Salle des pas perdus du tribunal de Grenoble. © Véronique Magnin – Place Gre'net

Placement d’enfants “autistes” : la défense ira jus­qu’au bout

Placement d’enfants “autistes” : la défense ira jus­qu’au bout

DROIT DE SUITE – La cour d’appel de Grenoble a confirmé le pla­ce­ment des enfants de Rachel en struc­ture et famille d’accueil, ce ven­dredi 26 février. La jus­tice estime leur mère res­pon­sable de leurs troubles du com­por­te­ment et réfute tout diag­nos­tic d’autisme. Inacceptable pour la défense qui dénonce une erreur judi­ciaire et entend bien pour­suivre le combat.

« Nous allons sai­sir la Cour euro­péenne des droits de l’homme et rendre compte du juge­ment en appel au Comité sur les droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unis (ONU) qui est déjà au cou­rant de l’affaire », pré­vient maître Sophie Janois, l’avocate de Rachel, loin de s’avouer vaincue.

Maître Sophie Janois à la sortie de l'audience d'appel le 22 janvier 2016. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Maître Sophie Janois à la sor­tie de l’au­dience d’ap­pel le 22 jan­vier 2016. © Véronique Magnin – Place Gre’net

C’est mal­gré tout d’une voix blême qu’elle nous annonce la confir­ma­tion du pre­mier juge­ment dans toutes ses dispositions.

Le pla­ce­ment des trois enfants de Rachel, déjà sépa­rés de leur mère depuis sept mois, a donc bel et bien été confirmé ven­dredi 26 février par la cour d’appel de Grenoble.

« On s’y atten­dait un peu », lâche-t-elle après un silence. Il est vrai que l’audience en appel du 22 jan­vier der­nier avait été par­ti­cu­liè­re­ment éprou­vante selon l’avocate qui l’avait com­pa­rée à une audience d’assises.

« Le juge reproche à la mère de dire que ses enfants sont autistes »

L’arrêt de la cour de Grenoble est ubuesque selon Sophie Janois : « Le juge reproche à la mère de dire que ses enfants sont autistes alors que d’après lui, ils sont atteints de troubles enva­his­sants du déve­lop­pe­ment (TED). C’est fou ! C’est comme si vous décla­riez : il ne faut pas dire que le ciel est gris mais qu’il est anthra­cite. » Et ce n’est pas la seule allé­ga­tion a l’avoir indi­gnée : « Il est aussi indi­qué que Rachel ne peut pas récu­pé­rer ses enfants parce qu’elle leur ren­voie une image han­di­ca­pée d’eux-mêmes ! »

Palais de justice de Grenoble avec des skaters Tribunal instance grande instance Prud'hommes Photo Chloé Ponset

Palais de jus­tice de Grenoble. © Chloé Ponset

Autant dire que la confu­sion règne car les TED sont effec­ti­ve­ment un han­di­cap. « C’est com­plè­te­ment fou ! », répète-t-elle. D’autant plus que « les trois enfants de Rachel vont tout pro­chai­ne­ment béné­fi­cier d’un suivi par­ti­cu­lier de leur han­di­cap mis en place par l’Aide sociale à l’enfance de l’Isère (Ase38*) ».

Cette prise en charge adap­tée est le résul­tat de la réunion, la semaine der­nière, entre cette der­nière et l’Agence régio­nale de santé (ARS).

« La cour est impré­gnée d’une culture d’obédience psy­cha­na­ly­tique »

Pour autant, la situa­tion reste inchan­gée pour Rachel. Depuis sept mois, elle voit ses enfants une heure tous les quinze jours en visite média­ti­sée. « Rachel est accom­pa­gnée d’une psy­cho­logue et d’une assis­tante sociale qui notent tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, tout ce que les enfants disent, tout ce que les enfants font. Et la moindre petite chose peut être ana­ly­sée », pré­cise l’avocate.

Ainsi, « que les enfants aient encou­ragé leur mère pen­dant un jeu de société, cela veut dire qu’ils ont une place d’adulte. La maman a demandé trois fois de suite à ses enfants com­ment ils vont, cela veut dire qu’elle veut qu’ils aillent mal. C’est de cette façon que ce fut ana­lysé pour Rachel », déplore Me Sophie Janois.

Salle des pas perdus au premier étage du palais de justice de Grenoble. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Salle des pas per­dus au pre­mier étage du palais de jus­tice de Grenoble. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Pour que la cour ait pris en compte de tels argu­ments, nul doute pour l’avocate : « Elle est à mon avis pro­fon­dé­ment impré­gnée par une culture d’obédience psy­cha­na­ly­tique. »

« J’espérais beau­coup de l’appel… »

Sophie Janois ne cache pas sa décep­tion : « J’espérais beau­coup de l’appel tel­le­ment on avait de pièces au dos­sier », lâche-t-elle. Trente-cinq pièces médi­cales au total, « avec des diag­nos­tics conformes aux recom­man­da­tions de la Haute Autorité de santé (HAS) à savoir, éta­blis par des équipes plu­ri­dis­ci­pli­naires de l’hôpital : des ortho­pho­nistes, des psy­cho­mo­tri­ciens et des psy­cho­logues ».

À cela s’ajoute la consul­ta­tion « des meilleurs pédo­psy­chiatres de l’enfance et de l’adolescence au plan euro­péen, comme le doc­teur Joaquin Fuentes », qui attestent que la mère ne peut pas être atteinte d’un syn­drome de Münchhausen par pro­cu­ra­tion comme l’a déclaré l’experte judi­ciaire dans son rap­port. « Ce n’est pas pos­sible dans le cas de l’au­tisme ! », s’insurge-t-elle.

Et de pour­suivre, non sans une feinte naï­veté : « J’ai bête­ment pensé que la jus­tice gre­no­bloise s’emparerait de toutes ces pièces et qu’elle nous don­ne­rait rai­son. Je n’ai pas ima­giné une seconde qu’on nous lirait par des­sus la jambe, qu’on conti­nue­rait de croire l’avis d’une seule experte, qui plus est, emploie le sub­jonc­tif dans son rap­port et qui n’a vu les enfants que deux fois un quart d’heure ! »

« On va aussi atta­quer l’experte judi­ciaire… »

Mais Me Sophie Janois n’est pas du genre à bais­ser les bras : « On va aussi atta­quer l’experte judi­ciaire devant le Conseil de l’ordre des méde­cins parce que, d’une part, elle a exper­tisé des adultes alors qu’elle est pédo­psy­chiatre et que, d’autre part, elle a émis seule un avis sur un diag­nos­tic d’autisme. » Or, l’HAS recom­mande clai­re­ment que ce type de diag­nos­tic soit réa­lisé par une équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire. « Elle aurait dû ren­voyer vers une per­sonne plus com­pé­tente à savoir un sachant », assène-t-elle.

Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion. – DR

Ségolène Neuville, secré­taire d’État auprès de la ministre des Affaires sociales et de la santé, char­gée des per­sonnes han­di­ca­pées et de la lutte contre l’ex­clu­sion. – DR

Prévenue de ce cas isé­rois par les nom­breuses asso­cia­tions de parents d’enfants autistes, la secré­taire d’État char­gée des per­sonnes han­di­ca­pées, Ségolène Neuville, a clai­re­ment pris parti pour Rachel dans son dis­cours au congrès Autisme France, le 25 jan­vier der­nier. Cela n’aura mani­fes­te­ment pas porté ses fruits.

« Une lettre ouverte à François Hollande »

Désireuse de tout ten­ter pour sa cliente face à une jus­tice « qui ne connaît pas le han­di­cap de l’autisme », maître Sophie Janois n’abandonne pas pour autant la piste politique.

Ainsi pré­voit-elle d’écrire une lettre ouverte à François Hollande et à Manuel Valls, d’autant que ce der­nier serait par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible à la cause de l’autisme selon l’avocate. « On gra­cie bien des cri­mi­nels, je ne vois pas pour­quoi on ne ren­drait pas ses enfants à Rachel », lance-t-elle.

Combien de familles d’enfants autistes seraient concer­nées en France par un risque de pla­ce­ment abu­sif ? Impossible de répondre et pour cause : « L’ONU vient pré­ci­sé­ment de rendre un avis repro­chant à la France le défi­cit de chiffres et de sta­tis­tiques sur le sujet, pré­cise Sophie Janois. C’est vrai­ment un scan­dale ! »

Véronique Magnin

* Sollicité à plu­sieurs reprises, le conseil dépar­te­men­tal, dont dépend l’Ase, n’a pas sou­haité s’exprimer.

Prise en charge de l’au­tisme : la France à la traîne

Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, le 2 avril 2016. - DR

Journée mon­diale de sen­si­bi­li­sa­tion à l’au­tisme, le 2 avril 2016. – DR

L’avocate l’af­firme : « Tous les autres pays de notre niveau éco­no­mique prennent en charge cor­rec­te­ment l’autisme ». Ainsi, par exemple, est-il hors de ques­tion aux États-Unis ou dans les pays nor­diques, de remettre en cause une mère parce qu’elle a des enfants autistes, selon Sophie Janois.

« Au contraire, tout se met en place dès le diag­nos­tic qui arrive vers 18 mois ou 2 ans*. Les prises en charge sont adap­tées – cog­ni­tivo-com­por­te­men­tales voire déve­lop­pe­men­tales – les enfants pro­gressent et conti­nuent d’aller à l’école ».

Et selon elle, c’est très effi­cace : « On voit même des enfants autistes sévères deve­nir des autistes plus légers, ce qui leur per­met de prendre une place dans la société et de l’enrichir en terme de diversité ».

* En France, le diag­nos­tic est géné­ra­le­ment éta­bli vers 6 ou 7 ans.

Véronique Magnin

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