FOCUS – Mettre en place des dispositifs de démocratie participative est un chemin semé d’embûches. Même à Grenoble, ville marquée par l’empreinte d’Hubert Dubedout, l’un des pionniers dans le domaine. Retour sur le projet aux “trois piliers” de l’équipe municipale d’Eric Piolle : les conseils citoyens indépendants, le budget participatif et le droit à l’interpellation.
Pascal Clouaire, Adrien Roux, et Loïc Blondiaux, le 28 octobre dernier à l’office de tourisme. © Joël Kermabon – placegrenet.fr
La démocratie participative n’est pas une recette miracle qui transformerait, par magie, les habitants en citoyens épris d’intérêt général… Tel est l’un des grands enseignements de la soirée organisée par la Faculté de droit de Grenoble, le 28 octobre dernier, à l’office de tourisme.
Le défi est de taille. A Porte Alegre, où s’est déroulée l’une des expériences les plus abouties en matière de démocratie participative, la participation n’a jamais excédé 10 % de la population adulte, au plus fort de son succès.
Elle demeure néanmoins, plus que jamais, un enjeu de société, de vivre-ensemble, crise de la démocratie représentative oblige. Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques et expert du sujet, reformule le dilemme en ces termes : « A Grenoble, comme dans nombre de villes en France, la démocratie participative doit affronter une montagne de difficultés, de critiques justifiées ou pas ! […] Et pourtant, elle est indispensable car les élus sont loin de représenter tous les électeurs […] La participation aux élections décline. La défiance des électeurs grandit. »
Une formule grenobloise sur trois piliers
Bien malin qui pourrait affirmer ce qui fonctionne vraiment bien en matière de pratiques participatives, aujourd’hui en France… Loïc Blondiaux ne s’y est d’ailleurs pas risqué, lors du débat. Une chose est sure, les contours du projet “démocratie participative” sont clairs à Grenoble. Ce dernier repose sur « trois piliers », comme le répète, à l’envi, Pascal Clouaire, adjoint à la démocratie locale : « les conseils citoyens indépendants, le budget participatif et le droit à l’interpellation ».
Quant à l’intention, il s’agit de « donner du pouvoir d’agir au citoyen – le corollaire étant que les élus acceptent d’en perdre […], de passer d’une démocratie de l’affrontement à une démocratie plus apaisée ».
Il y aurait, donc, à Grenoble, l’aspiration à trouver une harmonie entre la démocratie participative et la démocratie représentative. Les deux pourraient même œuvrer dans le même sens, en bonne intelligence. Enfin, cette démocratie participative à la grenobloise s’inscrit et s’imbrique dans une vision politique plus large de « transition écologique, économique et démocratique », a tenu à souligner Pascal Clouaire, parachevant ainsi son exposé. Voilà donc pour la théorie. La pratique, comme souvent, est plus laborieuse…
Les conseils citoyens indépendants ne font pas le plein
Pour la mise en place des conseils citoyens indépendants, « on a suivi le rapport Mechmache Bacqué et le principe selon lequel la démarche est aussi importante que le résultat », indique Pascal Clouaire. Dès 2014, 200 personnes se sont intéressées au processus, en particulier le collectif « Pas sans nous », le Comité de liaison des unions de quartier de Grenoble (Cluq), etc. Une commission extra-municipale a été constituée ; 7 conseils citoyens ont été installés lors du conseil municipal du 23 mars 2015, avec l’ambition de réunir, chacun, 40 citoyens : 20 volontaires et 20 « non volontaires », tous tirés au sort.
Problème : impossible de débusquer les 7 x 20 « non volontaires » choisis de manière aléatoire sur les listes électorales… Imaginez, vous recevez un appel du type : « Allo, bonjour ! C’est la Ville. Nous avons l’honneur de vous désigner membre actif du conseil citoyen indépendant. En quoi cela consiste ? Eh bien, en quelques heures de réunion, de discussions sur des sujets variés… Vous gérez aussi un budget, animez la démocratie de votre secteur… Oui, c’est entièrement bénévole, bien sûr ! Mais il faut un minimum d’engagement… Allo, allo, vous êtes toujours là ? »
Nombre de citoyens – soit parce qu’ils courent pas monts et par vaux, soit parce qu’ils n’ont jamais participé à quelque structure que ce soit – déclinent ainsi la proposition… Résultat : les conseils citoyens indépendants comptent aujourd’hui plutôt entre 15 et 25 membres. « Ce qu’il manque un peu partout en France, c’est un réveil de la conscience citoyenne. La démocratie participative a besoin de l’émergence d’un éthos démocratique… », analyse Loïc Blondiaux.
Comment cet éthos pourrait-il émerger ? Là encore, aucune solution miracle, mais une condition sine qua non pointée par l’expert : « Que les outils participatifs tiennent vraiment la route, qu’il y ait des enjeux saillants, du grain à moudre pour les citoyens… ». Autrement dit, que ces derniers aient vraiment l’impression de décider de quelque chose. Ce qui sortira des conseils citoyens indépendants à Grenoble, dans les mois à venir, sera donc déterminant.
Budget participatif : trop peu de votants
Dans les grandes lignes, la première édition du budget participatif grenoblois d’un montant de 800.000 euros semble ne pas avoir connu de « couacs ». L’élu, plutôt satisfait, a même passé en revue les différentes étapes du processus : « une bonne participation à la ruche aux projets, le 20 juin dernier, avec 200 Grenoblois. 30 projets retenus sur 164 au total ! »
C’est sur le nombre de votants qu’il est difficile de s’enthousiasmer… 998 participants : « C’est trop peu », a concédé Pascal Clouaire. Et d’assurer : « Nous tirerons les leçons pour l’année prochaine, tant au niveau du système de vote que des lieux de vote ».
Pour Loïc Blondiaux : « Le budget participatif commence à être un outil robuste […] Il s’impose dans sa méthodologie, mais il est très dépendant de la manière dont on l’organise et comment on filtre. »
En outre, le budget participatif présente un sérieux talon d’Achille : il passe à côté des publics éloignés des institutions, hors des réseaux de tous ordres, qui ne vont pas se saisir de cette opportunité, même si elle leur tend les bras.
Droit à l’interpellation : « Le préfet n’en veut pas ! »
Si la municipalité appelle de ses vœux une “démocratie participative apaisée”, elle ne s’engage pas complètement dans cette direction, avec la création du « droit à l’interpellation ». « Avec ce droit, on prend volontairement le risque de s’exposer à la critique. C’est sûr que si on veut gérer une ville tranquille, ce n’est pas le bon moyen ! », ironise Pascal Clouaire.
Conférence sur la démocratie participative à l’office du tourisme, mercredi 28 octobre 2015. © Joël Kermabon – Place Gre’net
En 2016, les Grenoblois devraient donc pouvoir interpeller les élus, sur tout type de sujet, à partir du moment où une pétition recueillera un certain nombre de signatures… Le seuil ne semble pas évident à fixer. « Il sera suffisamment bas pour que les interpellations soient possibles. Suffisamment haut pour qu’on n’ait pas des interpellations sur tout ! »
Et une fois le nombre de pétitionnaires atteint ? Plusieurs suites possibles : soit un vote en conseil municipal, soit un examen approfondi, soit la question sera soumise à la votation de tous les habitants de Grenoble.
Une journée par an sera ainsi consacrée au vote concernant diverses questions. Une sorte de tir groupé, pour mobiliser massivement. « Pour entériner leur requête, les instigateurs de la pétition devront obtenir le même nombre de voix que la liste du maire au second tour des élections municipales, soit 20 008 voix. » Encore faudrait-il que le droit d’interpellation voit le jour… « On s’est confronté à un refus du préfet… Juridiquement, une municipalité ne peut pas créer un droit pour les citoyens ! », lance Pascal Clouaire, qui n’a pas l’intention de baisser les bras.
D’ici à ce que la démocratie participative fonctionne à plein régime à Grenoble, il y a encore beaucoup de travail, d’ajustements, de pédagogie à faire… Reste une troisième voie possible, qui sort des cadres et part directement de la colère des habitants. Des « contre-espaces de démocratie vivante », selon Loïc Blondiaux, à l’image de L’Alliance citoyenne de l’agglomération grenobloise qui en est l’un des fers de lance. Une autre façon de contribuer à la vitalité de la Démocratie.
Séverine Cattiaux
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