BLOG ÉCONOMIE – La jeunesse appartient à la Génération Chômage. Le projet de loi sur le droit du travail feint de l’ignorer et n’aura pas d’impact significatif sur le chômage de masse.
Qui a dit : « Vous avez fait du code du travail le bouc émissaire de votre incapacité à créer de l’emploi et fait de son démantèlement l’objet même de votre politique » ? La gauche de la gauche ? La CGT ? Les Économistes atterrés ? Non. François Hollande ! C’était il y a exactement dix ans, le 21 février 2006, après l’utilisation du 49 – 3 sur le contrat première embauche (CPE) par le premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin.
Le virage ultra-libéral entrepris par le gouvernement pour « flexibiliser » le marché du travail en surprend certains. En réalité, le projet de loi El Khomri sur (ou plutôt contre) le droit du travail s’inscrit dans la longue lignée des réformes néolibérales du marché du travail engagées en France depuis trente ans (pour une présentation de ces réformes, voir la remarquable synthèse de Anne Eydoux et Anne Frétel [1]).
Aucune de ces réformes n’a réussi à « inverser la courbe » du chômage. Encore moins à enrayer le fléau numéro un de notre société : le chômage des jeunes. Le taux de chômage de cette génération sacrifiée atteignait 26 % en France, fin 2015. Il est encore plus élevé en Italie (38 %), Espagne (46 %), Grèce (50 %)… Qui se préoccupe de cette tragédie ?
On se moque des jeunes quand on tente de leur faire croire que c’est en cassant le droit du travail que l’on va créer des millions de jobs dans le secteur privé. La relance de l’activité des entreprises passe d’abord par un carnet de commandes qui se remplit, pas par des procédures de licenciement “Kleenex” et des journées de travail de 12 heures…
On se moque des jeunes quand on leur propose des « emplois jeunes » sans lendemain, des stages – non rémunérés – aussi inutiles qu’humiliants. Les bac + 5 qui ne trouvent pas d’emploi sont des fainéants, c’est bien connu. Contentez-vous de jobs précaires et “ubérisés”, c’est toujours mieux que l’oisiveté !
On se moque des jeunes quand on ferme les yeux sur les nouvelles vagues d’émigration motivées par l’absence d’horizon radieux. Selon une étude récente de l’Insee, le nombre de personnes qui ont quitté la France a explosé : 189 000 départs en 2006, puis 299 000 en 2013. Parmi eux, une grande majorité de jeunes âgés de 18 à 29 ans. Quel gâchis !
On se moque des jeunes de notre époque en les assimilant à de simples « digital natives » insouciants et épicuriens, à des technophiles connectés créatifs et impatients. Les réduire à la « Génération Bataclan », expression proposée en une de Libération le 16 novembre 2015, avec bienveillance, est également réducteur.
Certes, cette tragédie a eu pour effet un sursaut d’orgueil, de résistance et de solidarité formidables. Mais cet élan post-Bataclan ne peut résumer les fondements de l’identité de la jeunesse, comme l’exprime avec justesse Louis Lepron, dans un post sur le site de pop culture Konbini :
« À quelle “génération” appartenons-nous finalement ? », s’interroge-t-il ? « À la génération chômage. La voilà, notre vraie “guerre”. Une guerre contre la précarité. Une guerre contre la peur du lendemain. Oui, Daech peut nous blesser, nous fusiller en terrasse ou lors d’un concert, et c’est atroce… Mais le chômage meurtrit notre génération, tous les jours, et depuis des années, nous donnant paradoxalement une conscience générationnelle tout en fusillant notre propre vivre ensemble ».
Le projet de loi El Khomri est en déconnexion totale avec la réalité économique et sociale de notre pays. Il ne répond pas aux aspirations de la jeunesse. Il risque d’accroître les frustrations de la Génération Chômage et d’élargir le fossé avec les élites dirigeantes.
Jean-François Ponsot
[1] Anne Eydoux et Anne Fretel, “Réformes du marché du travail : des réformes contre l’emploi”, janvier 2016.
[2] Louis Lepron, “Génération Bataclan” ? Nous sommes la “Génération chômage”, 26 novembre 2015.