ENTRETIEN – Succès politique ? Échec climatique ? L’accord adopté à l’issue de la 21e conférence des parties à Paris laisse dubitatif. Pas de sanctions, pas de calendrier de sortie des énergies fossiles, nulle trace de mention de la taxe carbone… L’accord de Paris manque-t-il d’ambition ? Pas pour le politologue grenoblois Stéphane La Branche, spécialiste du changement climatique qui revient pour Place Gre’net sur la Cop21. Selon lui, le pire a peut-être été évité.
Stéphane La Branche, politologue à Sciences Po Grenoble, membre du Giec. © Patricia Cerinsek
Spécialiste du changement climatique, Stéphane La Branche s’intéresse plus particulièrement aux obstacles, freins, réticences des administrations, des institutions, des entreprises et des citoyens à œuvrer contre le changement climatique.
Membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec, rapport 2013), ce chercheur québecois est titulaire de la chaire Énergie-climat à Sciences Po Grenoble où il enseigne. Stéphane La Branche est également chercheur associé au laboratoire de recherche en sciences sociales Pacte (Politiques publiques, ACtions politiques, TErritoires).
La Cop21 à Paris, succès politique mais échec climatique ?
Les Cop ne sont pas des conférences scientifiques. Ce sont des négociations politiques internationales, où la science prend finalement une part très secondaire. C’est pour cela que l’on peut parler de succès politique et diplomatique à Paris.
On a vu 195 pays plus l’Union européenne signer une entente internationale qui vise à ne pas dépasser une hausse des températures de 2 °C. C’est une première dans l’histoire. Mais ce n’est qu’une première étape. Après cet accord, il faut passer à la mise en œuvre. Et c’est autre chose…
Néanmoins, l’accord ne fixe aucun calendrier de sortie des énergies fossiles, pas de sanctions, pas de mention de la taxe carbone. N’y a‑t-il pas un manque d’ambition ?
A l’issue de la Cop21 à Paris, un accord jugé peu contraignant et peu ambitieux. © Flickr
Un accord international doit par définition être suffisamment général pour que tous les pays puissent être d’accord sur chacune des phrases, autant les pays en développement que les pays industrialisés responsables… Chaque phrase doit impliquer tout le monde. C’est un gros travail de rédaction.
Contrairement au protocole de Kyoto, où il y avait eu tractation [la Russie avait signé en échange de son intégration dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ndlr], il n’y a pas eu de négociation de ce type à Paris. Tous les pays ont signé.
Reste à mettre les actions en œuvre. C’est au niveau des pays, et plus encore des territoires, que vont se mettre en place des stratégies sur les politiques publiques d’habitation, de rénovation, de déplacement, de mobilité…
Mais pourquoi inscrire cet objectif d’un réchauffement de 2 °C, et même de 1,5 °C, alors qu’on le sait inatteignable ?
Scientifiquement, on sait que le + 1,5 °C va être dépassé, c’est une certitude. Le + 2 °C, j’en doute encore. Mais il s’agit là d’une négociation politique pour s’assurer que les pays en voie de développement vont signer l’entente.
Si l’on dit + 3 °C et qu’on ne tient pas l’objectif, on se retrouve avec du + 4 °C. Si l’on se retrouve avec du + 4 °C, c’est une catastrophe. Si l’on demande + 2 °C et qu’on a + 3 °C, c’est difficilement gérable mais c’est mieux.
Et puis, avec un objectif de + 1,5 ou 2 °C, viennent des moyens financiers de transfert de technologies, de modes de développement différents. Se fixer + 3 °C comme objectif, c’est donner beaucoup de marge de manœuvre pour continuer à faire un développement basé sur les énergies fossiles. Alors qu’un objectif de + 2 °C nous oblige à développer des énergies intermittentes, renouvelables.
Fixer un calendrier de sortie des énergies fossiles aurait également donné moins de marge de manœuvre…
© Patricia Cerinsek
Deux semaines avant les négociations, la Chine a annoncé qu’elle avait consommé plus de charbon qu’annoncé*. Elle avait d’ailleurs planifié de stabiliser ses gaz à effet de serre à partir de 2030 et « probablement avant ».
Donner un calendrier, si l’on n’atteint pas les objectifs, c’est risquer de voir un pays se retirer. Rien ne l’en empêche. Et c’est la grande faiblesse d’une entente comme celle-là. Il n’y a pas de sanctions. Mais c’est vrai de toutes les ententes internationales. Une seule organisation au monde est dotée d’une Cour qui permette des sanctions : c’est l’OMC.
Mais si l’on rentre dans une guerre de sanctions, on ne règlera pas le problème non plus. Même si, d’un point de vue écologique, les sanctions peuvent être efficaces, politiquement, c’est inacceptable.
De nombreux économistes s’accordent à dire que le premier levier est la taxe carbone. Pourtant, l’accord n’y fait nullement mention.
Les plus grosses économies du monde se verraient imposer une taxe sur leurs produits ? La Chine, les États-Unis sont des pays qui pèsent lourd. Ils auraient refusé la taxe carbone.
Mais cela n’empêche pas les pays de l’imposer sur des produits spécifiques. En Europe, on peut déjà imposer une taxe carbone sur l’acier chinois parce que l’acier est produit à partir de centrales thermiques au charbon. Ce n’est pas du protectionnisme. L’OMC permet des taxes aux frontières pour des raisons de protection de l’environnement.
Face à un accord jugé peu ambitieux, ne risque-t-on pas d’aller vers une judiciarisation de la question climatique ? L’association Urgenda aux Pays-Bas a obtenu du tribunal la condamnation de l’État néerlandais**. Dans son sillage, l’association « Notre affaire à tous » a lancé un recours contre l’État français pour défaillance dans la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la population…
Les premiers signes de cette judiciarisation remontent à 2009, année de la conférence de Copenhague. Greenpeace était montée sur les cheminées d’une centrale thermique en Angleterre pour brandir une grande banderole avec un message écologique. La compagnie a poursuivi Greenpeace en justice mais la cour a statué en faveur de l’association sur la base de la protection du bien commun.
© Joël Kermabon – Place Gre’net
On va se retrouver avec une judiciarisation croissante de l’environnement. En France, la réglementation thermique 2012 impose, par exemple, des normes énergétiques dans les bâtiments ; les plans énergie climat territoriaux sont obligatoires.
Le climat n’est pas un problème environnemental. C’est un problème de société et de civilisation. Il nous reste trois ans pour stabiliser les gaz à effet de serre. Sinon, nous dépasserons les + 2 °C. On n’a pas réglé le problème du changement climatique avec la Cop21 mais je pense qu’on a évité le scénario cauchemar à + 4 °C. Le + 3 est devenu probable.
Propos recueillis par Patricia Cerinsek
* La Chine a brûlé quasiment 600 millions de tonnes de charbon de plus qu’annoncé, soit une révision à la hausse de 17 %, selon Libération.
** Le juge a ordonné à l’État néerlandais de réduire les émissions de gaz à effet de serre aux Pays-Bas d’au moins 25 % d’ici à 2020 par rapport à 1990.