Référendum d'Allex sur l'accueil des migrants annulé par le tribunal administratif de Grenoble le 30 septembre 2016. DR

Accueil des migrants à Allex : une ten­ta­tive de réfé­ren­dum avortée

Accueil des migrants à Allex : une ten­ta­tive de réfé­ren­dum avortée

BLOG JURIDIQUE – Suite au pro­jet d’accueil de 50 migrants dans la com­mune drô­moise d’Allex, le maire a annoncé l’organisation d’un réfé­ren­dum pour deman­der l’avis des habi­tants. L’estimant illé­gal sur dif­fé­rents points, le pré­fet a décidé de deman­der son annu­la­tion au juge admi­nis­tra­tif. Le 30 sep­tembre, le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble a suivi le pré­fet en ren­dant une déci­sion de sus­pen­sion de cette délibération.

La crise des migrants : un enjeu huma­ni­taire très politisé

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La ques­tion des réfu­giés est deve­nue un véri­table enjeu poli­tique et média­tique en France. Suite aux ten­sions qui règnent au sujet de la « jungle de Calais », sur fond de ques­tion de sécu­rité, nous assis­tons à un déchaî­ne­ment des par­tis poli­tiques. A la veille des élec­tions pré­si­den­tielles, c’est même devenu l’une des ques­tions pri­mor­diales du débat électoral.

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La « jungle de Calais » est le plus grand bidon­ville d’Europe : plus de 10 000 migrants vivent dans ce camp et leur nombre ne cesse d’augmenter. Si cette zone fait l’objet d’un véri­table engoue­ment média­tique, c’est qu’il y a eu régu­liè­re­ment des débor­de­ments. En effet, de nom­breux migrants ont perdu la vie en vou­lant rejoindre le Royaume-Uni et les affron­te­ments entre poli­ciers et migrants ne cessent de se multiplier.

Face à ces pro­blèmes, le gou­ver­ne­ment a donc décidé de déman­te­ler le camp avant la fin de l’année, mais cette déci­sion a pro­vo­qué une vague d’opposition : Laurent Wauquiez, le pré­sident de la région Auvergne Rhône-Alpes et pré­sident par inté­rim du parti Les Républicains, a mis en ligne le 16 sep­tembre une péti­tion inti­tu­lée « non à la créa­tion de jungles sur l’ensemble du ter­ri­toire ». Malgré cette vague d’opposition, les réfu­giés seront répar­tis sur l’intégralité ter­ri­toire, ce qui per­met­tra d’améliorer leurs condi­tions de vie mais aussi de main­te­nir l’ordre public.

Le plan du gou­ver­ne­ment en matière d’hébergement d’urgence des migrants de Calais

Un plan a été adopté par le gou­ver­ne­ment pour four­nir des solu­tions d’accueil des réfu­giés, afin de per­mettre un début de déman­tè­le­ment de la « jungle de Calais ». Ce plan implique notam­ment la pos­si­bi­lité pour les migrants vivant sur place d’être orien­tés vers des « Centres d’accueil et d’orientation » (CAO) dis­sé­mi­nés sur le ter­ri­toire. Ces centres sont conçus comme des héber­ge­ments tem­po­raires leur offrant une période de répit et un accom­pa­gne­ment admi­nis­tra­tif dans leurs démarches.

A ce sujet, des cir­cu­laires du 9 novembre et du 7 décembre 2015 sont venues pré­ci­ser les moda­li­tés d’organisation de ces CAO et leur arti­cu­la­tion avec les « Centres d’accueil des deman­deurs d’asiles » (Cada), qui sont, quant à eux, spé­cia­li­sés dans l’accompagnement des deman­deurs d’asiles et qui ne sont pas ame­nés à être rem­pla­cés par ces der­niers. Depuis lors, envi­ron 150 centres de ce type ont été créés sur le territoire.

Le contenu du pro­jet d’accueil dans la com­mune d’Allex

La région Auvergne Rhône-Alpes devrait nor­ma­le­ment accueillir 1 784 migrants, mais cette nou­velle a déjà sus­cité le mécon­ten­te­ment de cer­taines com­munes telles que celle d’Allex, située dans le dépar­te­ment de la Drôme. Elle compte 2 471 habi­tants et doit rece­voir un CAO des­tiné à accueillir cin­quante migrants : des hommes, des femmes et des couples venant de hots­pots (centres d’enregistrements des migrants), de Calais ou de squats de la région parisienne.

La com­mune d’Allex a été pré­ci­sé­ment choi­sie en rai­son de la pré­sence d’une struc­ture que la pré­fec­ture juge bien adap­tée. Il s’agit du domaine Pergaud. Cet éta­blis­se­ment géré par le Diaconat pro­tes­tant de Valence était, il y a encore quelque mois, un centre d’hébergement et de réin­ser­tion sociale (CHRS) qui accueillait des malades polydépendants.

La pré­fec­ture de la Drôme vante les mérites de cette asso­cia­tion d’utilité publique pour ses qua­li­tés recon­nues de ges­tion­naire, en avan­çant qu’aucun inci­dent n’a pu être relevé pen­dant la prise en charge de ce public rela­ti­ve­ment dif­fi­cile. Ce qui ne semble pas exa­géré puisque le Diaconat est aussi le ges­tion­naire du Cada de Valence et de celui de Tournon dans la Drôme. C’est donc assez natu­rel­le­ment qu’il s’est vu confier les com­mandes de ce petit CAO.

14593251_10209111697128589_1747340791_nDésormais, il y a dans l’établissement 26 chambres qui pour­ront accueillir les migrants, avec un enca­dre­ment assuré en tout et pour tout par une dizaine de pro­fes­sion­nels ainsi que six méde­cins béné­voles, quatre infir­mières et un veilleur de nuit pour la sécu­rité. La pré­fec­ture indique que la durée de séjour des migrants est située entre un et trois mois, le temps de béné­fi­cier d’un repos et d’un accom­pa­gne­ment suf­fi­sants. L’intégralité des coûts est prise en charge par l’État.

La droite locale en croi­sade contre les migrants

© France 3 RA

En échos aux décla­ra­tions de Laurent Wauquiez, qui entend accom­pa­gner les maires concer­nés dans une résis­tance contre l’accueil des migrants, c’est un vent de contes­ta­tion de ce pro­jet qui a souf­flé chez une par­tie des élus muni­ci­paux et des habi­tants de la com­mune d’Allex.

Après une pré­sen­ta­tion du pro­jet le 22 juillet à Gérard Crozier, maire d’Allex, Éric Spitz, pré­fet de la Drôme, est allé à l’encontre du conseil muni­ci­pal, le 5 sep­tembre der­nier, pour pré­sen­ter cette fois le pro­jet en réunion publique. Cela a pro­vo­qué une mani­fes­ta­tion le 10 sep­tembre – pro et anti-migrants se fai­sant alors face dans les rues de la petite com­mune – sui­vie d’un conseil muni­ci­pal hou­leux quelques jours plus tard.

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Le maire d’Allex, fer­me­ment opposé à ce pro­jet, a par ailleurs fait adop­ter une déli­bé­ra­tion le 13 sep­tembre 2016 pré­voyant d’organiser un réfé­ren­dum local le 2 octobre pour deman­der l’avis de la popu­la­tion sur l’accueil des migrants.

En dépit de la mise en garde du pré­fet sur l’illégalité de l’organisation de ce réfé­ren­dum dans sa lettre du 9 sep­tembre 2016, le maire a entendu main­te­nir la consul­ta­tion et a même tenté de blo­quer le contrôle de la pré­fec­ture. En témoigne son refus de trans­fé­rer cette déli­bé­ra­tion au pré­fet dans le cadre du contrôle de léga­lité. C’est ainsi que le juge des réfé­rés du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble a enjoint au maire de la trans­mettre, sous peine de se voir astreindre à payer 1 000 euros par jour de retard.

870x489_20160928_182643C’est dans ce cli­mat agité que le centre a pu, mal­gré tout, ouvrir ses portes le 22 sep­tembre et accueillir le même jour un pre­mier groupe de migrants : six hommes, deux femmes et trois enfants en bas âge ori­gi­naires d’Afghanistan, d’Irak et du Soudan. De leur côté, des pro-migrants ont adressé un mes­sage de bien­ve­nue aux migrants en taguant une qua­ran­taine de « wel­come » dans les rues d’Allex, quelques jours avant la date du référendum.

La léga­lité très dis­cu­table de l’organisation du réfé­ren­dum au regard des condi­tions posées par le droit positif

Rappelons que le réfé­ren­dum local per­met aux élec­teurs, sous cer­taines condi­tions, de déci­der par leur vote de la mise en œuvre ou non d’un pro­jet rele­vant de la com­pé­tence de la col­lec­ti­vité. Véritable outil de démo­cra­tie locale, ce dis­po­si­tif a été ins­tauré par la révi­sion consti­tu­tion­nelle du 28 mars 2003, créant l’alinéa 2 de l’article 72 – 1 de la Constitution.

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Et ses moda­li­tés ont été pré­ci­sées par la loi orga­nique n°2003 – 705 du 1er août 2003 rela­tive au réfé­ren­dum local, codi­fiée aux articles LO. 1112 – 1 à LO. 1112 – 14 du Code géné­ral des col­lec­ti­vi­tés territoriales.

L’alinéa 2 de cet article 72 – 1 dis­pose : « Dans les condi­tions pré­vues par la loi orga­nique, les pro­jets de déli­bé­ra­tion ou d’acte rele­vant de la com­pé­tence d’une col­lec­ti­vité ter­ri­to­riale peuvent, à son ini­tia­tive, être sou­mis, par la voie du réfé­ren­dum, à la déci­sion des élec­teurs de cette col­lec­ti­vité. »

Concernant ses moda­li­tés de mise en œuvre, le réfé­ren­dum local, dont l’initiative revient à l’assemblée locale, ne peut se tenir que sur des ques­tions qui relèvent de la com­pé­tence de la col­lec­ti­vité concer­née et non sur des ques­tions d’ordre géné­ral ou rele­vant de l’État. Dans le cas contraire, le pré­fet pourra s’y oppo­ser. En outre, le jour du scru­tin fixé par le conseil muni­ci­pal ne peut avoir lieu moins de deux mois après la trans­mis­sion au repré­sen­tant de l’État du texte sur lequel por­tera le vote. Or, en l’espèce, ces deux condi­tions n’ont pas été respectées.

D’une part, cette déli­bé­ra­tion muni­ci­pale qui porte sur l’organisation d’un réfé­ren­dum local relève par défi­ni­tion des attri­bu­tions de l’État, l’hébergement d’urgence rele­vant de sa com­pé­tence. Et d’autre part, le jour du scru­tin a été fixé seule­ment trois jours après la trans­mis­sion de la déli­bé­ra­tion au pré­fet. Bien des rai­sons qui peuvent per­mettre au juge admi­nis­tra­tif d’invalider ce référendum.

La sus­pen­sion peu sur­pre­nante de l’exécution du réfé­ren­dum ordon­née par le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble

photo-ta-bilan-2015Les 26 et 28 sep­tembre 2016, le pré­fet de la Drôme a déposé deux requêtes en urgence auprès du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble en vue d’empêcher l’organisation de ce réfé­ren­dum. Par une requête enre­gis­trée le 26 sep­tembre 2016, le juge des réfé­rés a ordonné sur le fon­de­ment des dis­po­si­tions de l’article L.521 – 1 du code de jus­tice admi­nis­tra­tive la sus­pen­sion du refus du maire de trans­mettre la déli­bé­ra­tion liti­gieuse for­ma­li­sant la tenue du réfé­ren­dum local, au titre du contrôle de léga­lité, et a enjoint au maire d’Allex de lui trans­mettre cette déli­bé­ra­tion dans un délai de 24 heures sous peine de se voir astreindre à payer 1 000 euros par jour de retard.

Puis, le ven­dredi 30 sep­tembre 2016, le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble, saisi d’une demande en référé for­mu­lée par le pré­fet de la Drôme, a ordonné la sus­pen­sion de l’exécution de la déli­bé­ra­tion muni­ci­pale por­tant sur l’organisation du réfé­ren­dum le dimanche 2 octobre 2016, et ce au visa des articles LO. 1112 – 1 à LO. 1112 – 3 du code géné­ral des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Il a ainsi confirmé l’analyse juri­dique de la pré­fec­ture de la Drôme. En effet, déjà dans la lettre à l’attention du maire de la com­mune d’Allex en date du 9 sep­tembre 2016, le pré­fet de la Drôme avait relevé que la déci­sion était enta­chée d’illégalité, ce qui a été confirmé par le juge. Le juge admi­nis­tra­tif des réfé­rés a donc estimé que la déli­bé­ra­tion était enta­chée d’un vice incom­pé­tence ainsi que d’un vice de procédure.

Vice d’incompétence :

Concernant la com­pé­tence, l’hébergement d’urgence, c’est-à-dire l’ouverture du Centre d’Accueil et Orientation pour migrants, ne relève pas de la com­pé­tence de la com­mune mais de l’État. De manière tout à fait logique, le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif consi­dère ainsi qu’« un réfé­ren­dum local ne peut avoir qu’un objet rele­vant de la com­pé­tence de la col­lec­ti­vité ter­ri­to­riale ».

Vice de procédure :

Concernant la pro­cé­dure et plus pré­ci­sé­ment les délais, l’organisation d’une consul­ta­tion de la popu­la­tion ne peut inter­ve­nir que dans un délai de deux mois sui­vant la trans­mis­sion de la déli­bé­ra­tion du conseil muni­ci­pal au pré­fet. Or, en l’espèce, cette déli­bé­ra­tion n’a été trans­mise au pré­fet que le jeudi 29 sep­tembre 2016, soit trois jours avant la date pré­vue pour le référendum.

C’est donc dans un cli­mat d’opposition entre le droit et le poli­tique que le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble a rendu une déci­sion de prin­cipe. Soucieux d’empêcher l’instrumentalisation des dis­po­si­tifs de consul­ta­tion locale, le juge admi­nis­tra­tif a, à bon droit, cen­suré ce réfé­ren­dum syno­nyme d’agitation. Espérons que cette déci­sion fera taire toutes les volon­tés d’organiser d’autres réfé­ren­dums sur cette question.

Chadiya Ait-Hsain, Bastien Ghiraldo, Anne-Charlotte Reynes
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FB, NK et RR

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