REPORTAGE VIDÉO – Près de deux cents personnes ont répondu à l’appel du journal satirique grenoblois Le Postillon qui organisait, ce mercredi 29 juin, un “vernissage judiciaire” devant le palais de justice. Assigné devant le tribunal correctionnel de Grenoble aux motifs d’injures et diffamation par Christophe Ferrari, le président de la Métropole, le journal risque gros. En cause, un article paru en décembre 2015 qui dénonçait le « système de défiance et de surveillance généralisée » que l’élu aurait mis en place.
« Nous, nous sommes plutôt vieux jeu. Nous aurions préféré un duel avec un Métrovélo pour faire un sprint entre Grenoble et Pont-de-Claix, ou encore un concours de roue arrière. Mais Christophe Ferrari et sa directrice de cabinet ont préféré régler ça par la justice… », regrette Vincent Peyret, directeur de la publication du Postillon. Ce dernier vient de prendre la parole devant la petite foule venue le soutenir, lui et son équipe de journalistes, pour le premier procès intenté au Postillon.
Un premier procès en diffamation ? Qu’à cela ne tienne et foin de lamentations, ça se fête ! C’est du moins ainsi que le conçoivent les journalistes du mensuel qui n’ont pas lésiné sur la mise en scène – soignée et étudiée – de leur toute première assignation en justice.
Un « vernissage judiciaire »
C’est à une scène quelque peu surréaliste qu’on pouvait assister, ce mercredi 29 juin, sur le coup de midi aux abords immédiats du palais de justice de Grenoble. Près de deux cents personnes se pressaient autour de quelques tables décorées et garnies de nappes blanches. Des serveurs et serveuses en tenues s’affairaient avec zèle, qui à faire passer des plats garnis de petits fours, qui à servir les coupes de champagne.
Le Postillon, journal satirique local, avec l’humour teinté d’une bonne dose d’ironie qui le caractérise, vient d’inventer un nouveau type de vernissage, le “vernissage judiciaire”. Une manière pour les journalistes du mensuel de célébrer leur premier procès. « C’est une étape très importante dans le développement d’un petit journal local indépendant », expliquent-ils narquoisement dans un article publié sur leur site web. En filigrane et dans toutes les têtes, la liberté de la presse et ses limites.
Retour en images sur les prémices en forme de happening de l’audience correctionnelle qui ne se déroulera que beaucoup plus tard dans l’après-midi. L’occasion aussi de recueillir quelques témoignages ainsi que l’état d’esprit dans lequel Vincent Peyret, le directeur de publication du périodique, aborde ce premier procès.
Reportage Joël Kermabon
Une très importante demande en dommages et intérêts
Toujours est-il qu’en ce 29 juin Le Postillon risque gros. Après ce sympathique vernissage, c’est devant le tribunal correctionnel de Grenoble que Vincent Peyret va devoir s’expliquer. Le brûlot grenoblois est poursuivi par Christophe Ferrari, le président de la Métropole et maire de Pont-de-Claix, ainsi que par Yveline Denat, sa directrice de cabinet de l’époque, pour des qualifications d’injures et de diffamation.
En cause, un article paru en décembre 2015, dans lequel le “canard” local tirait à boulets rouges contre les deux plaignants.
Le papier intitulé « Le système Ferrari à plein régime » qualifiait de « balkanique » la gestion municipale de la ville de Pont-de-Claix.
Un néologisme utilisé par l’auteur de l’article – non signé comme c’est l’usage au Postillon – pour la comparer à celle mise en place à Levallois-Perret par les époux Balkany.
L’élu avait promptement réagi en demandant un droit de réponse, publié dans le numéro d’avril 2016. Las, cela s’est avéré insuffisant à ses yeux puisque le premier magistrat a non seulement maintenu la plainte mais l’a assortie d’une importante demande de réparation en dommages et intérêts, soit 21.000 euros…
Cela a fait l’effet d’une douche froide sur la rédaction, pour qui cela équivaut à un arrêt de mort du Postillon, dont les seules ressources proviennent des ventes. « Il aurait pu simplement demander la publication d’un droit de réponse, ou faire un procès en réclamant juste la publication du jugement ou le remboursement des frais de justice. Non ! Il désire également vider notre compte en banque et nous pousser au dépôt de bilan », regrettent les journalistes.
On en était là avant que ne débute l’audience correctionnelle.
Un enquête sérieuse, menée avec professionnalisme
C’est curieusement à un procès un peu plat auquel nous avons pu assister. Là où l’on pouvait s’attendre à une bataille acharnée – il est quand même question de la liberté de la presse et de diffamation –, on n’a eu droit qu’a un déroulement très conventionnel et procédural. Non pas que l’affaire ne soit pas digne d’intérêt, bien au contraire.
Cependant, le procès étant jugé par le tribunal correctionnel, et, au vu du nombre de dossiers empilés devant la présidente de la cour, cette dernière, pressée par le temps a été contrainte au service express sinon minimum. Pour autant, cela ne l’a pas empêchée de mener les débats dans les règles et de procéder à une lecture très détaillée de l’acte d’accusation.
Les citations consignées dans l’article du Postillon considérées comme diffamatoires seront notamment presque toutes évoquées par la magistrate. Au terme de cette longue énumération, le débat contradictoire a commencé avec l’audition de Vincent Peyret, qui assume, seul, la responsabilité de l’article incriminé. Son véritable auteur était pourtant présent à l’audience. Il a d’ailleurs prêté serment à la barre mais en qualité… de témoin, avant d’assurer devant la cour avoir mené l’enquête « de manière journalistique, avec sérieux et professionnalisme ».
« C’est un article à charge. Il y a animosité personnelle ! »
De manière journalistique ? C’est ce que conteste vivement Me Didier Supplisson, l’avocat des parties civiles. « Y aurait-il une excuse de bonne foi que pourrait invoquer Le Postillon ? », questionne-t-il, avant de souligner que la-dite bonne foi du journaliste ne saurait être retenue.
« Nous sommes sur un procès d’ordre politique. C’est votre droit mais ce qui est singulier, c’est la méthode […] C’est un article à charge et il y a animosité personnelle […] On veut tirer sur les élites ! »
Pour l’homme de loi, c’est limpide, le journaliste « n’a fait que colporter des ragots […] Il avait conscience qu’il ne se faisait que le relais des aigris, des mécontents », pourfend l’avocat.
Visés ici, les témoignages d’agents municipaux collectés par le journaliste pour les besoins de son article. De plus, ce qui pose également problème à Me Supplisson, c’est l’anonymat de l’article. Il s’en explique.
Finalement, l’avocat des parties civiles réclamera aux titre des dommages et intérêts les sommes de 5.000 euros pour Christophe Ferrari et de 10.000 euros pour Yveline Denat.
« Christophe Ferrari à décidé de mettre à mort le Postillon ! »
Curieusement, la représentante du parquet ne fera aucune réquisition, s’en remettant à la décision de la cour. Ce qui laisse le champ libre à la plaidoirie de Me Frederico Steinmann du barreau de Grenoble, l’avocat du Postillon.
« Voilà une drôle de procédure où il suffirait à la partie civile de dire “je suis diffamée”, pour obtenir gain de cause ! », attaque l’avocat. Pour ce dernier, c’est clair comme de l’eau de roche, « Christophe Ferrari à décidé de mettre à mort le Postillon ! », s’enflamme-t-il.
La procédure même employée par Christophe Ferrari – la citation directe – ne manque pas d’interpeller le ténor du barreau. La citation directe permet en effet à la victime ou au procureur de saisir directement le tribunal en informant la personne poursuivie des lieu et date de l’audience.
C’en est trop pour l’homme de loi qui n’en démord pas. « Il est absolument impératif que l’ensemble des intervenants démocratiques ne viennent pas s’ériger en juges […]
Il y a aujourd’hui une presse qui a la lourde charge qui est celle d’être libre et qui, pour ce faire, doit démontrer qu’elle travaille avec sérieux et probité. »
Et de mener le combat sur le terrain du droit, rien que du droit. Notamment sur “l’exception de vérité”, qui indique – en droit français – qu’une personne poursuivie pour diffamation peut échapper à une condamnation si elle prouve la vérité de ses allégations.
L’affaire a été mise en délibéré au 12 septembre.
Joël Kermabon