REPORTAGE VIDÉO – Les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015 ciblaient des terrasses de café, le public d’un match de football au Stade de France et la salle de concert du Bataclan. Tous des lieux de vie ordinaires que chacun peut fréquenter. De quoi frapper fortement et durablement les esprits. Une source d’inquiétude à laquelle échappent peu de Grenoblois.
Était-ce une impression ? Toujours est-il qu’il semble y avoir beaucoup moins de monde que d’habitude à circuler en ville, ce mercredi après-midi. Rue Félix Poulat, un cercle de fleurs, de petits mots, de dessins et de bougies en hommage aux victimes des attentats attire irrésistiblement les passants qui viennent s’y recueillir quelques instants. C’est l’endroit que nous avons choisi pour interroger quelques Grenoblois sur leur ressenti, près d’une semaine après les attentats qui ont secoué Paris, le vendredi 13 novembre.
« Tout cela a été d’une telle violence ! »
« Lundi, nous étions des milliers d’étudiants à être réunis sur le campus universitaire pour respecter une minute de silence en hommage aux victimes des attentats. Je dois bien avouer que nous avions peur, tous autant que nous étions, au milieu d’un tel rassemblement », raconte une jeune étudiante, visiblement très émue. Et d’ajouter, convaincue : « Oui, cela pourrait aussi survenir à Grenoble, la menace est partout ! »
Un cercle jonché de fleurs en hommage aux victimes. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Un homme, la quarantaine, affirme quant à lui ne pas trop avoir peur mais se dit quand même beaucoup moins insouciant depuis les événements. « Tout cela a été d’une telle violence ! Comment ne pas y penser ? Je regarde autour de moi, je suis beaucoup plus vigilant », explique-t-il.
Une autre jeune fille déclare que, depuis, elle sursaute au moindre bruit anormal. « C’est très perturbant tout ça ! Je déteste cette ambiance. »
N’importe qui, n’importe quand, n’importe où. À la différence des attentats du 11 janvier qui avaient ciblé des objectifs précis (Charlie Hebdo, le magasin Hyper Casher), les terroristes du 13 novembre ont visé des lieux festifs, populaires et très fréquentés, déclenchant dans la population des sentiments d’insécurité et de peur durables que seul le temps parviendra peut-être à estomper. Les plus jeunes, ceux qui pourraient devenir la génération “attentats”, semblent les plus marqués. Selon ces derniers, c’est leur mode de vie qui a été ciblé, leurs loisirs, leur façon d’être.
« Ne pas leur faire le cadeau de croire qu’ils ont gagné »
Pour autant, quelle que soit la tranche d’âge des personnes interrogées, pas question de plonger la tête dans le sable. La peur et la division ne doivent pas l’emporter, la vie doit continuer, malgré tout. Le mot d’ordre : rester unis pour ne pas faire le jeu des terroristes, « pour ne pas leur faire le cadeau de croire qu’ils ont gagné ».
Reportage Joël Kermabon
« De toute façon, s’il y a une rafale qui part… »
Les Grenoblois interrogés se sentent-ils en sécurité, protégés ? Bien que l’état d’urgence ait été décrété, les opinions divergent. Devant une menace protéiforme, imprévisible, certains sont fatalistes. « La police ne peut pas être partout à la fois. Elle ne peut faire des miracles. Ils font leur travail mais ils ne pourront jamais tout empêcher », estime une dame d’un certain âge. D’autres, plus incisifs, aimeraient que les pouvoirs publics en fasse plus, que la police soit plus présente, visible. « Il se passe beaucoup trop de choses qui font peur à Grenoble », s’inquiète notamment une mère de famille.
© Joël Kermabon – Place Gre’net
« La police, quand elle intervient, c’est toujours après coup », regrette un sexagénaire. Ce dernier, bien que soulignant « toute la détermination et de le courage des forces de l’ordre », n’est pas convaincu qu’elles puissent prévenir les événements de manière efficace, surtout devant des « adversaires aussi machiavéliques et dépourvus de toute humanité ». Et d’ajouter, résigné : « De toute façon, s’il y a une rafale qui part, police ou pas police… »
Un jeune couple dit, quant à lui, se sentir vraiment en sécurité. « Avec les moyens qui sont mis en œuvre avec l’état d’urgence, nous pensons que tous les moyens sont rassemblés pour assurer la sécurité à Grenoble. » Ce n’est pas l’avis de ce passant qui s’étonne, au contraire, de voir peu de policiers dans les rues de la ville. « Mais peut-être les autorités considèrent-elles que la menace n’est pas si importante sur Grenoble ? », tente-t-il de se rassurer. Des propos en partie confirmés par un étudiant qui déplore, quant à lui, de n’avoir vu aucune force de police déployée sur le campus universitaire.
« Nous sommes capables de faire la part des choses »
Quid des effets stigmatisants de cette tragédie vis-à-vis de la population de confession musulmane ? « C’est effectivement un gros risque. Peut-être même est-ce ce que recherchent les terroristes. Leur but pourrait être de générer, à terme, une atmosphère délétère en France. Ce n’est pas une bonne chose et cela fait le lit du Front national », s’inquiète une jeune cadre. « Il faut arrêter de mettre tout le monde dans le même sac et d’incriminer tous les musulmans pour les agissements de criminels fous furieux », déclare-t-elle.
Banderolle du rassemblement à l’anneau de vitesse. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Un avis partagé par de jeunes lycéennes. « Nous avons compris depuis bien longtemps quelle est la différence avec ceux qui agissent mal et qui sont tout simplement incultes et barbares », assurent-elles, faisant front. « Nous sommes tout à fait capables de faire la part des choses ! »
Un étudiant fréquentant assidument les réseaux sociaux déclare être optimiste. « J’ai pu constater que les gens différencient bien les islamiste radicaux des musulmans modérés. » Pas si sûr, si l’on se réfère à l’avalanche de publications haineuses qui ont déferlé sur ces mêmes réseaux sociaux le soir même des attentats…
« Il faut qu’on commence à entendre les musulmans ! »
« Il ne faut pas qu’il y ait une psychose mais il faut quand même voir les choses en face », explique une personne âgée. Et de poursuivre. « Après tout ce qui s’est passé, même si l’on ne veut pas faire d’amalgame, on a beau dire, il n’y a pas de fumée sans feu… », lâche-t-elle, laissant planer le sous-entendu. Un autre passant est catégorique : les musulmans doivent s’exprimer. « Ces attentats vont peut-être les faire réagir. Il faut qu’on commence à les entendre. Sinon, à coup sûr, ce sera l’amalgame », affirme-t-il.
« Dans toutes les religions, quand on part dans les extrêmes et qu’on se radicalise, on va vers la barbarie, même si c’est au nom de Dieu. C’est très dangereux », explique une enseignante. Pour cette dernière, si l’on veut éviter les amalgames « c’est aux musulmans qu’il appartient de dire qu’ils n’ont rien à voir avec ces événements-là ».
Juste à côté, un homme, tunisien et musulman, la reprend tout en douceur. « Ça peut arriver partout, Madame. Vous ne pouvez pas dire ça ! Regardez ce qui est arrivé en Tunisie. Ils s’en prennent aussi à d’autres musulmans, vous ne pouvez pas dire ça ! »
Joël Kermabon