DROIT DE SUITE – La cour d’appel de Grenoble a confirmé le placement des enfants de Rachel en structure et famille d’accueil, ce vendredi 26 février. La justice estime leur mère responsable de leurs troubles du comportement et réfute tout diagnostic d’autisme. Inacceptable pour la défense qui dénonce une erreur judiciaire et entend bien poursuivre le combat.
« Nous allons saisir la Cour européenne des droits de l’homme et rendre compte du jugement en appel au Comité sur les droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unis (ONU) qui est déjà au courant de l’affaire », prévient maître Sophie Janois, l’avocate de Rachel, loin de s’avouer vaincue.
C’est malgré tout d’une voix blême qu’elle nous annonce la confirmation du premier jugement dans toutes ses dispositions.
Le placement des trois enfants de Rachel, déjà séparés de leur mère depuis sept mois, a donc bel et bien été confirmé vendredi 26 février par la cour d’appel de Grenoble.
« On s’y attendait un peu », lâche-t-elle après un silence. Il est vrai que l’audience en appel du 22 janvier dernier avait été particulièrement éprouvante selon l’avocate qui l’avait comparée à une audience d’assises.
« Le juge reproche à la mère de dire que ses enfants sont autistes »
L’arrêt de la cour de Grenoble est ubuesque selon Sophie Janois : « Le juge reproche à la mère de dire que ses enfants sont autistes alors que d’après lui, ils sont atteints de troubles envahissants du développement (TED). C’est fou ! C’est comme si vous déclariez : il ne faut pas dire que le ciel est gris mais qu’il est anthracite. » Et ce n’est pas la seule allégation a l’avoir indignée : « Il est aussi indiqué que Rachel ne peut pas récupérer ses enfants parce qu’elle leur renvoie une image handicapée d’eux-mêmes ! »
Autant dire que la confusion règne car les TED sont effectivement un handicap. « C’est complètement fou ! », répète-t-elle. D’autant plus que « les trois enfants de Rachel vont tout prochainement bénéficier d’un suivi particulier de leur handicap mis en place par l’Aide sociale à l’enfance de l’Isère (Ase38*) ».
Cette prise en charge adaptée est le résultat de la réunion, la semaine dernière, entre cette dernière et l’Agence régionale de santé (ARS).
« La cour est imprégnée d’une culture d’obédience psychanalytique »
Pour autant, la situation reste inchangée pour Rachel. Depuis sept mois, elle voit ses enfants une heure tous les quinze jours en visite médiatisée. « Rachel est accompagnée d’une psychologue et d’une assistante sociale qui notent tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, tout ce que les enfants disent, tout ce que les enfants font. Et la moindre petite chose peut être analysée », précise l’avocate.
Ainsi, « que les enfants aient encouragé leur mère pendant un jeu de société, cela veut dire qu’ils ont une place d’adulte. La maman a demandé trois fois de suite à ses enfants comment ils vont, cela veut dire qu’elle veut qu’ils aillent mal. C’est de cette façon que ce fut analysé pour Rachel », déplore Me Sophie Janois.
Pour que la cour ait pris en compte de tels arguments, nul doute pour l’avocate : « Elle est à mon avis profondément imprégnée par une culture d’obédience psychanalytique. »
« J’espérais beaucoup de l’appel… »
Sophie Janois ne cache pas sa déception : « J’espérais beaucoup de l’appel tellement on avait de pièces au dossier », lâche-t-elle. Trente-cinq pièces médicales au total, « avec des diagnostics conformes aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) à savoir, établis par des équipes pluridisciplinaires de l’hôpital : des orthophonistes, des psychomotriciens et des psychologues ».
À cela s’ajoute la consultation « des meilleurs pédopsychiatres de l’enfance et de l’adolescence au plan européen, comme le docteur Joaquin Fuentes », qui attestent que la mère ne peut pas être atteinte d’un syndrome de Münchhausen par procuration comme l’a déclaré l’experte judiciaire dans son rapport. « Ce n’est pas possible dans le cas de l’autisme ! », s’insurge-t-elle.
Et de poursuivre, non sans une feinte naïveté : « J’ai bêtement pensé que la justice grenobloise s’emparerait de toutes ces pièces et qu’elle nous donnerait raison. Je n’ai pas imaginé une seconde qu’on nous lirait par dessus la jambe, qu’on continuerait de croire l’avis d’une seule experte, qui plus est, emploie le subjonctif dans son rapport et qui n’a vu les enfants que deux fois un quart d’heure ! »
« On va aussi attaquer l’experte judiciaire… »
Mais Me Sophie Janois n’est pas du genre à baisser les bras : « On va aussi attaquer l’experte judiciaire devant le Conseil de l’ordre des médecins parce que, d’une part, elle a expertisé des adultes alors qu’elle est pédopsychiatre et que, d’autre part, elle a émis seule un avis sur un diagnostic d’autisme. » Or, l’HAS recommande clairement que ce type de diagnostic soit réalisé par une équipe pluridisciplinaire. « Elle aurait dû renvoyer vers une personne plus compétente à savoir un sachant », assène-t-elle.
Prévenue de ce cas isérois par les nombreuses associations de parents d’enfants autistes, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, a clairement pris parti pour Rachel dans son discours au congrès Autisme France, le 25 janvier dernier. Cela n’aura manifestement pas porté ses fruits.
« Une lettre ouverte à François Hollande »
Désireuse de tout tenter pour sa cliente face à une justice « qui ne connaît pas le handicap de l’autisme », maître Sophie Janois n’abandonne pas pour autant la piste politique.
Ainsi prévoit-elle d’écrire une lettre ouverte à François Hollande et à Manuel Valls, d’autant que ce dernier serait particulièrement sensible à la cause de l’autisme selon l’avocate. « On gracie bien des criminels, je ne vois pas pourquoi on ne rendrait pas ses enfants à Rachel », lance-t-elle.
Combien de familles d’enfants autistes seraient concernées en France par un risque de placement abusif ? Impossible de répondre et pour cause : « L’ONU vient précisément de rendre un avis reprochant à la France le déficit de chiffres et de statistiques sur le sujet, précise Sophie Janois. C’est vraiment un scandale ! »
Véronique Magnin
* Sollicité à plusieurs reprises, le conseil départemental, dont dépend l’Ase, n’a pas souhaité s’exprimer.
Prise en charge de l’autisme : la France à la traîne
L’avocate l’affirme : « Tous les autres pays de notre niveau économique prennent en charge correctement l’autisme ». Ainsi, par exemple, est-il hors de question aux États-Unis ou dans les pays nordiques, de remettre en cause une mère parce qu’elle a des enfants autistes, selon Sophie Janois.
« Au contraire, tout se met en place dès le diagnostic qui arrive vers 18 mois ou 2 ans*. Les prises en charge sont adaptées – cognitivo-comportementales voire développementales – les enfants progressent et continuent d’aller à l’école ».
Et selon elle, c’est très efficace : « On voit même des enfants autistes sévères devenir des autistes plus légers, ce qui leur permet de prendre une place dans la société et de l’enrichir en terme de diversité ».
* En France, le diagnostic est généralement établi vers 6 ou 7 ans.