DÉCRYPTAGE – Installée depuis 150 ans dans le quartier Berriat à Grenoble, l’entreprise ARaymond – à l’origine du bouton-pression – a revendu une partie de son terrain, suite à la délocalisation de sa production à Saint-Egrève. Si l’entreprise historique conserve son siège social récemment rénové et son musée le long de la ligne de tram A, elle a décidé de construire, avec la société Eiffage, de nouvelles habitations sur sa partie sud. Un projet qui suscite la controverse…
Six nouveaux immeubles et 600 riverains de plus… Le réaménagement de l’ancien site de production d’ARaymond inquiète sérieusement les riverains et l’union de quartier Berriat Saint-Bruno Europole. En cause, le manque de places dans les écoles du secteur, l’ajout de 300 nouveaux véhicules, et un manque de logements sociaux qui pourrait « embourgeoiser le quartier ». La densité de population sera même supérieure au projet de l’Esplanade annulé par la municipalité d’Éric Piolle, ne manque pas de souligner l’union de quartier.
Pour l’heure, les travaux n’ont pas commencé. Deux permis de construire ont été déposés et un troisième devrait arriver prochainement. Mais l’union de quartier a décidé de se mobiliser avec une pétition papier et en ligne, qui a recueilli entre 700 et 800 signatures au total pour le moment.
Pour décrypter ce dossier, Place Gre’net a rencontré Bruno de Lescure, président de l’union de quartier Berriat Saint-Bruno Europole, et Vincent Fristot, adjoint à l’urbanisme à Grenoble. Confrontation de leurs points de vue sur le projet ARaymond.
LA DENSITÉ DE POPULATION
Le projet d’habitations ARaymond est estimé à 230 logements par hectare, soit 30 % de plus que celui de l’Esplanade abandonné. L’intégration du projet au quartier est-elle viable ?
Bruno de Lescure
Le problème c’est la densité et non pas spécialement les hauteurs. Il faut qu’on nous explique comment on fait pour mettre 300 logements, soit 600 personnes de plus. Si on fait le calcul, cela fait 20 % d’enfants sur l’ensemble. Où va-t-on les mettre ?
La densité génère beaucoup de choses. On n’est pas contre le projet. Si celui-ci est réduit d’un tiers, quelque part, on sera d’accord. Pour faire simple, si sur les six barres deux sont enlevées, ce sera bon.
Vincent Fristot
Il faut voir comment cela s’insère dans le site. Il faut relativiser les choses, sans pour autant négliger l’impact. On a réduit de 2000 m² la surface plancher, ainsi que les hauteurs sur les rues Commandant Debelle et du Drac. Il y a eu des améliorations sur cette opération.
Nous étions dans le cadre de la réglementation du Plan local d’urbanisme (PLU). L’entreprise ARaymond a pris la précaution d’éviter des modifications du PLU. On avait un acte d’urbanisme de 2012 qui figeait les règles d’urbanisme.
Le chiffre de 500 à 600 personnes, selon l’occupation des logements, est plausible. Il y a des familles, mais aussi des seniors puisqu’une résidence pour personnes âgées est prévue. Mais le permis de construire n’a pas encore été déposé.
LES LOGEMENTS SOCIAUX
Autre inquiétude de l’union de quartier et des riverains : la question des logements sociaux. Ils sont à 14 % dans ce secteur, en-dessous de la moyenne grenobloise située à 19,5 %.
Bruno de Lescure
La population du quartier ne doit pas changer. Il faut qu’il y ait plus de logements sociaux, qu’on ne se retrouve pas avec un embourgeoisement global du quartier. Cette dimension-là est aussi importante.
Vincent Fristot
Le PLU prévoit des obligations de 20 % de logements sociaux. Cela pourrait être plus. Malheureusement, quand nous avons changé le PLU en décembre 2014, nous n’avons pas pu trop augmenter ce taux sur ce secteur-là car nous étions limités, dans le cadre d’une modification dite “légère” du PLU.
Il était important d’imprimer des orientations politiques sur le PLU avant que ce ne soit une compétence de la Métro [ce qui est le cas depuis le 1er janvier 2015, ndlr]. On a poussé un peu le taux de logements sociaux sur certaines opérations : 40 % pour les constructions neuves de la Zac Presqu’île, 40 % sur l’opération de l’Esplanade, et entre 30 et 40 % sur la Zac Flaubert. Pour le site d’ARaymond, nous ne pouvions pas monter davantage qu’à 20 %.
➔ Le Plan local d’urbanisme (PLU), document de référence pour des projets d’urbanisme et d’aménagement, pose les règles générales d’utilisation du sol sur un territoire défini. Dans le cas présent, il est question de hauteur des immeubles par rapport aux largeurs des rues, mais aussi de la part de logements sociaux.
D’après les deux permis de construire affichés dans la rue, il est prévu très exactement 10 logements sociaux sur 52, d’une part, et 19 logements locatifs sociaux sur 90, d’autre part. Soit 20,42 % de logements sociaux.
CONSTRUCTION D’UNE ÉCOLE SUR LE SITE ARAYMOND
La mairie souhaite créer une nouvelle école à Grenoble. Pourtant, le site d’ARaymond n’a pas été retenu parmi les projets…
Bruno de Lescure
L’argument majeur contre la construction d’une école est que les terrains sont pollués. Une directive prévoit en effet qu’on ne peut pas faire une école sur un terrain aussi pollué. Mais ce n’est qu’une directive, elle n’impose pas réglementairement à la Ville de faire comme ça. Il va falloir qu’on nous explique la différence entre un gamin qui joue dans la cour de l’école, et un autre qui joue dans une cour d’immeuble, sur le même terrain et dans les mêmes conditions.
Le plus gros, c’est qu’à terme, il n’y aura plus de sols puisque des parkings souterrains sont prévus. En-dessous, c’est la nappe phréatique. Nous, l’union de quartier, affirmons que la position est très intéressante géographiquement [pour une école, ndlr]. Certains parents disent que non. J’ai participé à une réunion de positionnement pour la nouvelle école. Au départ, il y avait cinq scenarii, mais le projet ARaymond n’a pas été inclus dans la réunion. Pour moi, tout cela n’a pas été étudié correctement. Il n’y a pas eu de vraies comparaisons avec les autres projets.
Vincent Fristot
Je me suis posé la question d’une école sur le site ARaymond, l’été dernier. Il se trouve que je suis riverain. Les services de la Ville m’ont ensuite dit que le site était répertorié comme pollué dans les bases nationales de l’Ademe. Et pour faire une école sur ces sites, il faut le justifier en disant qu’on n’a pas d’autres possibilités de construire ailleurs.
Les règles administratives sont beaucoup plus strictes pour les écoles. C’est la Dreal, un service de l’État, qui reçoit des dossiers de demande de dépollution d’Eiffage pour le compte d’ARaymond. Elle doit prouver que la qualité des terrains est satisfaisante, une fois ceux-ci dépollués. Ce ne sont pas les compétences de la Ville.
Il est vrai que Berriat est un secteur tendu en matière d’école. La Ville a des projets sur la maternelle Diderot et sur l’ancienne école Berriat. Il y a aussi d’autres pistes au niveau du secteur. Fabien Malbet, adjoint à l’école et au patrimoine scolaire, travaille sur le dossier.
➔ Une nouvelle école ne pourra être livrée avant trois ou quatre ans, d’après Vincent Fristot. La directive évoquée par Bruno de Lescure est probablement la circulaire interministérielle datant de février 2007, disponible sur le site sante.gouv.fr. Celle-ci met en avant le principe de précaution.
DE NOUVEAUX BOUCHONS EN PERSPECTIVE À BERRIAT ?
Le projet actuel prévoit, à terme, un parking souterrain de 300 places. Ne faut-il pas craindre un risque de saturation automobile dans le quartier ?
Bruno de Lescure
Il y a déjà des bouchons sur le cours Berriat, c’est clair. Mais le problème, ce serait qu’il y ait 100 à 150 véhicules qui sortent le matin. Ce serait un bazar sans nom. Le problème c’est que le cours est déjà saturé. Ce sont 300 véhicules qui viendraient en plus. Visiblement, ils ont décidé d’arborer les trottoirs, ce qui n’est pas une mauvaise chose. On verra bien combien de places vont sauter. A voir.
Vincent Fristot
Le PLU impose des locaux à vélos et des dispositions qui visent à privilégier d’autres modes que la voiture. Nous ne sommes plus au XXe siècle. Dans le quartier Caserne de Bonne, il y a en moyenne cinq fois plus de vélos que dans la ville car les opérations d’urbanisme intègrent, dès l’origine, des facilités pour des modes doux de déplacements. C’est un quartier très favorable pour l’usage du vélo, dans la continuité de la Presqu’île scientifique.
Pour autant, on ne résout pas tout avec ça. Conformément au dispositif du PLU, il est nécessaire de construire un parking. Nous allons très prochainement rencontrer les riverains pour évoquer cette question.
➔ D’après les plans d’architectes, l’implantation d’arbres ne devrait pas affecter les places de parking, rue du Drac. En revanche, ce serait le cas rue Marx Dormoy.
RACHAT DU TERRAIN PAR LA VILLE
Dans certains cas, lors d’une vente de terrain, la mairie peut utiliser son droit de préemption. C’est-à-dire racheter le terrain à son compte pour d’éventuels projets. Un choix qui n’a pas été fait ici.
Bruno de Lescure
La Ville a refusé de préempter. La vente ne peut avoir lieu qu’après la demande de permis de construire. Le demandeur peut exiger une réponse sous trois mois. Donc la Ville disposait de ce délai pour répondre. Elle attendait la rétrocession des 3 mètres de trottoirs.
ARaymond a dit : “Moi, de toute façon, je ne gagne pas d’argent, je vais vendre mon terrain”. Je leur ai dit : “Que vous vendiez le terrain à la Ville ou à Eiffage, vous vous en foutez, ce sera exactement le même prix. Si vous le vendez à la Ville, ce sera sur la base de la constructibilité des terrains”. Que la vente aille à X, Y ou Z, ARaymond s’en fout. En revanche, la Ville peut dire que c’est trop cher.
Vincent Fristot
Le fait que la ville achète doit être compatible avec des objectifs d’intérêt public. La Ville achète pour disposer de foncier, dans le cadre d’une école par exemple ou d’un équipement sportif. Or, il n’y a pas de projets particuliers sur ce site.
Je me souviens avoir fait des préemptions, dans le cadre de la vente d’un immeuble à une société d’investissement. Il se trouve que l’immeuble pouvait être réhabilité en logement social. Dans ce cas-là, ce sont des opérations intéressantes et on fait jouer le droit de préemption de la Ville. Il faut un projet solide. Nous ne sommes pas dans ce cadre-là avec ARaymond. Le problème, c’est le coût important de la dépollution. Il aurait fallu quelques millions d’euros pour faire un nouveau parc.
➔ Le droit de préemption est aussi appelé Déclaration d’intention d’aliéner (DIA).
TERRAIN D’ENTENTE
Quels sont les points positifs du projet ?
Vincent Fristot
On s’inscrit dans une opération qui permet de sortir d’une certaine friche. Le site d’ARaymond a déménagé la partie production, avec une diminution des risques environnementaux pour le voisinage. La volonté d’ARaymond de conserver une activité tertiaire est intéressante du point de vue de la mixité, avec la présence de bureaux et de logements. C’est intéressant également du point de vue des transports, car la proximité de l’arrêt Berriat – Le Magasin permet d’avoir une très bonne desserte en tramway du quartier.
Bruno de Lescure
Le seul bon côté, c’est que c’est un endroit du cours Berriat qui est dévitalisé. S’il y a 300 ou 400 personnes de plus, c’est un plus pour les commerces de proximité. Cela rendra plus vivant le quartier. Voilà pourquoi nous disons, depuis le début, que nous ne sommes pas contre tout projet, mais contre ce projet précis.
UN CONFLIT À LONG TERME ?
Plusieurs réunions, le 10 octobre 2014 et le 27 février 2015, ont déjà permis d’engager la discussion entre les trois principaux acteurs : ARaymond – Eiffage, la ville de Grenoble et les riverains représentés par l’union de quartier. Cette dernière se prépare à utiliser tous les recours de justice possibles pour ralentir le projet.
Bruno de Lescure
On est dans une stratégie débile, mais on n’a pas le choix. En juillet 2014, ARaymond a présenté la deuxième version du projet. A la fin, Vincent Fristot a dit : “On va tenir compte de tout ce que vous avez dit”. Je lui ai répondu : “Quand est-ce qu’on se revoit ?”. Il m’a répondu : “On se revoit pas”. Ils ont effectivement fait baisser les périphériques mais c’est insuffisant.
Vincent Fristot
On espère que la raison l’emportera de part et d’autre. On peut discuter, mais il y a plusieurs parties dans le dossier et il faut que ce dossier ne s’enlise pas. J’ai su qu’il y avait récemment eu une rencontre entre ARaymond et l’union de quartier. Nous avons répondu positivement pour recevoir les requérants concernant les questions liées aux espaces publics et à la circulation. Ce dossier représente une évolution importante pour le quartier. C’est forcément dans la discussion et le dialogue que les choses aboutiront.
En octobre 2014, la ville de Grenoble a dû faire face à la colère des employés de GEG. Si des discussions ont eu lieu, depuis, la majorité n’est pas pour autant revenue sur sa décision finale. En sera-t-il de même pour le “dossier” ARaymond ? Affaire à suivre…
Ludovic Chataing