Une sol alpin, monnaie locale grenobloise de 2007 à 2012

Monnaie locale : retour sur l’ex­pé­rience du sol alpin

Monnaie locale : retour sur l’ex­pé­rience du sol alpin

FOCUS – Alors que se suc­cèdent les réunions de tra­vail pour l’é­la­bo­ra­tion d’une mon­naie locale com­plé­men­taire (MLC), le sol alpin revient de façon récur­rente dans les dis­cus­sions. Et pour cause, il repré­sente la pre­mière ten­ta­tive d’ins­tau­ra­tion d’une MLC dans l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise. En effet, cette mon­naie lan­cée en 2007 ne s’est fina­le­ment pas déve­lop­pée et l’a­ven­ture s’est ache­vée en 2012. Quelles leçons tirer de cet essai avorté ? Réponse avec Olivier Truche, au cœur de l’ex­pé­rience, et Jean-François Ponsot, éco­no­miste spé­cia­liste des inno­va­tions monétaires.

Le sol alpin, cela vous dit quelque chose ? Non ? Rien d’é­ton­nant à cela car la plu­part des Grenoblois n’ont jamais entendu par­ler de cette mon­naie qui a pour­tant cir­culé quelques années dans leur ville. Une rai­son de plus de reve­nir sur cette expé­rience moné­taire qui a tourné court.

C’est dans le cadre de l’ex­pé­ri­men­ta­tion natio­nale d’un nou­veau type de mon­naie que s’est fait le lan­ce­ment du sol alpin. Créé en 2004, ce mou­ve­ment natio­nal du Sol (pour “soli­daire”) visait à mettre en place un sys­tème d’é­change com­plé­men­taire de proxi­mité, por­teur de valeurs éthiques, sociales et envi­ron­ne­men­tales fortes. Porté par le Crédit coopé­ra­tif, le groupe Chèque déjeu­ner et la Macif, le dis­po­si­tif béné­fi­ciait à l’é­poque de l’aide du Fonds social euro­péen, au tra­vers du pro­gramme Equal.

Olivier Truche

Olivier Truche. DR

La région Rhône-Alpes a rejoint en 2006 les régions pilotes, l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise fai­sant, quant à elle, par­tie des sites retenus.

« Cette expé­ri­men­ta­tion visait, à la fois, à valo­ri­ser la consom­ma­tion res­pon­sable, l’en­ga­ge­ment et à per­mettre aux col­lec­ti­vi­tés de flé­cher leurs sub­ven­tions », pré­cise Olivier Truche, citoyen gre­no­blois engagé dans le feu sol alpin, ainsi que dans le nou­veau pro­jet de mon­naie locale.

Un dis­po­si­tif trop compliqué

A par­tir de ces trois grandes lignes direc­trices, trois pôles ont vu le jour : le sol “coopé­ra­tion”, le sol “enga­ge­ment” et le sol “affecté”. Un trip­tyque qui fait dire aujourd’­hui à Pascal Clouaire, l’ad­joint à la démo­cra­tie locale de Grenoble, que le dis­po­si­tif était trop com­pli­qué pour fonc­tion­ner.

Le sol coopé­ra­tion, le plus pal­pable, concer­nait les échanges mar­chands ciblés par la charte éthique. Il s’a­gis­sait d’une mon­naie sur sup­port élec­tro­nique. « Le sys­tème de carte de fidé­lité était à ce moment-là le plus simple et connu. Il a donc été mis en place une carte de fidé­lité de l’é­co­no­mie soli­daire et sociale », explique Olivier Truche.

Certains se sou­viennent peut-être de cette carte jaune d’or ? Son lan­ce­ment offi­ciel s’est fait en 2007 avec une ving­taine d’en­tre­prises par­te­naires. L’Europe s’é­tait alors enga­gée à finan­cer pour l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise 40 dis­tri­bu­teurs et 2000 cartes.

Le Sol Alpin - Delphine Chappaz

Le sol alpin. © Delphine Chappaz – pla​ce​gre​net​.fr

Le prin­cipe en était simple : lors d’un achat en euros, le déten­teur de la carte se voyait cré­di­ter des points fidé­lité (uni­tés sol), avec une équi­va­lence en euros per­met­tant d’a­che­ter des pro­duits dans le réseau. Mais si, en théo­rie, l’u­ti­li­sa­tion était aisée, « un des gros freins au pro­jet était l’u­ti­li­sa­tion de ter­mi­naux de paie­ment spé­ci­fiques, confesse Olivier Truche. Aujourd’hui, on sait le faire à par­tir de ter­mi­naux clas­siques ».

Autre fac­teur de com­plexité : le taux de change. Alors qu’il est désor­mais envi­sagé un taux de conver­sion d’un pour un, un euro repré­sen­tait alors dix sols, sans doute « pour sim­pli­fier la comp­ta­bi­lité numé­rique des dizaines de cen­times d’euros ».

2009, début des difficultés

Le sys­tème a fonc­tionné pen­dant deux ans, puis un enchaî­ne­ment de cir­cons­tances et de désac­cords a ébranlé le pro­jet. A com­men­cer par la dété­rio­ra­tion, à par­tir de 2009, des condi­tions bud­gé­taires et par­te­na­riales, avec la fin des fonds euro­péens qui sou­te­naient ces pro­jets. Restait cepen­dant le sou­tien des col­lec­ti­vi­tés territoriales.

le Palmas la MLC brésilienne

le Palmas la MLC brésilienne

« En paral­lèle, nous obser­vions l’exemple des MLC qui émer­geaient à l’é­tran­ger, comme le Chiemgauer en Allemagne ou le Palmas au Brésil », explique Olivier Truche. « Il s’a­gis­sait de mon­naies papiers dif­fé­rentes du sys­tème de carte de fidélité. »

Ces mon­naies favo­ri­saient notam­ment la cir­cu­la­tion moné­taire alors que le sol deman­dait une accu­mu­la­tion de points avant de pou­voir être réutilisé.

« D’où l’en­vie de pas­ser à autre chose de la part du groupe local qui ani­mait le réseau », pour­suit Olivier Truche. « D’autant plus que nous étions très dépen­dants tech­ni­que­ment du groupe Chèques déjeu­ners, notre par­te­naire prin­ci­pal, qui ne dési­rait pas chan­ger les moda­li­tés techniques. »

2010 : gèle du sys­tème des cartes… chro­nique d’une mort annoncée ?

Un bras de fer s’en­gage alors, condui­sant à l’en­li­se­ment. En 2010, le groupe d’a­ni­ma­tion du sol alpin décide de geler le sys­tème de cartes de fidé­lité. Celles-ci peuvent encore cir­cu­ler mais le groupe ne tra­vaille désor­mais plus au déve­lop­pe­ment du réseau. Il espère ainsi faire poids dans les négo­cia­tions, le ter­ri­toire gre­no­blois repré­sen­tant 80 % des échanges natio­naux. La même année, il crée l’as­so­cia­tion Sol alpin, antenne gre­no­bloise de l’as­so­cia­tion nationale.

passeport écocytoyen et carte SOL - Delphine Chappaz

Passeport éco­ci­toyen et carte sol. © Delphine Chappaz – pla​ce​gre​net​.fr

En 2011, face à la perte du sou­tien poli­tique local et à l’es­souf­fle­ment du pro­jet ini­tial, l’as­so­cia­tion s’at­telle à déve­lop­per le sol enga­ge­ment, basé sur l’u­nité de temps. L’utilisateur se voyait alors débité ou cré­dité d’un cer­tain nombre de sols, selon qu’il rece­vait ou don­nait du temps. L’idée ? Multiplier des échanges de temps et de savoirs contri­buant au mieux vivre-ensemble et ainsi valo­ri­ser les com­por­te­ments solidaires.

« Les réflexions sur ce sujet ont amené à l’ex­pé­ri­men­ta­tion du pas­se­port éco­ci­toyen sur la Villeneuve et à notre impli­ca­tion au sein de l’Accorderie », pré­cise Olivier Truche. Mais le sol enga­ge­ment néces­si­tait la mise en place de pôles d’a­ni­ma­tion, des struc­tures média­trices qui comp­ta­bi­li­saient les échanges. Un point faible du dis­po­si­tif. « Nous n’a­vions pas d’ou­tils tech­niques pour comp­ta­bi­li­ser ces échanges. Pas facile sur fichier Excel… », confie Olivier Truche.

2012 : fin du sol alpin

En novembre 2012, la Métro stoppe son sou­tien, sui­vie de la Ville. Seule la région main­tient son aide. L’association perd alors 80 % de ses sub­ven­tions et s’en­dette. C’est la fin du sol alpin.

L’expérience n’aura cepen­dant pas été inutile, comme l’ex­plique Jean-François Ponsot, éco­no­miste à l’Université Pierre Mendès-France : « L’ex­pé­rience du sol alpin a servi de base à d’autres expé­riences qui marchent, comme le sol vio­lette, un modèle pion­nier en cir­cu­la­tion à Toulouse ». 

le CCAS de Seyssinet -Pariset expose son projet lors de la réunion du 19 mai 2015 - Delphine Chappaz

Présentation du pro­jet du CCAS de Seyssinet – Pariset lors de la réunion du 19 mai 2015. © Delphine Chappaz – pla​ce​gre​net​.fr

Aujourd’hui, les dif­fé­rents acteurs qui militent pour une MLC dans le bas­sin gre­no­blois tirent éga­le­ment les ensei­gne­ments de l’ex­pé­rience du sol alpin. Par exemple, le troi­sième volet du sol, le sol affecté, était dédié à un public ciblé, la col­lec­ti­vité ter­ri­to­riale pou­vant déli­vrer une par­tie de ses aides en sols. Un prin­cipe repris, le 19 mai der­nier, lors de la réunion publique de tra­vail sur le nou­veau pro­jet de mon­naie locale.

Des tra­vailleurs sociaux du CCAS de Seyssinet, venus pré­sen­ter leur ini­tia­tive à cette occa­sion, pensent ainsi à rem­pla­cer une par­tie des bons ali­men­taires qu’ils dis­tri­buent aux béné­fi­ciaires par de la MLC affec­tée. Une pro­po­si­tion qui découle, selon Olivier Truche, du che­mi­ne­ment du sol affecté, ensei­gné dans les for­ma­tions des tra­vailleurs sociaux.

Des erreurs à ne pas repro­duire pour la future MLC

Au final, plu­sieurs points faibles ont conduit à l’é­chec, selon Jean-François Ponsot. Tout d’a­bord, un fonc­tion­ne­ment trop com­pli­qué. Ensuite, des rai­sons bud­gé­taires. « Le sol alpin repo­sait sur un sou­tien finan­cier pas sou­te­nable à long terme. Au début, il faut des sub­ven­tions mais, au bout d’un moment, le méca­nisme doit s’é­qui­li­brer par lui-même. »

Jean-François Ponsot, économiste grenoblois

Jean-François Ponsot, éco­no­miste grenoblois

Or, selon lui, cet équi­libre était dif­fi­cile à atteindre, du fait d’une charte des valeurs et prin­cipes trop res­tric­tive. C’est la troi­sième limite ren­con­trée par le sol alpin. Conséquence directe : une par­tie de la popu­la­tion se retrou­vait exclue. « La mon­naie est un bien com­mun par­tagé par une com­mu­nauté toute entière. Si un par­tie de la popu­la­tion se l’ac­ca­pare, le pro­jet moné­taire échoue ». 

Dernier fac­teur d’é­chec : l’é­troi­tesse du réseau de pres­ta­taires, sans doute pas encore assez sen­si­bi­li­sés à l’é­poque. « Ils doivent avoir un retour. S’ils perdent de l’argent, ils ne vont même pas étu­dier le dos­sier », affirme Jean-François Ponsot. Des leçons qui devraient gui­der les pro­mo­teurs d’une nou­velle mon­naie sur Grenoble.

Delphine Chappaz

Prochain ren­dez-vous autour de la MLC

La pro­chaine réunion de tra­vail pour l’é­la­bo­ra­tion d’une MLC, ouverte à tous, a lieu le samedi 27 juin, à 14 heures, en salle 1 de l’Hôtel de ville de Grenoble. A l’ordre du jour : la charte des objec­tifs à défi­nir et une pre­mière sélec­tion de noms à don­ner à la future monnaie.

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