FOCUS – La cour d’assises des mineurs de l’Isère a tranché, ce mardi 3 novembre au matin. Les audiences du procès des douze auteurs présumés des meurtres de Kévin Noubissi et Sofiane Tadbirt se dérouleront bien à huis clos. Motif invoqué par la cour : des risques de « troubles graves pouvant nuire à la sérénité des débats ». Une décision incompréhensible pour les parties civiles et certains avocats de la défense qui demandaient la publicité des débats.
Procès dans le procès, la publicité des débats était la grande interrogation de cette deuxième journée d’assises. Plébiscitée par les uns, décriée par les autres, la joute oratoire pour en débattre s’est déroulée… à huis clos.
Deux des auteurs présumés étant mineurs au moment des faits, la loi prévoit en effet que les débats aient lieu sous le régime de la publicité restreinte, à savoir, hors de la présence du public.
Au grand dam des familles, de leurs conseils et des proches des victimes qui souhaitaient vivement qu’il soit levé, tout comme certains des avocats de la défense.
La cour a bétonné le procès
La veille, à l’ouverture du procès, dès que la question s’est posée, le public, la presse et certaines des parties au procès s’étaient prises à espérer qu’un « huis clos sauf presse » – déclinaison a minima – serait prononcé, à défaut d’une suspension. Grosse déception, aujourd’hui, la cour d’assises des mineurs de l’Isère en a décidé autrement.
En invoquant dans ses attendus la possibilité que puissent survenir des « actes de rancœur de vengeance ou de violence », la cour, appuyée en cela par la majorité des avocats de la défense, a bétonné le procès, aux motifs de « risques de troubles graves pouvant nuire à la sérénité des débats ».
Gardant en mémoire les émeutes qui avaient enflammé le quartier de la Villeneuve au cours de l’été 2010, et rappelant que la plupart des accusés proviennent de ce même quartier, le président de la cour d’assises de l’Isère, Jean-Pierre Pradier, et l’avocat général Sylvain Cordesse ont ainsi joué la carte de la prudence.
Une prudence que les familles de Kévin et Sofiane jugent pour leur part disproportionnée, excessive et dénuée de fondements objectifs.
« Il n’y a pas eu de débordements depuis trois ans ! »
Rachid M’Oulaouk, le meilleur ami de Kévin et Sofiane, partie civile, cité au procès comme témoin du drame est très amer. « Nous sommes déçus, la famille et les proches sont déçus. Nous voulions un procès ouvert. Nous souhaitions que les gens soient au courant de ce qui se passe dans ce procès. Beaucoup se posent des questions et demandent des réponses », regrette le témoin. Pour ce dernier, les éléments fournis par la cour ne sont pas recevables.
« Quand on entend la cour parler d’incidents éventuels autour du palais de justice, ça fait peur quand même. La police est là pour ça, non ? Pour rétablir l’ordre !, s’étonne-t-il. Quant aux représailles entre bandes dans les quartiers, cela ne tient pas. Il n’y a rien à craindre des habitants du lieu où habitaient mes amis. D’ailleurs, il n’y a pas eu de débordements depuis trois ans », souligne-t-il. Le père de Sofiane ne cache, lui, pas sa colère et sa frustration. « Nos enfants ont été assassinés en public. On voulait un débat public ».
L’un des avocats des parties civiles, Maître Kayana Manivong, du barreau de Paris, dénonce, pour sa part, une « démission de la cour d’assises ». « C’est une justice en catimini, qui ne tient pas compte de l’intérêt pour tous les justiciables de connaître très précisément ce qui s’est passé ». Et l’avocat d’évoquer la grande déception des familles qu’il représente. « Elles regrettent amèrement ce huis clos. Elles auraient aimé que les paroles de toutes les parties soient entendues, afin que toute la presse et le pays soient informés de ce qu’ils sont en droit de connaître de cette affaire. »
« Un aveu d’impuissance et de manque de courage »
Maître Kayana Manivong enfonce le clou : « Si la République n’est pas capable de tenir un débat, si le président de la cour et les forces de l’ordre ne sont pas capables d’assurer la police de l’audience, c’est très inquiétant. ».
Maître Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris qui défend lui aussi les familles des victimes, fustige quant à lui « des raisons consternantes ». Selon le ténor des prétoires, « c’est un triste jour pour la justice que cet aveu d’impuissance et de manque de courage ».
Pour le ténor du barreau, c’est une évidence, la justice doit être rendue au nom du peuple français et sous le contrôle du peuple français. « La publicité des débats est une garantie de démocratie. Il est bon que l’on sache ce qui s’est passé, qu’il y ait une audience publique. Sinon, c’est la rumeur, l’injustice, la frustration et ce aussi bien pour les familles des victimes que pour ceux qui sont jugés », explique le conseil. Et de poursuivre : « Il n’y a rien de pire que cette clandestinité qui fait que l’on pourra soupçonner la justice de tout ! », conclut sentencieusement Francis Szpiner.
Un déficit d’information à craindre
Pour autant, la publicité des débats n’était pas seulement demandée par les parties civiles. Maître Ronald Gallo, avocat au barreau de Grenoble défenseur de l’un des accusés, pourfendait ainsi, la veille, le maintien des audiences à huis clos. « Jusqu’à présent, cette justice s’est déroulée de manière privée, secrète, clandestine, dans le cabinet du juge d’instruction […] Je veux que le public, grâce notamment à la presse, sache pourquoi l’on renvoie un prévenu pour meurtre devant une cour d’assise ! », martèle-t-il.
Toujours est-il qu’aujourd’hui la salle des pas perdus du palais de justice de Grenoble s’était littéralement vidée de son public. Rescapés de la kyrielle de médias présents hier, seuls quelques journalistes bouclaient encore leurs articles.
Considérant l’importance de ce procès et les débats sociétaux qu’il aurait pu susciter, peut-on réellement parler d’une bonne décision ? Une chose est sure : cette décision risque de se traduire par un déficit d’information.
Joël Kermabon
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