ENTRETIEN – Profitons de la venue de Christophe à Grenoble – il donnera un concert à la Belle Électrique le 29 octobre – pour revenir avec lui sur sa carrière, sa tournée en solo, ses goûts… Entretien avec l’une des figures majeures de la variété française. Une variété de haute volée !
Au mieux, on le dit fantasque. Au pire, exubérant voire carrément déconnecté. Le genre de type qui nécessite un traducteur à qui ambitionne de le comprendre.
Christophe trimballe ainsi derrière lui cette drôle de réputation, dont il se soucie d’ailleurs comme d’une guigne ! À s’entretenir avec lui, on se dit qu’il fait bien tant sa conversation – simple, si si ! – dément les a priori. Et à l’écoute de ses chansons, on va jusqu’à s’en réjouir. Car à l’instar d’un Bashung, Christophe ne cesse de chercher, d’enrichir « sa planète sonore », pour reprendre ses mots.
Quand certains se contentent de vivre de leurs vieux succès – et Christophe n’en manque pas : Les Mots bleus, Aline, Señorita… –, lui mène sa barque de façon sacrément avant-gardiste, anticipant presque les soubresauts du paysage musical français.
À Grenoble, vous serez seul sur scène avec votre piano. Pourquoi cette tournée en solo ? Motif économique ou artistique ?
Christophe : À la base, je suis un homme de synthétiseur. Mais il y a trois ans, j’ai eu envie de découvrir le piano. Car je veux toujours apprendre, m’améliorer. Il n’y a que ça qui compte pour moi !
Ensuite, ma maison de disque m’a demandé si je voulais essayer de revisiter mes morceaux avec cet instrument et qu’on fasse un enregistrement en public [ce qui a donné l’album Intime, sorti en mars 2014, ndlr]. J’ai longuement hésité et puis, un jour, je me suis lancé. C’est donc ce que vous verrez à Grenoble, en attendant la plus grosse artillerie l’année prochaine. Mais je suis très content d’être tout seul. Parce que je dois dire que depuis que je fais mes concerts en solitaire, j’ai appris à beaucoup apprécier les gens.
N’était-ce pas déjà le cas lorsque vous jouiez avec d’autres musiciens ?
Non, parce qu’avant je me sentais pris dans une sorte de formatage du showbiz, dans la même configuration que les autres. Quand je me suis retrouvé seul, j’ai enfin compris ce qu’était le public. J’ose le dire. Je passe avec les gens des moments assez magiques.
Vous enregistrez un nouvel album en ce moment…
Vous savez, je fais de la musique et j’enregistre tout le temps. [Christophe possède son propre studio d’enregistrement, à domicile, ndlr] Je marche beaucoup avec la technologie, les nouveautés. Donc je suis constamment en expérience mais c’est vrai que je suis en train de préparer un album prévu pour mars.
Allez-vous jouer quelques morceaux inédits à Grenoble ?
Ah non, je ne joue jamais de chansons inédites ! J’ai horreur de ça. J’aime le secret.
Votre musique a connu plusieurs révolutions, via les nouvelles technologies notamment : les années 70 avec le synthétiseur, l’ordinateur et la programmation dans les années 80 puis, avec l’opus Le beau bizarre en 1978, le virage rock. Avez-vous le sentiment que le public vous suit ou pensez-vous qu’il se morcelle selon vos expérimentations ?
Je vois dans certains de mes concerts que le public très sensible à ma technologie et à ma planète sonore est plutôt jeune. Je ne peux pas dire que les gens de ma génération kiffent spécialement ce que je fais aujourd’hui. Mais ce ne sont pas vraiment des questions que je me pose. Je fais d’abord la musique pour mon plaisir. Et comme un peintre qui évolue au cours des années, je change en fonction de tout ce que je vais attraper. Et c’est comme ça que j’arrive à créer de nouvelles textures sonores.
Ça vous peine quand l’un de vos projets rencontre moins son public ?
Non je suis un joueur, j’aime le risque. Évidemment, je suis encore là, alors c’est facile à dire. Parce que, bien sûr, si j’étais dans le trou, je n’aurais pas le même discours. Mais disons que si je suis encore là, c’est aussi grâce à mon rapport avec ce nouveau public et parce que je passe beaucoup de nuits à travailler. Ce matin encore, j’ai fini à 10 heures. J’ai 70 ans aujourd’hui. Mais finalement, je continue à vivre comme quand j’avais 20 ans !
Ça ne vous agace pas lorsqu’on vous cantonne à vos vieux tubes ?
Je n’ai pas de réaction. Je passe. Je n’ai pas de temps à perdre en explications. C’est aux gens de me trouver. C’est aux gens de chiner, comme quand on va aux puces… Et puis, de toute façon, toutes mes chansons ont été un plaisir pour moi !
Et d’ailleurs vous les rejouez volontiers, tous ces standards ?
Je rejoue tout, oui. Vous verrez à Grenoble, vous les aurez ! Mais au piano, bien sûr, c’est différent. Ce n’est pas le même film… Il y a peut-être plus d’humour.
Vous allez sortir un nouvel album dans cette période difficile pour le disque. Comment vivez-vous la dématérialisation générale de la musique ?
J’observe… Mais moi, je suis auteur-compositeur. Ce qui compte aujourd’hui ce n’est pas le disque mais la scène et les droits qu’on peut toucher grâce à certains succès. Et puis, si je suis encore là, c’est que je m’adapte…
Quel est votre rapport au texte ?
En principe, les paroles de mes chansons, je les coécris. Mais parfois quand j’ai une œuvre d’art qui m’arrive, comme c’est le cas pour mon prochain album avec le texte du Canadien Daniel Bélanger, je saute dessus.
Ce n’est toutefois pas la richesse des mots qui compte avant tout pour moi. C’est plutôt la richesse musicale du support sur lequel je vais placer mes mots. Ce que j’aime avant tout, c’est la forme. Le fond, c’est pour les poètes. Moi, je fais du son.
Qu’est-ce que vous pensez du paysage musical français actuel ?
Vous savez, je suis surtout anglo-saxon. Pour être cash, je suis très peu attiré par la chanson française. Comme je suis très curieux, je m’intéresse quand même à certaines personnes comme Julien Doré ou Raphaël, qui sont de petits chercheurs aussi, qui ont de la personnalité.
Et j’ai aussi rencontré, il y a peu, une jeune chanteuse : Laurie Darmon. Ce qui m’a touché, c’est l’envie qu’elle a d’écrire d’une nouvelle manière. Du coup, je l’ai invitée chez moi. Elle a écouté les maquettes de mon nouvel album. C’était une belle rencontre.
Va-t-elle écrire un texte pour votre nouvel album ?
Peut-être. Ce n’est pas fait mais il y a des chances. Allez voir son clip Rupture. Vous comprendrez ce qui tout à coup peut, dans la chanson française, m’intéresser. Ça passe surtout par l’originalité.
Mais ma came, c’est Thom Yorke et, d’une manière générale, ces gens assez pointus dans l’évolution technologique. J’écoute aussi Maria Callas parce que pour moi, c’est la plus grande chanteuse du monde. J’écoute du blues, du hip-hop américain… parce que je suis dans le son, je ne suis pas dans la poésie française.
Vincent Delerme, par exemple, j’ai mis très longtemps avant de l’apprécier. C’est vraiment quand je suis allé le voir sur scène que j’ai aimé sa prestation mais, avant, ça ne m’excitait pas. Je préfère écouter du Elvis. Pour moi, c’est beaucoup plus original que tous ces gens-là.
On vous dit lunaire. Vous avez une image d’homme « marginal », un peu aristocratique aussi… Ça vous semble en phase avec ce que vous pensez de vous-même ?
Je ne me pose pas la question. J’ai autre chose à faire que d’essayer d’analyser ça. Quand on est connu, il ne faut pas se laisser abattre par le regard des autres. Si je le faisais, je serais déjà mort. Des gens qui ne m’aiment pas, j’en ai croisés dans ma vie ! Mais c’est bien, ça fait partie du jeu.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques :
Christophe se produit à la Belle Électrique, le 29 octobre, à 20 heures.
Tarif : de 29 à 34 euros