REPORTAGE – Épisode 7 – Comme un peu partout en France, dans les quartiers sensibles, repli communautaire et développement du fait religieux exercent à Mistral des pressions insidieuses qui menacent le vivre ensemble. Des habitants historiques du quartier reviennent sur cette évolution et ses causes profondes.
« J’ai un profond respect pour la culture musulmane, pour mes racines que je revendique. Je suis né dans un bidonville du Maghreb. J’arrive à mesurer le parcours qu’ont fait mes parents. J’ai le plus grand respect pour eux. Je garde gravé en moi ces odeurs, ces liens avec les gens dans ce bidonville. Ça fait partie de mon identité », explique un riverain de Mistral.
« Par contre, ma mère patrie, c’est la République française. J’en fais partie et je ne laisserai personne me nier ce droit-là. Mais quand vous parlez comme ça, vous bousculez beaucoup de gens dans leurs préjugés ».
À commencer, selon lui, par tous les Français persuadés d’être membres d’une élite – celle des “ayants droit véritables” – qui revendiquent le monopole de l’accès aux avantages économiques et sociaux. « Marine Le Pen n’a pas envie de m’entendre dire ça. Éric Zemmour non plus car cela remet en cause leurs propos. »
À l’opposé, se développe selon lui un autre discours, au sein des populations d’origine étrangère :
« Venez, on vous accueille les bras ouverts. Vous êtes comme nous, vous nous ressemblez, vous êtes des nôtres. C’est nous votre véritable famille. Ce n’est pas la République ».
Liberté, égalité, fraternité. Les valeurs de la nation reculent. La devise de la République française est malmenée. « Pourquoi avoir toléré ça ? », demande un habitant du quartier.
« Mais comment en est-on arrivé là ? », questionne un autre.
« Dans les années 70, on vivait tous ensemble ! Il y avait des fêtes de quartier à Mistral, où les hommes buvaient leur bière, pouvaient manger des merguez… Hommes et femmes dansaient ensemble. Maintenant, ce n’est plus possible ! », déplore Brahim Rajab, le directeur du Prunier sauvage, lieu de vie artistique et culturel situé à l’entrée du parc Bachelard.
« On a lâché petit à petit [du terrain, ndlr] à ceux qui veulent imposer leur vision, leur façon de vivre ». Ainsi, les limites ont-elles été repoussées peu à peu, « sans se rendre compte, qu’on se mettait en péril » raconte un ancien habitant du quartier.
« Le service protocole bannissait automatiquement l’alcool »
Tant et si bien qu” « au début des années 2000, dans les discussions sur les repas interculturels, si l’un pouvait dire “je veux qu’on achète aussi de la viande halal quand on fait un repas culturel” – ce qui s’entend –, l’autre après disait : “Moi, je ne veux pas qu’il y ait du porc”, empiétant cette fois-ci sur la liberté de tous. “Et je ne veux pas qu’il y ait d’alcool”. C’est un pas de plus. »
Les acteurs socio-culturels reconnaissent avoir accompagné les habitants dans ce processus. « Il n’y avait même plus besoin que les gens parlent. Professionnels, on anticipait : “Oui, mais bon, là, je pense que ça va poser problème. Et puis, là, on ne peut pas faire ça parce que c’est ramadan…”» raconte l’un deux.
Même la Ville s’y est mise. « Est-ce que vous savez que, lorsqu’un évènement était organisé sur le quartier Mistral, le service protocole bannissait automatiquement l’alcool ? Ils ne mettaient que du coca sur la table ».
Des habitants ont fait la remarque, exprimant le souhait d’avoir le choix, comme dans les autres quartiers. « La mairie semble en tenir compte désormais et c’est encourageant car on ne veut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures, précise l’acteur social. Qu’il y ait des politiques d’exception. Cela pose vraiment un problème. »
Un islam plus rigoriste à partir des années 90
« Le problème de la religion, ça fait bien vingt ans qu’il existe à Mistral », nous rappelle Karim Kadri, président du collectif des habitants de Mistral (Cohamis).
Un point de vue partagé par un ancien du quartier : « Dans les années 90, j’ai vu les prédicateurs qui venaient du Pakistan, d’Inde, avec un islam rigoriste. Rien à voir avec la religion de mes parents. Ils interrompaient le match de foot pour nous traîner, gamins, à la mosquée. Je l’ai vu des centaines de fois ! »
Ainsi, petit à petit, un islam plus rigoriste s’est installé à Mistral. « Pourquoi avoir toléré ça ? » interroge-t-il.
A Mistral, les femmes voilées ne posent de problème à personne.
« Par contre, estime un riverain, ça devient problématique quand la jeune fille n’a plus le choix, que des règles religieuses strictes lui sont imposées. Pas forcément ouvertement, d’ailleurs. Il suffit de phrases telles que : “Il n’y a que celles qui se voilent qui sont pieuses ; les autres sont des prostituées”. Quand on grandit avec ça, il est où le choix ? »
Autre manifestation du changement : le recul de la place des femmes dans la cité. « Les filles de Mistral, on ne les voit plus ! », s’exclame un représentant du club de foot FC Mistral.
Quant aux hommes maghrébins, il leur est aussi difficile d’affirmer leur liberté. « En théorie, on a le droit de ne pas être musulman mais, en réalité, c’est rare qu’on vous donne ce droit-là », explique un ancien du quartier. Et si vous choisissez d’être athée, c’est le pompon ! « Dans certaines familles, on est carrément rejeté et catalogué comme traître », poursuit-il.
« Ma religion c’est mon bien-être à Mistral »
Karim Kadri le déplore, « on parle mal de la religion et des Musulmans. Je suis musulman et ma religion à moi m’a toujours inculqué que je dois aller voir le Juif, le Catholique, mon voisin ou ma voisine pour voir si tout va bien, s’il ne lui manque pas quelque chose. Ma voisine corse, qui est catholique, m’appelle toujours quand elle a besoin. Moi, le Musulman ! », dit-il, étonné. « Et je le fais, non pas par obligation mais par nécessité parce que ma religion me dit qu’il faut aider son prochain. »
Dans le climat actuel, Karim Kadri se montre prudent : « Quand on me demande de quelle religion je suis, parfois je me tais, maintenant. Ma religion c’est mon bien-être à Mistral. »
Il se souvient avec regret du temps de son enfance, au Maghreb, où il a vécu jusqu’à 11 ans. Les personnes de toutes obédience s’entendaient alors très bien.
« Le Juif avait son commerce, le Musulman l’agriculture, le Catholique l’école. Ils travaillaient en symbiose et j’ai rarement entendu dire que monsieur untel était juif, catholique ou autre. Ça fonctionnait. Il y avait une société cosmopolite, composée de trois religions, et puis voilà. On ne faisait pas de différence. On ne sentait pas de différence ! »
Beaucoup s’en désolent, les jeunes de Mistral manquent de connaissances sur leur religion. « Il y a pas mal de jeunes qui vont à la mosquée, précise un habitant, mais y vont-ils vraiment pour le prêche ? Y vont-ils vraiment pour suivre le dogme de l’islam ? », s’interroge-t-il.
« Les jeunes fantasment sur leurs racines »
Idem en ce qui concerne leur histoire individuelle. « Les jeunes sont, aujourd’hui, nombreux dans la cité à se revendiquer citoyens algériens, tunisiens ou marocains. Des enfants dont la famille est en France depuis plus de trois générations ! Qu’est-ce que ça veut dire ? », lance Hassen Bouzeghoub, directeur du Plateau, centre socio-culturel construit rue Anatole France. « Quand tu discutes avec eux, au bout d’un moment, tu te rends compte qu’ils ne connaissent pas l’histoire de leur pays d’origine, complète Brahim Rajab. C’est comme le pays des merveilles, pour eux. En fait, ils fantasment sur leurs racines. »
Grandir en vase clos, enfermé dans le quartier, avec peu d’interactions extérieures, n’arrange rien.
« Les jeunes développent leurs propres codes, leurs propres références, non partagés par le reste de la société. Et, au bout du compte, ils se retrouvent en décalage complet voire en rupture avec les autres ! », poursuit-il.
En corollaire, « les jeunes manquent de confiance en eux pour aller travailler à l’extérieur et avoir des loisirs en dehors de la cité. »
S’ajoute à cela la confrontation permanente à des messages contradictoires. Hassen Bouzeghoub comprend la confusion qui peut naître dans leurs esprits : « Par exemple, on leur enseigne à la maison l’importance du rapport au sacré, qu’il est interdit de blasphémer le prophète. En même temps, quand ils vont au collège, on leur dit qu’ici, en France, on peut rire de tout. Donc, ils sont écartelés entre deux informations contradictoires. Et ils construisent leur identité par rapport à ces deux messages. Leur décodeur va et vient. Des fois, ça claque parce que ça va trop vite ou que c’est trop compliqué à gérer. »
« On parle aux enfants maghrébins comme s’ils étaient étrangers »
Et pour couronner le tout, la société française leur tient un discours ambigu, selon Brahim Rajab : « On parle encore souvent aux enfants maghrébins comme s’ils étaient étrangers. Après, à l’adolescence ou en tant que jeune adulte, on attend d’eux d’un seul coup qu’ils soient républicains, citoyens français. Ça ne va pas. La société française est schizophrène… Nous, on ne demande pas mieux que d’en être une composante », affirme-t-il.
Et il incite fortement les plus jeunes à affirmer leur nationalité française. « Quand je me retrouve en tant qu’adulte maghrébin en face de jeunes Maghrébins, qu’ils soient collégiens ou plus jeunes encore, je leur dis : “Nous sommes français. Ne laissez personne vous dire le contraire !”. Leurs yeux s’écarquillent. Ils n’ont pas l’habitude d’entendre ça », observe-t-il.
« Il faut répondre aux jeunes quand ils se posent des questions »
« L’extrémisme religieux ne s’est, pour l’instant, pas développé à Mistral », affirme Hassen Bouzeghoub. « On le saurait. Tout se sait très vite ici, c’est un petit village », ajoute-t-il. La preuve, selon lui ? La réaction des jeunes face aux attentats du mois de janvier 2015 : « Ils n’ont pas cautionné, en général. » D’ailleurs, « au collège, seuls deux élèves ont refusé de faire la minute de silence, sur 470 en tout. Et nous n’avons pas observé d’inscriptions sur les murs, à part un petit truc. Rien d’ampleur. »
Mais « il faut répondre aux jeunes quand ils se posent des questions », martèle-t-il. « J’ai rencontré deux jeunes hommes qui m’ont dit : “Tu as vu, Hassen, comment les dessinateurs ont parlé du prophète ? Ce n’est pas bien ce qu’ils ont fait. Ils méritent ce qu’ils ont eu. Moi je ne suis pas Charlie. Je suis musulman, je suis pour le prophète”. Je leur ai alors demandé : “Tu es en train de me dire que tu es croyant et tu mets un dessin en comparaison du prophète ? Je trouve, là, que c’est toi qui blasphèmes en rabaissant au niveau d’un croquis l’être le plus sacré, ce que tu as de plus cher en toi. Le vrai blasphème, en vérité, c’est de faire cette comparaison”. Le jeune a dit : “Mais tu n’as pas tort, en vérité.” »
« Merah est devenu une légende dans la cité »
Et il faut aller plus loin, selon Hassen Bouzeghoub. « Qu’est-ce qu’on donne comme moyens de compréhension à ces jeunes qui ont deux informations contradictoires dans un espace public où il faut qu’ils fassent avec ? » Et de poursuivre : « C’est quand ça repart en sommeil qu’on doit intervenir », dit-il, pour aller plus loin dans la réflexion ensemble.
« L’histoire de Merah nous a interpellés, mais on n’a rien fait derrière. Une fois que ça s’est calmé, on a dit : “Chut ! Personne ne parle. C’est bon, c’est passé”. En vérité, non, ça s’est endormi et puis ça s’est ancré ! Merah, pour les jeunes, c’est le mec qui a bloqué les hommes du Raid depuis sa salle de bain pendant 32 heures, déterminé à mourir, les armes à la main. C’est devenu une légende. On est resté plutôt là-dessus dans la cité. »
Hassen Bouzeghoub s’est beaucoup mobilisé sur cette question. Il est notamment intervenu dans les médias pour sensibiliser le public. Le 12 février 2015, il déclarait sur France bleu Isère : « Cette fois-ci, il ne faut pas qu’on fasse l’économie de savoir qui étaient les trois auteurs des attentats de janvier, parce qu’ils sont nés en France, qu’ils vivaient sur des territoires comme les leurs [ceux des jeunes des quartiers, ndlr], avec des parcours éducatifs un peu comme les leurs. Alors, automatiquement, les jeunes se posent des questions. » Il ira plus loin, à l’occasion de notre entrevue : « Il est nécessaire de montrer aux jeunes ce qui fait différence entre eux et ces trois extrémistes ».
Quant à Brahim Rajab, il pense qu”« au lieu de considérer la jeunesse de nos quartiers comme un réservoir potentiel pour le terrorisme, on devrait l’envisager comme une richesse potentielle pour notre pays. Nous avons pu voir que, parmi ceux qui s’engagent dans cette voie de la terreur, il y a un grand nombre de convertis sectaires qui viennent de tous les milieux et que ce qui les caractérise, c’est l’ignorance et le désarroi. »
Retrouver les sources spirituelles les plus profondes de l’islam
« Il faut aussi qu’on arrête de dire que ce n’est pas un problème de religion. Les terroristes ont agi au nom de la religion de mes parents. Ils s’estiment profondément musulmans. Ils ne se sont pas déguisés ! Cette religion est malade. Les Musulmans l’ont laissée se gangrener sous l’action des voyous et des extrémistes », nous affirme un habitant.
Un autre s’interroge sur la responsabilité de chacun. Aujourd’hui, il y a urgence : « L’imam de Mistral pourrait peut-être faire quelque chose en dehors de la mosquée. Comme aller voir davantage encore les gamins pour leur expliquer que l’islam ce n’est pas l’islamisme, comme ils voient sur Facebook, sur Internet. Et leur faire redécouvrir les sources les plus profondes de l’islam spirituel. » Un point de vue partagé par un acteur socio-culturel : « L’imam ne devrait-il pas faire davantage partie de la cité aujourd’hui ? Être un acteur plus présent, tout aussi vigilant que nous ? Notre attitude à tous doit être citoyenne ».
Il ajoute qu’il faudrait également expliquer la religion coranique à ceux qui ne sont pas musulmans parce qu”« il y a une islamophobie folle qui se développe à cause des amalgames religieux. Musulman n’est pas synonyme d’islamiste, ni de terroriste ! ».
« Il faudrait aussi des instances pour parler de l’histoire des pays d’origine des jeunes du quartier, juge Brahim Rajab. Le problème c’est que la France a trop occulté son passé colonial. Il y a un évitement là-dessus et ça c’est catastrophique. »
« Aujourd’hui, on commence à dire qu’il faut aller voir aussi du côté de l’interculturalité. Les politiques y sont plus réceptifs », complète Hassen Bouzeghoub, soulagé. « C’est un progrès parce qu’avant on disait : “Vous voulez emmener les jeunes en Algérie, c’est quoi cette histoire ?” La question de la double culture était taboue. »
Travailler la question de la double culture
Et celui-ci d’appeler à changer de méthode : « Il faut que les jeunes nous disent ce qu’ils ont à nous dire et que, nous, on essaie de comprendre ce qu’ils disent pour savoir ce qu’on doit leur renvoyer. Et moi je pense qu’actuellement c’est un peu l’inverse qui se passe. On leur dit des choses et puis “Voilà, c’est comme ça que ça doit se passer dans ta tête.” ».
Brahim Rajab espère une réconciliation des Maghrébins avec la citoyenneté française et qu’un jour ces jeunes puissent répondre : « Vous me demandez d’être français. Je ne le fais pas parce que vous me le demandez mais parce que je le suis profondément ».
« Il faut aussi que l’on arrête de dire qu’on est tous les mêmes, estime Hassen Bouzeghoub. On est tous ensemble, mais on est différent. La différence n’empêche pas de s’accepter les uns les autres. Mais cela passe par la confrontation à l’autre, l’étranger, au sens de celui qu’on ne connaît pas. Il faut qu’on accepte les chocs culturels. » Avec un objectif : celui de progresser collectivement.
Bien sûr, il faut répondre aux jeunes, estime-t-il : « Tu as le droit de ne pas être d’accord avec lui mais tu n’as pas le droit de lui dire de ne pas faire certaines choses, au nom de tes propres principes ».
Et Brahim Rajab de regretter : « Si, dès le début, on avait dit “on est en France, vous êtes les bienvenus, on vous respecte”, et surtout, si on avait valorisé les immigrés, leur culture, sans lâcher un pouce de la démocratie ou de la République, on n’en serait sûrement pas là ».
Un dernier chantier ? Reconstruire le vivre-ensemble
A Mistral, la ville de Grenoble a mis en place une expérience, proposée par le Conseil de l’Europe, dans sa stratégie pour la cohésion sociale. Son nom ? La méthode Spiral. Elle consiste à rassembler des groupes d’habitants du quartier et à partir de deux questions simples – Qu’est-ce que le bien-être ? Qu’est-ce que le mal-être ? – à faire émerger une dynamique collective.
« Sauf que les gens n’ont plus l’habitude de se mettre en mouvement collectivement, déplore Brahim Rajab. Lors de la restitution, les habitants n’ont parlé que des problèmes de logement. Il est vrai que cet aspect n’est pas à minimiser. Mais quand la question du vivre-ensemble est évoquée, on se rend compte que certains refusent le mélange et veulent continuer à développer et nourrir un système de cloisonnement qui est un véritable piège pour eux et leurs enfants. » Bref, tout est à reconstruire.
Pour autant, l’espoir est là. « Les gens nous disent souvent : « Les fêtes de quartier comme avant nous manquent ! », rapporte Hassen Bouzeghoub. Et le vivre-ensemble n’est pas mort à Mistral. Il reste quand même des îlots de convivialité.
Pour donner un exemple, Karim Kadri cite les jardins familiaux de Bachelard : « Là, j’ai vu les Hispaniques, les Asiatiques, les Maghrébins… tout le monde parler d’un seul sujet : avoir son jardin et ses légumes ».
Une des forces du quartier, selon Hassen Bouzegoub, reste la présence d’un grand nombre d’anciens de Mistral parmi les acteurs socio-culturels qui œuvrent pour la jeunesse. Et qui s’investissent, « animés par la solidarité familiale ».
« On ne se tourne pas le dos dans la difficulté ici. On s’entraide ». Pour lui, c’est clair, ce sont « des combattants, des résistants, des révolutionnaires dans le bon sens du terme qui savent rester vivants et veulent changer les choses ».
« La jeunesse, personne ne l’abandonne »
Appuyant son propos, un représentant du club de foot en cite quelques-uns : « Brahim Rajab au Prunier sauvage, nous ici au club de foot, Hassen Bouzeghoub et d’autres qui travaillent au Plateau. À la maison des habitants, il y en a d’autres aussi, au Cohamis… C’est ça, également, qui fait que le quartier tient ».
« Mistral est un quartier jeune. C’est un de ses points forts et une vraie richesse. La jeunesse, personne ne l’abandonne », tient à affirmer Hassen Bouzeghoub.
Au club de foot, « on arrive quand même a discuter avec les jeunes, heureusement ! », nous explique l’un de ses dirigeants. « Parce qu’ils ont confiance, parce qu’on les accompagne. On s’occupe d’eux. Ils ne manquent de rien au club. Ils ont leurs équipements, des vestiaires tout neufs. On leur donne notre confiance. Ils nous la rendent. On leur apprend le goût du respect aussi », précise Ali Achour, directeur du FC Mistral.
Un membre actif du club insiste : « L’essentiel, c’est le respect des valeurs. Notre objectif prioritaire, c’est que ça se passe bien dans les matchs, ici comme à l’extérieur ».
Et « on fait aussi un travail social au club de foot », reprend Ali Achour. Ainsi, par exemple, quand un jeune du club n’est pas rentré après l’entraînement, « des parents viennent nous voir pour que nous ayons un contact avec leur fils ».
Au Plateau, la question de la double culture a déjà été abordée. « L’année dernière, nous avons accompagné des jeunes en Algérie, à Constantine […] et avec la Ville, aujourd’hui, nous essayons de construire un projet sur l’identité, précise Hassen Bouzeghoub. Qu’est-ce que c’est aujourd’hui un jeune de Mistral ? Il est quoi ? Français ? Français musulman ? Algérien français ? Algérien français musulman ? »
Pour Brahim Rajab, sur les territoires des zones urbaines sensibles (Zus), « on a beaucoup parlé du levier de l’emploi, du levier du logement et c’est très bien, sauf que le levier culturel a été négligé et c’est catastrophique ».
Le Prunier sauvage, quant à lui, s’est fixé pour objectif de « développer le capital culturel des enfants avec une ouverture sur le monde, afin qu’ils cessent de définir leur identité uniquement à travers le quartier, leurs origines ou la religion ».
« Il y a des méthodes à revoir »
« Pourquoi des jeunes, que les structures socio-culturelles ont pourtant accompagnés depuis leur plus jeune âge, ont-ils glissé dans un système qui ne leur a pas permis de se sentir citoyens et ont grandi avec le sentiment de ne pas faire partie de la société française ? Pourquoi en a‑t-on perdu autant en route ? Qu’est-ce que nous avons mal fait ? », s’interroge Brahim Rajab. « Un bilan est nécessaire. »
Hassen Bouzeghoub complète : « Nous tous, les acteurs socio-culturels, devrions nous remettre autour de la table pour voir si ce que l’on propose aujourd’hui est bien adapté aux besoins actuels. Encore plus avec ce qui se passe en ce moment [les attentats de janvier 2015, ndlr] ».
Acteurs socio-culturels et sportifs, habitants engagés de Mistral, bénévoles, tous veulent défendre leur quartier. A l’image d’Ali Achour, directeur du FC Mistral.
« Aujourd’hui, il est urgent d’agir autrement, d’inventer de nouvelles choses, d’être audacieux et créatifs. Il faut imaginer un nouveau récit qui véhicule des valeurs humanistes et qui valorise les habitants. Sur un territoire comme Mistral, dans une ville comme Grenoble, nous pouvons expérimenter de nouvelles méthodes et être valeur d’exemple à l’échelle nationale », propose avec force Brahim Rajab.
Ce rêve, le Prunier sauvage l’a porté en 2014, en organisant la dixième édition du festival Mistral courants d’airs, avec la danse à l’honneur. Un véritable succès et l’occasion pour Brahim Rajab et son équipe de montrer ce que pourrait permettre une vraie politique culturelle dans les Zus.
Mais pour faire cette démonstration, l’association a puisé sur ses fonds propres… Aujourd’hui, ses caisses sont vides. Même si la nouvelle municipalité a reconduit la subvention au Prunier sauvage, la onzième édition du festival n’aura donc pas lieu. « On nous donne juste de quoi survivre », déplore Brahim Rajab.
La culture est oxygène. Les cités sensibles étouffent… Coup de théâtre, la ville de Grenoble vient tout juste de promettre un effort financier supplémentaire pour aider le Prunier sauvage à atteindre son objectif d’ouverture à la culture du quartier Mistral. L’appel à plus d’audace aurait-il été entendu ?
Véronique Magnin
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En tout, le Football club Mistral compte 180 licenciés. Des jeunes entre 6 et 18 ans et une équipe de seniors. « Il y a le foot avec les entraînements, les matchs, mais nous mettons aussi en place des animations – comme les soirées frites et merguez lors de la Coupe du monde de football 2014 – et nous organisons des sorties à l’extérieur », précise Ali Achour. En mars, les jeunes ont pu se rendre au salon de l’automobile 2015 de Genève.
En plus des actions sportives, de l’aide aux devoirs qu’ils encadrent, les acteurs socio-culturels du Plateau ont accompagné, l’an dernier, plus de 60 jeunes dans leurs démarches d’insertion sociale et professionnelle.
Le Plateau réalise aussi le suivi des jeunes incarcérés, en lien avec la mission locale de Grenoble et l’association régionale pour l’insertion (Arepi).
« Nous avons des jeunes, aujourd’hui, qui viennent au Plateau et font le choix de dire : “Je m’inscris dans ce projet et je vais faire du sport, je vais aller à l’aide au devoir, je vais faire des stages”… Il y a une alternative à tout ça [le chômage, le deal etc., ndlr] », insiste Hassen Bouzeghoub.
Lieu de spectacle, d’accueil de compagnies en résidence, l’association, a aussi mis en place, en lien avec des habitants volontaires, un parcours cinéma, l’orchestre des enfants… « On emmène aussi les jeunes à l’Opéra de Lyon… Et c’est également un lieu d’échanges et de dialogue interculturel […] Ici, les habitants ont accès à certains spectacles, auxquels ils n’iraient pas car il sont trop chers ou bien par auto-exclusion, autocensure aussi. »
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