REPORTAGE PHOTO – Les fêtes de fin d’année sont également juives, avec les festivités de Hanoucca, fête de la lumière, se déroulant cette année du 24 au 31 décembre. Une célébration de la résistance et de l’espérance, à laquelle les Juifs de Grenoble se livrent également à l’extérieur, place André-Malraux, depuis quelques années.
Messes de Noël, marchés de Noël, crèches de Noël… On en oublierait presque que le mois de décembre est aussi marqué par une autre fête religieuse, en l’occurrence Hanoucca. La fête juive des lumières se déroule cette année du 24 au 31 décembre 2016, soit en plein dans le calendrier des fêtes de fin d’année.
Tous les soirs durant huit jours, les Juifs se retrouvent alors en famille pour allumer une nouvelle flamme de leur candélabre, jusqu’à ce que les huit branches soient illuminées le dernier jour. Selon les traditions, on compte un candélabre par foyer ou par membre du foyer. Des allumages communautaires se font également à la synagogue… ainsi qu’en public, place André-Malraux à Grenoble, depuis quelques années.
À l’origine, Alexandre le Grand
Mais d’où vient cette tradition et que signifie-t-elle ? Hanoucca*, ainsi que nous le raconte le rabbin de Grenoble Nissim Sultan, est une fête née de la rencontre entre les cultures grecques et juives, lorsque Alexandre le Grand a entrepris d’étendre la domination grecque de l’autre côté de la Méditerranée, notamment en Judée. Nous sommes au IVe siècle avant Jésus-Christ.
L’attitude d’Alexandre vis-à-vis des peuples conquis se veut relativement conciliante, et les Juifs apprécieront qu’il ait épargné la cité de Jérusalem, des rabbins de l’époque appelant même les familles à prénommer leurs enfants Alexandre. Mais les choses se gâteront deux siècles plus tard avec Antiochos IV Épiphane. « Lui considère qu’il faut mater les Judéens et interdire la pratique religieuse », explique Nissim Sultan.
« Vous aurez toutes les attitudes, continue le rabbin : ceux qui vont être conciliants avec ces décrets, ceux qui vont se taire ou fuir, et ceux qui vont combattre. C’est un combat désespéré, qui consistera à aller dans les cavernes, à prendre le maquis… Et c’est d’ailleurs une famille de prêtres, les Macchabées, qui va démarrer la révolte. Une révolte qui, contre toute attente, va fonctionner, jusqu’à ce que Jérusalem soit reprise ! »
Le miracle de la flamme
À ce premier « miracle » d’une victoire remportée contre des armées bien formées et bien organisées s’en ajoutera un deuxième, fondateur de la fête de Hanoucca. « Le temple ayant été gravement souillé, il faut le nettoyer et l’on n’a même pas de quoi allumer le candélabre. Il faut une huile pure cachetée. Et la légende talmudique raconte que l’on a trouvé une seule fiole d’huile qui n’avait pas été entamée : on l’a allumée pour un jour et cette flamme a duré huit jours. » C’est ainsi qu’est née la fête de Hanoucca.
Chaque soir durant Hanoucca, une nouvelle branche du candélabre est allumée. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
Quelle signification a cette fête, plus de vingt siècles après le “miracle” ? « L’idée de résistance et l’idée d’espérance, pour Nissim Sultan. Le sourire du ciel, comme on dit volontiers, qui vient quand on ne l’attend plus. C’est se dire que quand tout est foutu, on peut toujours tenter quelque chose, et que les destructions ne sont pas de l’ordre de l’absolu ou du définitif, que tout pourrait pousser et que les morts même pourraient revivre s’il le fallait ! »
Un rapport ambivalent à la philosophie
« Mais il y a aussi la grande question de Hanoucca qui est le rapport à la philosophie, ajoute Nissim Sultan. C’est un rapport ambivalent : d’un côté, on garde la mémoire positive d’un mélange de modes et des outils de pensée entre hellénisme et judaïsme. Faire de la philosophie, utiliser sa raison pour évaluer les textes, pour penser le monde et faire la loi, c’est un acquis dont on ne se départirait pas et le Talmud est né un peu de ça. »
« D’un autre côté, il y a aussi la défiance à l’endroit des modes de vie des philosophes, à l’endroit des entreprises de réflexion qui pourraient déconstruire le dogme au lieu de le justifier, et certains sont tentés de rester à l’écart de la philosophie. C’est un “je t’aime, moi non plus” avec la philosophie, et cela pose même la question du positionnement des Juifs entre Orient ou Occident. Tout ça, cela vient un peu de Hanoucca », estime encore le rabbin de Grenoble.
Une célébration en public très contemporaine
Les Grenoblois ont pu croiser la fête de Hanoucca à l’occasion d’une promenade, cette année ou les précédentes. Une branche de candélabre est en effet également allumée en extérieur chaque soir. Mais pourquoi procéder à cette cérémonie en public, alors que la religion juive ne se veut pas prosélyte ?
« Ce n’est pas quelque chose d’inscrit dans la loi juive. C’est tout à fait contemporain, cela se fait depuis une poignée d’années à peine », note Nissim Sultan. Un désir, dans le fond, de partager ce moment particulier avec les passants, né du courant hassidique qui prône une manière plus joyeuse, mais aussi plus mystique, d’approcher le judaïsme.
L’ancien maire de Grenoble Michel Destot compte parmi les personnalités politiques fidèles au rendez-vous des célébrations de Hanoucca. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
« On pourrait craindre, dans le contexte français actuel, que cela soit mal perçu mais c’est accueilli avec une relative bienveillance. Les politiques viennent volontiers, cela fait partie des rendez-vous religieux qu’ils ne manquent pas. Ce n’est pas exactement une prière de rue mais surtout une fête de la lumière, un symbole de paix qui se partage bien, qui est toujours bien perçu. Et ça ne mange pas de pain ! » L’occasion aussi pour les passants de goûter aux beignets confectionnés pour l’occasion.
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« Être Juif à Grenoble, ça se passe globalement bien »
La bienveillance est-elle liée à Grenoble elle-même, son histoire comme son mode de vie ? « Ce que je ressens ici, c’est un cosmopolitisme de bon aloi, un centre urbain avec toute sa richesse. Nous ne sommes pas dans une campagne exclusive. On vient de partout, on va partout depuis Grenoble », analyse Nissim Sultan, qui n’oublie pas non plus que Grenoble compte parmi les cinq villes de France à avoir reçu le titre de Compagnon de la Libération.
Célébration de Hanoucca, place André-Malraux, Grenoble, le 28 décembre 2016. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
« Sur le plan de la sécurité, juge encore le rabbin, ce n’est ni pire ni meilleur qu’ailleurs. Être Juif a Grenoble, ça se passe globalement bien, mais nous sommes très vigilants. Il y a du répondant au niveau des forces de l’ordre et des politiques. La communauté juive est respectée, estimée, écoutée. En gros, j’ai connu pire ! »
Un désir de dialogue inter-religieux
Reste enfin une volonté, partagée, d’un dialogue inter-religieux avec le diocèse et la mosquée de Grenoble. Et même, entre le rabbin et l’imam de Grenoble, « de famille à famille », ajoute Nissim Sultan, qui nourrit des projets de collaborations œcuméniques sur des questions sociales comme, par exemple, l’accueil des migrants.
Un besoin de dialogue d’autant plus marqué que les tensions entre Juifs et Musulmans existent, et que les premiers comptent parmi les cibles du terrorisme islamique. Nissim Sultan se refuse à toute naïveté, mais se veut volontaire : « On ne changera pas les radicalités violentes mais il y a des signes positifs à envoyer. Si on donne aux terroristes le plaisir de ne pas arriver à s’entendre entre modérés, ça ne va pas le faire ! »
Florent Mathieu
* La fête de Hanoucca peut s’écrire de nombreuses manières différentes – Hanouka, Hanoukah, Hanoukka, H’annouka… Les puristes pourront se tourner vers le mot hébreu חנוכה.