European Union , 2017 / Source- EC – Audiovisual Service / Photo- Georges Boulougouris .jpg

Non. Le résul­tat du réfé­ren­dum bri­tan­nique a été un choc, une sur­prise que peu avaient vu venir. Mais je ne pense pas, et je ne sou­haite pas, que ce scé­na­rio se repro­duise. Les Britanniques ont tou­jours eu une rela­tion spé­ciale avec le reste de l’UE, ils ont tou­jours eu, si j’ose dire, un pied dedans et un pied dehors… Ce n’est pas le cas des autres Etats-membres, dont les liens avec l’UE et leur sen­ti­ment d’ap­par­te­nance à l’Union sont beau­coup plus profonds.

De plus, je pense que le coût éco­no­mique et poli­tique du Brexit décou­ra­gera beau­coup de par­tis de s’en­ga­ger dans la même voie. Et puis, il y a le monde qui nous entoure : un monde dominé par un Trump inquié­tant, une Russie mena­çante, une Chine puis­sante mais fra­gile. Dans ce monde-là, il y a besoin d’une Europe forte, d’une Europe unie. Faire le pari de l’i­so­le­ment, du repli sur soi est un pari qui me semble extrê­me­ment risqué.

Après avoir mis en place, entre 2008 et 2014, une poli­tique d’aus­té­rité, le plan Juncker pré­voit de relan­cer la crois­sance mais intro­duit aussi plus de flexi­bi­lité dans les règles. La France a ainsi obtenu deux années sup­plé­men­taires pour réduire son défi­cit à 3 %. En maniant la carotte et le bâton, la poli­tique de l’Europe ne risque-t-elle pas de perdre en lisibilité ?

Croissance et sérieux bud­gé­taire sont sou­vent oppo­sés dans le débat public, mais je crois qu’il s’a­git d’ob­jec­tifs com­plé­men­taires. Les Etats dont la santé éco­no­mique est aujourd’­hui la meilleure en Europe ont su com­bi­ner les deux. Comprenons nous bien – je ne dis pas que l’aus­té­rité est sans effet sur la crois­sance, mais le laxisme bud­gé­taire n’est pas sans risques non plus.

« Cette réduc­tion du défi­cit est d’au­tant plus impor­tante que nous entrons

dans une période d’in­cer­ti­tudes géo­po­li­tiques et éco­no­miques grandissantes

et qu’a­voir une dette éle­vée, c’est une fac­teur de vulnérabilité »

Tout est une ques­tion de dosage et c’est la rai­son pour laquelle intro­duire un cer­tain degré de flexi­bi­lité au sein de nos règles actuelles per­met de gagner en effi­ca­cité au ser­vice de la crois­sance et de l’emploi. Les règles sont néces­sai­re­ment poli­ti­que­ment car elles sont le contrat de confiance qui accom­pagne l’euro. Elles sont éga­le­ment effi­caces car elles nous ont per­mis de pas­ser d’un défi­cit moyen de plus de 6 % à un défi­cit moyen de 1,5 % en Europe. Cette réduc­tion du défi­cit est d’au­tant plus impor­tante que nous entrons dans une période d’in­cer­ti­tudes géo­po­li­tiques et éco­no­miques gran­dis­santes et qu’a­voir une dette éle­vée, c’est une fac­teur de vulnérabilité.

Quels sont les moyens mis en œuvre pour relan­cer la croissance ?

Il y a abord l’ap­pli­ca­tion intel­li­gente de nos règles bud­gé­taires – nous devons veiller à ce que les Etats se désen­dettent mais sans étouf­fer la crois­sance. Puis, il y a l’in­ves­tis­se­ment et le plan Juncker, récem­ment dou­blé pour atteindre 500 mil­liards d’eu­ros d’ici 2020. L’investissement est le talon d’Achille de l’é­co­no­mie euro­péenne, et ce qui explique en par­tie le fait que la crois­sance ne soit pas suf­fi­sam­ment robuste actuel­le­ment. Le plan Juncker a donc été mis en place pour boos­ter l’in­ves­tis­se­ment, dans des sec­teurs d’a­ve­nir pour notre conti­nent : le numé­rique, le déve­lop­pe­ment durable… La France est d’ailleurs l’un des pays qui en béné­fi­cie le plus, avec 14 mil­liards d’eu­ros déjà investis.

La Commission européenne Junker au siège à Bruxelles.

Commission Junker : Commission de la der­nière chance ? © Patricia Cerinsek

Quels sont les moyens mis en œuvre pour lut­ter contre l’é­va­sion fis­cale, dont la Commission a fait une de ses priorités ? 

L’évasion fis­cale est un sujet sur lequel la Commission a plus avancé en deux ans qu’au cours des dix der­nières années. Les scan­dales suc­ces­sifs, Luxleaks, Bahamas Leaks et autres Panama Papers nous ont per­mis de mettre la pres­sion sur les Etats-membres pour avan­cer – car dans le domaine de la fis­ca­lité, la règle, c’est l’u­na­ni­mité. C’est un com­bat qui ne peut être gagné qu’au niveau euro­péen et pour cela nous sui­vons un prin­cipe simple : les mul­ti­na­tio­nales doivent payer leurs impôts là où elles font des bénéfices.

« Mon com­bat pour 2017, c’est la lutte contre la fraude à la TVA,

notam­ment la fraude “car­rou­sel”, qui repré­sente un manque à gagner

de 70 mil­liards d’eu­ros pour les États membres »

Dans cette pers­pec­tive, nous avons signé des accords avec le Lichtenstein, la Suisse, Andorre, Monaco, San Marin, pour qu’il n’y ait plus de secret ban­caire en Europe ; nous avons géné­ra­lisé l’é­change auto­ma­tique d’in­for­ma­tions entre Etats membres ; et nous sommes main­te­nant en train d’é­ta­blir une liste noire euro­péenne des para­dis fis­caux. En bref, nous avons lancé la révo­lu­tion de la transparence !

Parallèlement, nous avons éga­le­ment lancé la révo­lu­tion de la sim­pli­cité, avec l’ACCIS (assiette com­mune conso­li­dée pour l’im­pôt sur les socié­tés) et la réforme de la TVA sur le com­merce en ligne. Mon com­bat pour 2017, c’est la lutte contre la fraude à la TVA, notam­ment la fraude « car­rou­sel », qui repré­sente un manque à gagner de 70 mil­liards d’eu­ros pour les Etats membres. Dans le contexte éco­no­mique que nous connais­sons, alors que la pres­sion fis­cale sur les ménages est forte, tout euro de fraude est un euro de trop ! C’est aussi moins de ser­vices publics, moins d’in­ves­tis­se­ment… C’est tout sim­ple­ment insupportable.

Propos recueillis par Patricia Cerinsek

* Pierre Moscovici échan­gera avec les Grenoblois ce ven­dredi 10 février à 17 heures dans les locaux de GEM. Un « dia­logue citoyen » construit sur le thème de « L’euro : frein ou moteur pour la crois­sance ou l’emploi ? » est ouvert au public sur inscription.

Patricia Cerinsek

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