FOCUS – Vingt-six heures de débats contradictoires devant la cour d’appel de Grenoble n’ont en rien infléchi la volonté du procureur, qui a finalement requis la radiation du barreau de Grenoble de Me Bernard Ripert. Poursuivi et suspendu provisoirement pour des “manquements disciplinaires”, l’avocat pénaliste avait été relaxé par le conseil régional de discipline, avant que le bâtonnier et le parquet général n’interjettent appel. La délibération est renvoyée au 23 juin.
« Comme je sais que la cour aurait statué en mon absence, j’ai dû annuler mon opération d’un canal carpien aux deux mains, pour laquelle je devais être hospitalisé ce 8 juin », s’indigne Bernard Ripert. De fait, à l’issue de l’audience du 2 juin au cours de laquelle seuls les aspects procéduraux avaient été abordés, la cour avait fixé la poursuite des débats à ce jeudi 9 juin, refusant sa proposition de la renvoyer au 16 juin.
Une décision qui ne fait que confirmer le sentiment de persécution de l’avocat. « Des tortures psychologiques, les magistrats de la cour veulent passer aux tortures physiques ! », lance-t-il, outré. Ce n’est qu’une des nombreuses interventions du célèbre avocat pénaliste qui vont émailler cette deuxième journée d’audience. Bernard Ripert comparaît devant la cour d’appel de Grenoble, laquelle doit statuer, cette fois, sur le fond, sur sa radiation du barreau pour “manquements à la discipline”.
« Vous avez confisqué ce palais de justice ! »
Chat échaudé craint l’eau froide. L’accès du public à l’audience, et plus largement au palais de justice, est restreint. Il faut montrer patte blanche pour y pénétrer – convocations à des audiences, cartes de presse ou d’avocat. Une décision de Jean-François Beynel, le premier président de la cour d’appel de Grenoble lequel, gardant en mémoire les bousculades de la session précédente, entend bien cette fois-ci préserver la sérénité des débats.
C’est d’ailleurs sur ce point que Bernard Ripert rebondit d’entrée de jeu, mettant en cause l’absence de publicité des débats. « Vous avez confisqué ce palais de justice ! », clame-t-il de sa voix de stentor en s’adressant au président. Une publicité qu’il n’obtiendra que partiellement, dans la limite des places disponibles, la cour estimant que les règles de sécurité doivent être respectées. Et, du tac au tac, l’avocat de rétorquer : « Quand la salle est trop petite, le sage en ouvre une plus grande », déclame-t-il sentencieusement attribuant la citation à Confucius. Rires dans la salle.
Pour autant, on n’est pas là pour rire. L’affaire est très sérieuse, l’avocat le sait, il risque la radiation. Cependant, fidèle à sa réputation, il reste combatif et n’en démord pas, il va gagner.
« Je ne les laisserai pas me radier illégalement. Je sais et je suis sûr qu’en fin de cause je gagnerai et je resterai avocat, n’en déplaise à ces magistrats », affirme-t-il. Dans son combat pour éviter la radiation, l’avocat n’est pas seul.
Ses proches et une quarantaine de consœurs et de confrères en robes noires sont venus le soutenir dans cette dernière ligne droite. Quant au public, il a dû se contenter de rester sur les marches du palais de justice. C’est à qui glanerait, ça et là, des informations, ne pouvant compter que sur les personnes qui quittent la salle d’audience pour rejoindre le parvis durant les interruptions de séances.
« Tout cela est un peu lourd à supporter »
D’entrée de jeu, Bernard Ripert annonce la couleur, dévoilant un pan de sa stratégie. Il prévient la cour qu’il va déposer de nombreuses conclusions in limine litis – une expression du droit procédural signifiant “dès le commencement du procès”. Entendez des requêtes sur lesquelles la cour devra obligatoirement se prononcer avant d’aborder le fond, c’est-à-dire les griefs reprochés à l’avocat. Chacun de ces dépôts de conclusions occasionne une suspension de séance afin que la cour puisse en délibérer ou bien que Me Ripert puisse avoir le temps de les rédiger.
Au nombre de celles-ci, outre la publicité des débats, sont successivement évoquées la délocalisation de l’affaire, la recevabilité de la procédure d’appel, une nouvelle demande de récusation du président de la cour… Bref, ceux qui espéraient que le fond soit abordé dans la matinée, en sont pour leurs frais.
Bernard Ripert et ses conseils feront tant et si bien qu’au bout de quelques heures la cour, excédée et pressée d’arriver enfin au fond, sifflera la fin de partie.
« Tout cela est un peu lourd à supporter », déclare Paul Michel, le procureur général, qualifiant visiblement agacé, de « conclusions sommaires » certaines des interventions de Me Ripert. Il sera suivi par la cour. À partir de cet instant, toutes les conclusions déposées par Me Ripert seront jointes au fond. Comprenez qu’elles ne seront pas soumises à délibérations, une manière de gagner du temps et d’avancer dans le déroulement de la procédure.
Des manquements disciplinaires « graves »
Ce n’est qu’au début de l’après-midi qu’enfin ce fameux fond sera abordé. Quel est-il ? Que reproche-t-on à l’homme de loi ? Des manquements disciplinaires « graves », selon le procureur général. La cour va consacrer le reste de l’après-midi à l’examen minutieux de chacun d’entre eux. Après une matinée houleuse, c’est dans une certaine sérénité que se déroule cette phase cruciale du procès. Le premier président Jean-François Beynel n’y est pas pour rien. C’est avec calme et précision qu’il mènera ces débats et fera montre, du moins en apparence, de son souci d’impartialité. L’occasion pour Me Ripert de lui emboîter le pas. Il lui facilitera ainsi à maintes reprises la tâche, en abandonnant, pour quelques temps – mais rien n’est éternel – sa posture de combattant.
Me Ripert doit répondre de trois griefs. Au nombre d’entre eux, il lui est notamment reproché d’avoir défendu certains de ses clients lors de deux procès d’assises alors même qu’il était sous le coup d’une suspension provisoire. Ce que l’intéressé ne dément pas mais qu’il justifie en invoquant l’article 275 du Code de procédure pénale.
Celui-ci ne stipule-t-il pas en effet « qu’à titre exceptionnel, le président peut autoriser l’accusé à prendre pour conseil un de ses parents ou amis » ? C’est du moins la brèche procédurale dans laquelle avoue s’être engouffré, à l’époque, le ténor du barreau.
Sauf qu’utilisant leurs pouvoirs discrétionnaires les présidents de ces deux cours n’ont pas accédé à la requête des accusés.
Ces derniers refusant d’être défendus par d’autres avocats ont vu leurs procès respectifs renvoyés. Pour le procureur général, les choses sont claires. « Me Ripert faisait l’objet d’une interdiction temporaire d’exercer et il s’est présenté devant deux cours d’assises, où il prétend avoir défendu des clients “en ami” ! » Et d’enfoncer le clou : « Les deux procès ont été renvoyés et ses clients en ont pâti », martèle-t-il. Pour le procureur, c’est constitutif d’un acte délibéré. « Cela mérite une sanction disciplinaire. C’est bafouer l’état de droit ! »
« Où avez-vous vu que mes clients en ont pâti ? Je vous dénie le droit de parler au nom de mes clients », se défend l’avocat, qui précise qu’il était dans les bancs du public et habillé en civil. L’homme de loi persiste et signe, assurant de surcroît que « cela vaut mieux qu’un avocat d’office » et n’avoir fait que répondre à la demande expresse de ses clients et ce dans des circonstances exceptionnelles.
« Ce qui m’est reproché ce sont des mots ! »
On reproche également à Bernard Ripert les termes qualifiés « d’outrageants » d’un courrier adressé à un directeur de maison d’arrêt qui l’avait accusé d’avoir voulu introduire un téléphone portable en détention. « J’ai déposé plainte contre le directeur pour dénonciation calomnieuse à une autorité [le bâtonnier de Grenoble, ndlr] alors que j’avais juste oublié mon téléphone dans mon cartable », se défend Me Ripert. Et de tenter d’expliquer le ton de sa lettre invoquant la légitime défense. « On me cherchait à nouveau des poux dans la tête juste après une fin d’interdiction d’exercer, c’en était trop ! »
Enfin, plus grave selon la cour, le troisième grief. Lors du procès devant la cour d’assises de Mehdi Chine en mars 2015, Me Ripert se plantant devant le président de la cour d’assises l’aurait apostrophé en ces termes : « Il est préférable de connaître le code de procédure pénale avant de juger et de condamner quelqu’un soumis à votre sagacité ».
Des « propos outranciers, du harcèlement », selon Paul Michel, le procureur général. Plus grave encore, le représentant du parquet s’épanche sur les conséquences supposées de cette mise en cause. Ce dernier n’affirme-t-il pas – accusant Me Ripert de machiavélisme voire de manipulation psychologique – que les propos de l’avocat ont déstabilisé le magistrat au point qu’il a tenté de se suicider lors d’une interruption de séance ?
« C’est faux ! J’avais de bonnes relations avec ce magistrat, tout cela n’a rien à voir avec moi ! », se rebiffe violemment Bernard Ripert qui reconnaît cependant avoir été intempestif. « Je ne l’ai pas attaqué ad hominem. C’était lors d’une plaidoirie sur un incident. Ce qui m’est reproché ce sont des mots et le procureur général voudrait que vous me radiez sur des mots ? », interroge l’avocat.
Un réquisitoire sans surprise
Au terme de vingt-six heures de débats, c’est à un réquisitoire sans surprise auquel s’est livré le procureur général Paul Michel,« exténué par les débats », de son propre aveu. Une attaque en règle, sans réelles surprises, au cours de laquelle il s’est s’attaché à balayer systématiquement tous les arguments de défense produits par le pénaliste grenoblois.
« On voudrait faire de Ripert un cas un peu extraordinaire, un preux chevalier, la légende de Me Ripert, Cosette, Jean Valjean… Mais n’oublions pas que c’est la quatrième fois qu’il comparaît devant une juridiction disciplinaire ! », tance le procureur. Et de désigner l’homme à abattre. « Il est une menace pour les magistrats, une entrave aux débats. Pour lui, les magistrats sont des cibles ! », pourfend-il.
Et de tempérer. « Je ne lui en veux pas, je le respecte, ce n’est pas une affaire personnelle », tente-t-il d’assurer malgré quelques ricanements dans la salle.
Puis, faisant sans doute référence à l’épisode qui a vu Bernard Ripert se faire interner d’office, le procureur coiffe sa casquette de psychologue. « Je pense que Ripert est sain d’esprit mais avec des caractéristiques très particulières. Il a commis des fautes. On ne peut pas laisser impuni un tel comportement ! Je pense qu’il y a des éléments de dangerosité. »
Parvenu à la fin de son réquisitoire, le représentant du parquet se livre à l’estocade finale. « Compte tenu de la gravité et de la réitération des faits, je requière la radiation de Bernard Ripert de l’Ordre des avocats. » La messe est dite.
Après la brillante plaidoirie d’un de ses conseils – Me Bruno Rebstock, avocat au barreau d’Aix-en-Provence –, Bernard Ripert s’est à son tour exprimé, marquant ainsi la fin des débats. L’homme de loi devra cependant encore attendre pour être fixé sur son sort. La cour d’appel de Grenoble repousse, en effet, les délibérations au 23 juin… Sous réserve toutefois des décisions de la cour de cassation appelée à statuer sur les demandes de récusation de la cour, déposées par Me Ripert.
A l’issue de l’audience, malgré une grande fatigue, Me Bernard Ripert a consenti à nous livrer ses premières impressions.
Reportage Joël Kermabon
Joël Kermabon