DÉCRYPTAGE – L’installation sauvage de demandeurs d’asile et d’une population européenne rom, le long de l’avenue Edmond Esmonin, a suscité beaucoup d’émoi mais aussi de nombreuses protestations de la part des riverains. Comment on est-en arrivé là ? Retour sur les camps de la friche Allibert et sur l’avenir d’une population en situation d’extrême précarité.
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Une verrue. Voilà comment les riverains perçoivent le camp de l’avenue Esmonin. Un avis appuyé par l’Union de quartier Beauvert. Ces derniers ont d’ailleurs lancé une pétition pour interpeller la ville de Grenoble, afin qu’elle mette fin à ce qu’ils considèrent être à la fois une nuisance et une situation indigne pour les populations concernées.
L’opposition de droite s’est également engouffrée dans la brèche en posant, en la personne de Vincent Barbier, conseiller municipal UMP/UDI – Société civile, une question orale au maire lors du conseil municipal du 23 février dernier (cf. encadré ci-dessous).
Près de 300 personnes, dont une majorité d’enfants, se sont installées fin 2013 dans des baraquements – certains parleront de bidonville – situés près de la friche de l’ancien siège de la société Allibert, avenue Edmond Esmonin. Une implantation sauvage, à ne pas confondre avec le camp d’hébergement du Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville de Grenoble attenant, situé sur l’aire des gens du voyage ou encore avec l’hébergement semi-collectif des chalets du Rondeau. Comment en est-on arrivé là ?
L’héritage d’une situation qui perdure
Pour Éric Piolle, le maire de Grenoble, il s’agit tout d’abord de l’héritage d’une situation qui perdure. « Depuis les décisions de 2009 – 2010, date à laquelle le gouvernement de l’époque a décidé de concentrer sur Grenoble l’examen des demandes d’asile de quatre départements dont les deux Savoie […], nous gérons les demandes d’asile qui viennent de la frontière nord de l’Italie, puisque cette décision n’a jamais été révoquée ».
L’élu rappelle également l’échec des politiques d’expulsion, menées un peu partout en France, en évoquant des « réponses simplistes qui ont fait la preuve de leur inefficacité ». Et d’ajouter : « Nous sommes tous d’accord également pour dire que l’existence d’un bidonville est indigne et la vie à l’intérieur d’une extrême précarité. Nous souhaitons tous ne pas assister à cette misère. Cependant, elle existe […] Cette question n’avancera qu’avec des solutions globales et nous avons commencé à les construire ».
Delphine Chappaz et Joël Kermabon
ALAIN DENOYELLE : « NOUS SOMMES DANS UN ENTRE-DEUX »
Alain Denoyelle, conseiller municipal, adjoint à l’action sociale et président du CCAS de Grenoble, revient sur les tenants et aboutissants de ces deux implantations et sur les conditions de vie sur place.
Quel est l’historique de ces deux implantations et d’où viennent les populations qui les occupent respectivement ?
Le long de l’avenue Esmonin, il y a deux situations différentes. D’une part, on peut trouver l’aire des gens du voyage, en retrait et peu visible depuis l’avenue. Cette aire est utilisée depuis décembre 2013 par la ville de Grenoble, en accord la Métro et la préfecture de l’Isère – qui gère le schéma départemental d’accueil des gens du voyage – pour héberger dans des marabouts chauffés une centaine de personnes. Celles-ci étaient, auparavant, sous tentes sur Flaubert, au moment où les travaux sur la Coulée verte ont démarré. Les personnes ont accès à l’eau, à l’électricité et disposent de sept blocs sanitaires. Attention ! Aucune des personnes hébergées là n’a le statut de gens du voyage.
Ça, c’est toute la partie intérieure. Quant au camp extérieur, le long de l’avenue, il s’agit d’une occupation progressive spontanée qui a démarré début 2014. A mon arrivée en fonction, en avril 2014, il y avait déjà une dizaines de tentes sur place. Depuis, nous avons vu grossir le camp, particulièrement à la fin de l’été, où nous avons pu constater des arrivées massives de gens en provenance de squats fermés dans les villes avoisinantes de Grenoble. Nous recensons actuellement un peu moins de 300 personnes sur ce site.
Les personnes qui, initialement, ont commencé à s’installer sur le terrain n’étaient pas de l’Union européenne. Donc plutôt des demandeurs d’asile qui, dès lors, ne disposaient pas de places d’hébergement.
Ensuite, est venue les rejoindre une autre population européenne rom qui venait principalement du camp Moulissimo à Saint-Martin-d’Hères ou du Drac-Ouest, à Fontaine.
Est-ce que la population de ce camp est stabilisée ?
Depuis l’entrée dans l’hiver et ce jusqu’au début du mois d’avril, la population de ce camp n’a pas sensiblement augmenté. D’ailleurs, certaines familles ont pu accéder à des places d’hébergement, dans le cadre d’ouvertures par la préfecture de nouvelles places hivernales. Entre temps les services de la ville sont intervenus pour empêcher l’extension du camp. Notamment en détruisant une partie de l’aire de parking attenante pour la rendre impraticable. Depuis un mois environ, nous avons constaté l’édification de nouvelles cabanes dans l’enceinte du camp existant. Des espaces non encore utilisés par les occupants ont été récupérés permettant ainsi à certaines familles nombreuses de mieux se répartir, de ne plus s’entasser dans une seule pièce. Pour autant, si la population a quelque peu augmenté, la construction d’une nouvelle cabane ne se traduit pas forcément par une augmentation mécanique de la population. Il ne s’agit pas là d’une extension de la surface du camp mais d’un accroissement de la densité des abris de fortune.
Comment ces populations sont-elles suivies sur le plan sanitaire ?
Soyons clair ! Vivre à la rue sous une bâche de tente ou dans une cabane de fortune, c’est forcément un souci. Ceci étant, nous n’avons pas relevé de cas de maladies particulières. Il n’y a pas d’alerte. Les intervenants de l’association Médecins du monde passent régulièrement dans le camp et veillent sur la situation médicale de ses occupants. Par ailleurs, l’accès aux sept blocs sanitaires est ouvert aux habitants des baraquements. Après, effectivement, ce n’est pas dimensionné pour répondre à une forte demande, ce qui peut engendrer de l’insatisfaction.
Quelles sont les ressources financières des habitants du camp ? Comment parviennent-ils à s’en sortir ?
Ceux qui ont un statut européen, qui sont parents d’enfants nés en France ou qui, à un moment donné, ont eu des contrats de travail, disposent des revenus et des droits liés à leur statut. Et puis, il y a ceux qui sont hors Union européenne et qui, normalement, n’ont pas accès au travail. Ces populations-là sont dans une situation financière très délicate. Ils ont néanmoins bénéficié jusqu’alors des aides alimentaires du conseil général, des aides d’urgence dispensées par la commune, des colis alimentaires dans les centres de jour ou bien encore de l’aide des Restaurants du cœur.
Quel est le ressenti des riverains ?
Nous [la ville de Grenoble, ndlr] recevons beaucoup de courriers concernant les nuisances. La majorité des plaintes concernent l’existence même de ce camp. Il y a ceux qui nous demandent de mieux prendre en charge ces populations, dans des conditions plus dignes, et ceux qui demandent à ce que le lieu soit évacué, vidé de ses occupants. La pétition à l’initiative de l’Union de quartier Beauvert allait dans ce sens, invoquant des problèmes de délinquance qui, pour nous, ne sont pas avérés ni corrélés.
Avez-vous constaté des cas de prostitution ?
A l’intérieur du camp CCAS, je dirais que non. Pour le camp extérieur, nous ne suivons pas les allées et venues de ses occupants. Ce qui est clairement établi c’est qu’il y a une vigilance sur ce lieu-là, avec la présence permanente d’un vigile et des travailleurs sociaux qui passent régulièrement. Parfois, le soir, oui il y a des grosses voitures avec des gens bien habillés. Ce sont des choses que tout le monde constate. Que viennent-ils faire ? Rien ne permet d’établir qu’il y ait un trafic ou de la prostitution. Si nous observons des comportements posant question, nous les signalerons bien évidemment à la police nationale.
Il semble que le CCAS ne soit pas très apprécié par les personnes du camp extérieur. Comment expliquez-vous ce ressentiment ?
Que les gens, dans la situation où ils sont de forte précarité, puissent reprocher au CCAS de ne pas répondre à leurs attentes est compréhensible. Typiquement, nous sommes confrontés à des gens qui demandent à pouvoir intégrer le camp du CCAS où il y a de l’électricité, où l’on est sur du bitume. Mais comme cette aire est déjà occupée, en accord avec la Métro et le préfet de l’Isère, par certaines personnes issues de campements et squats, effectivement on ne laisse pas l’accès à tout le monde et nous mettons, dès lors, un frein à leur installation.
Certaines personnes, quand elles sont installées sur des zones boueuses et insalubres, peuvent, tout à fait à bon droit, le reprocher au CCAS. Nous sommes malheureusement dans un entre-deux où nous tâchons de gérer une situation qui, de toute façon, n’est pas simple.
Propos recueillis par Delphine Chappaz et Joël Kermabon
N.B. : L’interview initialement réalisée le 29 janvier dernier a été réactualisée à l’occasion de sa publication.
« Il faut sortir par le haut de cette situation »
Le maire de Grenoble, en réponse à la question orale de Vincent Barbier posée lors du conseil municipal du 23 février dernier, a déclaré travailler « à une sortie qui ne serait pas une impasse ».
De fait, depuis plusieurs mois maintenant, un protocole d’accord impliquant l’État avec la préfecture de l’Isère, la région, la Métropole, le conseil départemental et la ville de Grenoble est en cours de négociation. « Il faut sortir par le haut de cette situation » affirme Éric Piolle.
« L’élément marquant [de cette négociation, ndlr] qu’on peut signaler à ce jour est que, pour la première fois, chaque institution recense ses actions en matière d’hébergement et d’accès au logement dans un document qui servira de référence pour la suite. Chacun prend sa part » s’était félicité l’élu.
Inspiré du dispositif Andatu mis en œuvre à Lyon, ce protocole permettra aux populations concernées de « ne plus être expulsables mais intégrées et en mesure de devenir des habitants et des acteurs économiques comme les autres » expliquait Éric Piolle. Autres intérêts du programme : la mutualisation des fonds et la recherche d’autres financements, notamment les aides européennes.
« Il n’est donc pas utile d’agiter ce vieux slogan – « la France a peur » – , car la France peut avancer aussi. En 1966, on comptait 75 000 personnes dans les bidonvilles en France. Cela n’a été solutionné que par le volontarisme de l’État dont nous souhaitons le retour » concluait le premier magistrat.
Une réponse cinglante aux assertions de Vincent Barbier sur la peur véritable ou supposée des riverains de l’avenue Esmonin.
Reste que le changement de majorité au conseil départemental pourrait changer la donne. En effet, le 13 mars dernier, la commission permanente du conseil général de l’Isère avait confirmé l’accord de principe donné le 30 janvier dernier par courrier du vice-président José Arias, en octroyant au CCAS de la Ville de Grenoble une subvention d’investissement de 93 000 euros pour l’aménagement du site d’hébergement du Rondeau.
Or le 30 avril dernier, la nouvelle majorité départementale a voté une délibération annulant l’octroi de cette subvention. « Si l’alternance fait partie intégrante de la vie démocratique, je déplore qu’ici le changement de majorité condamne les plus fragiles à encore plus de précarité, a souligné Alain Denoyelle, ce dimanche 3 mai. Je le déplore d’autant plus que la loi donne au département la compétence en matière de protection maternelle et infantile. A l’heure actuelle, on compte, sur le site du Rondeau, onze enfants de moins de 3 ans et trois mères isolées. »
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