Maître Sophie Janois à la sortie de l'audience d'appel le 22 janvier 2016. © Véronique Magnin – Place Gre’net

“Je fais le pro­cès de l’ignorance des symp­tômes de l’autisme”

“Je fais le pro­cès de l’ignorance des symp­tômes de l’autisme”

TROIS QUESTIONS À – Une nou­velle audience s’est tenue le mer­credi 8 juin au palais de jus­tice de Grenoble, concer­nant l’a­ve­nir des enfants de Rachel, pla­cés il y a près d’un an au motif que leur mère serait atteinte « d’aliénation paren­tale ».  Alors que celle-ci cherche à faire recon­naître leur autisme pour retrou­ver la garde de se enfants, le juge doit main­te­nant sta­tuer sur ce point et sur une requête de pla­ce­ment chez les grands-parents mater­nels. Maître Sophie Janois, l’a­vo­cate de Rachel, revient sur cette affaire.

procès rachel autisme

Rachel et ses enfants dans une vidéo de soutien

RAPPEL DES FAITS – Rencontrant des dif­fi­cul­tés avec l’un de ses enfants, Rachel, jeune mère de 29 ans avait pris la déci­sion de se rendre en 2015 dans un centre de diag­nos­tic de l’au­tisme, sur les conseils de Ghislaine Lubart, pré­si­dente de l’Association Envol Isère Autisme.

Face aux troubles du com­por­te­ment de ses enfants, le juge des enfants avait alors demandé une enquête sociale et judiciaire.

Une pédo­psy­chiatre, char­gée d’ex­per­ti­ser tous les membres de la famille, avait conclu que Rachel était vic­time du syn­drome de Münchausen et d’a­lié­na­tion paren­tale. Elle serait donc seule res­pon­sable de ces troubles.

Le 10 juillet 2015, la jus­tice déci­dait de reti­rer à Rachel la garde de ses enfants, les deux gar­çons les plus jeunes étant pla­cés par l’Aide sociale à l’en­fance à la pou­pon­nière du Charmeyran à La Tronche, et l’ai­née en famille d’accueil.

De son côté, l’a­vo­cate de Rachel, maître Sophie Janois, a fait diag­nos­ti­quer le cadet des enfants aux troubles du com­por­te­ment mani­festes. Le Dr Brigitte Assouline du Centre alpin de diag­nos­tic pré­coce de l’autisme (Cadipa) a alors conclu à l’au­tisme, plus pré­ci­sé­ment à un trouble enva­his­sant du déve­lop­pe­ment non spécifié.

Le tri­bu­nal n’ayant pas pris en compte cette exper­tise, la défense a alors fait le choix de faire exa­mi­ner les trois enfants par le Dr Sandrine Sonié, res­pon­sable du Centre de Ressources Autisme Rhône-Alpes. Celle-ci a conclu que les trois enfants avaient des troubles autis­tiques, ainsi que la mère, autiste Asperger.

Salle des pas perdus. © Véronique Magnin - Place Gre'net

Salle des pas per­dus. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Voilà main­te­nant près d’un an que la jus­tice reste impas­sible mal­gré de nom­breux docu­ments scien­ti­fiques dépo­sés par Maître Sophie Janois, l’a­vo­cate de Rachel, afin de convaincre les juges de son autisme et de celui de ses enfants. « On reproche tou­jours à Rachel d’avoir pro­vo­qué l’autisme de ses enfants. On lui dit qu’ils ne sont pas autistes du tout, et donc qu’ils vont très bien », explique Ghislaine Lubart, pré­si­dente de l’asso­cia­tion Envol Isère Autisme, qui sou­tient Rachel dans son com­bat depuis le début de l’affaire.

Une situa­tion para­doxale, selon elle, le tri­bu­nal sem­blant à mi-che­min entre la néga­tion et la recon­nais­sance des troubles autis­tiques chez les enfants. « On reproche à Rachel les réédu­ca­tions qu’elle avait déci­dées pour ses enfants [afin de les adap­ter à leur autisme, ndlr] et elles sont main­te­nues, donc c’est incom­pré­hen­sible », déclare Ghislaine Lubart.

Depuis le 8 juin le déli­béré est en cours. Le juge devra avoir sta­tué sur le renou­vel­le­ment du pla­ce­ment ainsi que sur la requête for­mu­lée avant le 24 juin, date à laquelle la déci­sion de la jus­tice sera rendue.

Maître Sophie Janois à la sortie de l'audience d'appel le 22 janvier 2016. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Maître Sophie Janois à la sor­tie de l’au­dience d’ap­pel le 22 jan­vier 2016. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Quel res­senti avez-vous à ce stade de l’affaire ?

Me Sophie Janois : Cette affaire est emblé­ma­tique de ce que peuvent subir les mamans seules ayant des enfants autistes. Cela a per­mis de faire avan­cer les choses, pas pour Rachel, mais au niveau natio­nal. Il y a une prise de posi­tion du défen­seur des droits au regard du han­di­cap. On va pro­ba­ble­ment avoir une annexe au troi­sième Plan autisme du gou­ver­ne­ment, qui va dans le sens d’une for­ma­tion des per­son­nels judi­ciaires et de l’Aide sociale à l’enfance, au regard des troubles autistiques.

Aujourd’hui, on croit encore qu’être autiste c’est se cogner la tête contre les murs, hur­ler, se balan­cer d’avant en arrière… Mais c’est beau­coup plus sub­til que ça. On a autant de formes d’autisme qu’on a d’autistes. La situa­tion de Rachel a per­mis de faire avan­cer cette cause, mais mal­heu­reu­se­ment, comme Jeanne d’Arc, j’espère qu’elle ne sera pas brû­lée au bûcher.

Pour moi c’est signi­fi­ca­tif de l’ignorance. Je le dis régu­liè­re­ment, je fais le pro­cès de l’ignorance des symp­tômes de l’autisme. Aujourd’hui, ils nous disent que les enfants vont bien. Ils relèvent deux, trois petits détails qui sont vrai­ment propres à l’autisme mais ces petits détails, on accuse la mère d’en être à l’origine, même après un an de sépa­ra­tion. Il fau­drait qu’on m’explique com­ment on pro­voque ce genre de choses par télépathie.

Le pro­blème c’est que la jus­tice n’écoute pas les scien­ti­fiques. Au lieu de ça, ils écoutent une pédo­psy­chiatre qui n’y connaît rien. C’est ça le pro­blème. Lors de cette der­nière audience, j’ai déposé 44 pièces qui sont en majo­rité des élé­ments scien­ti­fiques. J’espère que le juge va en prendre connais­sance et qu’on aura un miracle.

L’affaire est de plus en plus relayée par les médias. Les asso­cia­tions s’in­té­ressent beau­coup au cas de Rachel, loin d’être unique en France. Comment réagit le tri­bu­nal face à cette médiatisation ?

Tout d’a­bord, j’ai eu une réflexion du pro­cu­reur géné­ral au moment de l’appel. J’ai aussi reçu un cour­rier du pre­mier pré­sident du tri­bu­nal pour avoir envoyé en déli­béré la note de la ministre au cours d’une convo­ca­tion à l’Agence régio­nale de santé. Selon cette lettre, je fai­sais pres­sion sur les juges et il m’a été dit que je ne res­pec­tais pas la sépa­ra­tion des pou­voirs. Je sup­pose que c’était une manière de m’intimider, ce qui n’a abso­lu­ment pas fonctionné.

Cette affaire mérite d’être média­ti­sée. Cela per­met de faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe. Si Rachel a pu tenir bon, c’est aussi grâce au sou­tien qu’elle a pu obte­nir de la part des asso­cia­tions, par la média­ti­sa­tion, le sou­tien populaire…

Message de soutien à destination de Rachel. DR

Message de sou­tien à des­ti­na­tion de Rachel. DR

Si l’or­don­nance ren­due le 24 juin ne per­met pas à Rachel de récu­pé­rer la garde de ses enfants, quelles autres voies seront possibles ?

On arrive en audience après un an de pla­ce­ment des enfants, et le juge devait sta­tuer sur le renou­vel­le­ment du pla­ce­ment et sur une requête faite de pla­ce­ment chez les grands-parents mater­nels. Il fau­dra sûre­ment faire appel et user de toutes les voies de droit avant d’en­vi­sa­ger de sai­sir la Cour euro­péenne des droits de l’Homme.

J’avais l’in­ten­tion d’é­crire une lettre à François Hollande. Je ne l’ai pas fait en fin de compte car, entre temps, la ministre de la Santé a pris une posi­tion très claire via sa secré­taire d’État au han­di­cap, Ségolène Neuville, qui a fait une décla­ra­tion de sou­tien à Rachel lors du congrès d’Autisme France. Elle la sou­tient ouver­te­ment et publiquement.

Par ailleurs, j’étais aux Nation unies au moment des ques­tions au gou­ver­ne­ment. On a pu dis­cu­ter avec les rap­por­teurs. D’une part, dans leurs recom­man­da­tions à l’État fran­çais, ils ont demandé de faire atten­tion aux pla­ce­ments abu­sifs d’enfants autistes. D’autre part, j’ai eu l’occasion de par­ler indi­vi­duel­le­ment avec le rap­por­teur auprès des Nations unies. Ce der­nier m’a pro­posé de faire un recours selon le pro­to­cole numéro trois, rati­fié très récem­ment par la France, qui per­met de sai­sir le comité sur des ques­tions indi­vi­duelles. J’ai donc l’intention de le faire.

Julien Deschamps

JD

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