Fresque murale dans le quartier Mistral à Grenoble : une pieuvre retient un sous-marin devant un poisson clown inquiet et un requin agressif toutes dents dehors. © Ludovic Chataing - placegrenet.fr

Repli com­mu­nau­taire : les habi­tants de Mistral sous pression

Repli com­mu­nau­taire : les habi­tants de Mistral sous pression

REPORTAGE – Épisode 7 – Comme un peu par­tout en France, dans les quar­tiers sen­sibles, repli com­mu­nau­taire et déve­lop­pe­ment du fait reli­gieux exercent à Mistral des pres­sions insi­dieuses qui menacent le vivre ensemble. Des habi­tants his­to­riques du quar­tier reviennent sur cette évo­lu­tion et ses causes profondes.

Bidonville. DR

Bidonville. DR

« J’ai un pro­fond res­pect pour la culture musul­mane, pour mes racines que je reven­dique. Je suis né dans un bidon­ville du Maghreb. J’arrive à mesu­rer le par­cours qu’ont fait mes parents. J’ai le plus grand res­pect pour eux. Je garde gravé en moi ces odeurs, ces liens avec les gens dans ce bidon­ville. Ça fait par­tie de mon iden­tité », explique un rive­rain de Mistral.

« Par contre, ma mère patrie, c’est la République fran­çaise. J’en fais par­tie et je ne lais­se­rai per­sonne me nier ce droit-là. Mais quand vous par­lez comme ça, vous bous­cu­lez beau­coup de gens dans leurs pré­ju­gés ».

À com­men­cer, selon lui, par tous les Français per­sua­dés d’être membres d’une élite – celle des “ayants droit véri­tables” – qui reven­diquent le mono­pole de l’ac­cès aux avan­tages éco­no­miques et sociaux. « Marine Le Pen n’a pas envie de m’en­tendre dire ça. Éric Zemmour non plus car cela remet en cause leurs pro­pos. »

À l’op­posé, se déve­loppe selon lui un autre dis­cours, au sein des popu­la­tions d’o­ri­gine étrangère :

Rue Albert Thomas. @ Véronique Magnin - Place Gre'net

Rue Albert Thomas. @ Véronique Magnin – Place Gre’net

« Venez, on vous accueille les bras ouverts. Vous êtes comme nous, vous nous res­sem­blez, vous êtes des nôtres. C’est nous votre véri­table famille. Ce n’est pas la République ».

Liberté, éga­lité, fra­ter­nité. Les valeurs de la nation reculent. La devise de la République fran­çaise est mal­me­née. « Pourquoi avoir toléré ça ? », demande un habi­tant du quartier.

« Mais com­ment en est-on arrivé là ? », ques­tionne un autre.

« Dans les années 70, on vivait tous ensemble ! Il y avait des fêtes de quar­tier à Mistral, où les hommes buvaient leur bière, pou­vaient man­ger des mer­guez… Hommes et femmes dan­saient ensemble. Maintenant, ce n’est plus pos­sible ! », déplore Brahim Rajab, le direc­teur du Prunier sau­vage, lieu de vie artis­tique et cultu­rel situé à l’entrée du parc Bachelard.

« On a lâché petit à petit [du ter­rain, ndlr] à ceux qui veulent impo­ser leur vision, leur façon de vivre ». Ainsi, les limites ont-elles été repous­sées peu à peu, « sans se rendre compte, qu’on se met­tait en péril » raconte un ancien habi­tant du quartier.

« Le ser­vice pro­to­cole ban­nis­sait auto­ma­ti­que­ment l’alcool »

Tant et si bien qu” « au début des années 2000, dans les dis­cus­sions sur les repas inter­cul­tu­rels, si l’un pou­vait dire “je veux qu’on achète aussi de la viande halal quand on fait un repas cultu­rel” – ce qui s’en­tend –, l’autre après disait : “Moi, je ne veux pas qu’il y ait du porc”, empié­tant cette fois-ci sur la liberté de tous. “Et je ne veux pas qu’il y ait d’al­cool”. C’est un pas de plus. »

Fête à Mistral dans les années 80. © Extrait du film, Mistral décibels années

Fête à Mistral dans les années 80. © Extrait du film, Mistral déci­bels années

Les acteurs socio-cultu­rels recon­naissent avoir accom­pa­gné les habi­tants dans ce pro­ces­sus. « Il n’y avait même plus besoin que les gens parlent. Professionnels, on anti­ci­pait : “Oui, mais bon, là, je pense que ça va poser pro­blème. Et puis, là, on ne peut pas faire ça parce que c’est rama­dan…”» raconte l’un deux.

Même la Ville s’y est mise. « Est-ce que vous savez que, lors­qu’un évè­ne­ment était orga­nisé sur le quar­tier Mistral, le ser­vice pro­to­cole ban­nis­sait auto­ma­ti­que­ment l’al­cool ? Ils ne met­taient que du coca sur la table ».

Des habi­tants ont fait la remarque, expri­mant le sou­hait d’a­voir le choix, comme dans les autres quar­tiers. « La mai­rie semble en tenir compte désor­mais et c’est encou­ra­geant car on ne veut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures, pré­cise l’ac­teur social. Qu’il y ait des poli­tiques d’ex­cep­tion. Cela pose vrai­ment un pro­blème. »

Un islam plus rigo­riste à par­tir des années 90

« Le pro­blème de la reli­gion, ça fait bien vingt ans qu’il existe à Mistral », nous rap­pelle Karim Kadri, pré­sident du col­lec­tif des habi­tants de Mistral (Cohamis).

Jeunes jouant au foot dans les années 90. © Extrait du film, Mistral décibels années

Jeunes jouant au foot dans les années 90. © Extrait du film, Mistral déci­bels années

Un point de vue par­tagé par un ancien du quar­tier : « Dans les années 90, j’ai vu les pré­di­ca­teurs qui venaient du Pakistan, d’Inde, avec un islam rigo­riste. Rien à voir avec la reli­gion de mes parents. Ils inter­rom­paient le match de foot pour nous traî­ner, gamins, à la mos­quée. Je l’ai vu des cen­taines de fois ! »

Ainsi, petit à petit, un islam plus rigo­riste s’est ins­tallé à Mistral. « Pourquoi avoir toléré ça ? » interroge-t-il.

A Mistral, les femmes voi­lées ne posent de pro­blème à personne.

« Par contre, estime un rive­rain, ça devient pro­blé­ma­tique quand la jeune fille n’a plus le choix, que des règles reli­gieuses strictes lui sont impo­sées. Pas for­cé­ment ouver­te­ment, d’ailleurs. Il suf­fit de phrases telles que : “Il n’y a que celles qui se voilent qui sont pieuses ; les autres sont des pros­ti­tuées”. Quand on gran­dit avec ça, il est où le choix ? »

Autre mani­fes­ta­tion du chan­ge­ment : le recul de la place des femmes dans la cité. « Les filles de Mistral, on ne les voit plus ! », s’ex­clame un repré­sen­tant du club de foot FC Mistral.

Quant aux hommes magh­ré­bins, il leur est aussi dif­fi­cile d’af­fir­mer leur liberté. « En théo­rie, on a le droit de ne pas être musul­man mais, en réa­lité, c’est rare qu’on vous donne ce droit-là », explique un ancien du quar­tier. Et si vous choi­sis­sez d’être athée, c’est le pom­pon ! « Dans cer­taines familles, on est car­ré­ment rejeté et cata­lo­gué comme traître », poursuit-il.

« Ma reli­gion c’est mon bien-être à Mistral »

Karim Kadri le déplore, « on parle mal de la reli­gion et des Musulmans. Je suis musul­man et ma reli­gion à moi m’a tou­jours incul­qué que je dois aller voir le Juif, le Catholique, mon voi­sin ou ma voi­sine pour voir si tout va bien, s’il ne lui manque pas quelque chose. Ma voi­sine corse, qui est catho­lique, m’ap­pelle tou­jours quand elle a besoin. Moi, le Musulman ! », dit-il, étonné. « Et je le fais, non pas par obli­ga­tion mais par néces­sité parce que ma reli­gion me dit qu’il faut aider son pro­chain. »

Dans le cli­mat actuel, Karim Kadri se montre pru­dent : « Quand on me demande de quelle reli­gion je suis, par­fois je me tais, main­te­nant. Ma reli­gion c’est mon bien-être à Mistral. »

Rue de Casablanca. DR

Rue de Casablanca. DR

Il se sou­vient avec regret du temps de son enfance, au Maghreb, où il a vécu jus­qu’à 11 ans. Les per­sonnes de toutes obé­dience s’en­ten­daient alors très bien.

« Le Juif avait son com­merce, le Musulman l’a­gri­cul­ture, le Catholique l’é­cole. Ils tra­vaillaient en sym­biose et j’ai rare­ment entendu dire que mon­sieur untel était juif, catho­lique ou autre. Ça fonc­tion­nait. Il y avait une société cos­mo­po­lite, com­po­sée de trois reli­gions, et puis voilà. On ne fai­sait pas de dif­fé­rence. On ne sen­tait pas de dif­fé­rence ! »

Beaucoup s’en déso­lent, les jeunes de Mistral manquent de connais­sances sur leur reli­gion. « Il y a pas mal de jeunes qui vont à la mos­quée, pré­cise un habi­tant, mais y vont-ils vrai­ment pour le prêche ? Y vont-ils vrai­ment pour suivre le dogme de l’is­lam ? », s’in­ter­roge-t-il.

« Les jeunes fan­tasment sur leurs racines »

Idem en ce qui concerne leur his­toire indi­vi­duelle. « Les jeunes sont, aujourd’­hui, nom­breux dans la cité à se reven­di­quer citoyens algé­riens, tuni­siens ou maro­cains. Des enfants dont la famille est en France depuis plus de trois géné­ra­tions ! Qu’est-ce que ça veut dire ? », lance Hassen Bouzeghoub, direc­teur du Plateau, centre socio-cultu­rel construit rue Anatole France. « Quand tu dis­cutes avec eux, au bout d’un moment, tu te rends compte qu’ils ne connaissent pas l’his­toire de leur pays d’o­ri­gine, com­plète Brahim Rajab. C’est comme le pays des mer­veilles, pour eux. En fait, ils fan­tasment sur leurs racines. »

Place centrale à Mistral. @ Karim Kadri

Place cen­trale à Mistral. @ Karim Kadri

Grandir en vase clos, enfermé dans le quar­tier, avec peu d’in­te­rac­tions exté­rieures, n’ar­range rien.

« Les jeunes déve­loppent leurs propres codes, leurs propres réfé­rences, non par­ta­gés par le reste de la société. Et, au bout du compte, ils se retrouvent en déca­lage com­plet voire en rup­ture avec les autres ! », poursuit-il.

En corol­laire, « les jeunes manquent de confiance en eux pour aller tra­vailler à l’ex­té­rieur et avoir des loi­sirs en dehors de la cité. »

S’ajoute à cela la confron­ta­tion per­ma­nente à des mes­sages contra­dic­toires. Hassen Bouzeghoub com­prend la confu­sion qui peut naître dans leurs esprits : « Par exemple, on leur enseigne à la mai­son l’im­por­tance du rap­port au sacré, qu’il est inter­dit de blas­phé­mer le pro­phète. En même temps, quand ils vont au col­lège, on leur dit qu’ici, en France, on peut rire de tout. Donc, ils sont écar­te­lés entre deux infor­ma­tions contra­dic­toires. Et ils construisent leur iden­tité par rap­port à ces deux mes­sages. Leur déco­deur va et vient. Des fois, ça claque parce que ça va trop vite ou que c’est trop com­pli­qué à gérer. »

« On parle aux enfants magh­ré­bins comme s’ils étaient étrangers »

Et pour cou­ron­ner le tout, la société fran­çaise leur tient un dis­cours ambigu, selon Brahim Rajab : « On parle encore sou­vent aux enfants magh­ré­bins comme s’ils étaient étran­gers. Après, à l’a­do­les­cence ou en tant que jeune adulte, on attend d’eux d’un seul coup qu’ils soient répu­bli­cains, citoyens fran­çais. Ça ne va pas. La société fran­çaise est schi­zo­phrène… Nous, on ne demande pas mieux que d’en être une com­po­sante », affirme-t-il.

Fresque réalisée par des enfants de Mistral. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Fresque réa­li­sée par des enfants de Mistral. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Et il incite for­te­ment les plus jeunes à affir­mer leur natio­na­lité fran­çaise. « Quand je me retrouve en tant qu’a­dulte magh­ré­bin en face de jeunes Maghrébins, qu’ils soient col­lé­giens ou plus jeunes encore, je leur dis : “Nous sommes fran­çais. Ne lais­sez per­sonne vous dire le contraire !”. Leurs yeux s’é­car­quillent. Ils n’ont pas l’ha­bi­tude d’en­tendre ça », observe-t-il.

« Il faut répondre aux jeunes quand ils se posent des questions »

« L’extrémisme reli­gieux ne s’est, pour l’ins­tant, pas déve­loppé à Mistral », affirme Hassen Bouzeghoub. « On le sau­rait. Tout se sait très vite ici, c’est un petit vil­lage », ajoute-t-il. La preuve, selon lui ? La réac­tion des jeunes face aux atten­tats du mois de jan­vier 2015 : « Ils n’ont pas cau­tionné, en géné­ral. » D’ailleurs, « au col­lège, seuls deux élèves ont refusé de faire la minute de silence, sur 470 en tout. Et nous n’a­vons pas observé d’ins­crip­tions sur les murs, à part un petit truc. Rien d’am­pleur. »

Mais « il faut répondre aux jeunes quand ils se posent des ques­tions », mar­tèle-t-il. « J’ai ren­con­tré deux jeunes hommes qui m’ont dit : “Tu as vu, Hassen, com­ment les des­si­na­teurs ont parlé du pro­phète ? Ce n’est pas bien ce qu’ils ont fait. Ils méritent ce qu’ils ont eu. Moi je ne suis pas Charlie. Je suis musul­man, je suis pour le pro­phète”. Je leur ai alors demandé : “Tu es en train de me dire que tu es croyant et tu mets un des­sin en com­pa­rai­son du pro­phète ? Je trouve, là, que c’est toi qui blas­phèmes en rabais­sant au niveau d’un cro­quis l’être le plus sacré, ce que tu as de plus cher en toi. Le vrai blas­phème, en vérité, c’est de faire cette com­pa­rai­son”. Le jeune a dit : “Mais tu n’as pas tort, en vérité.” »

« Merah est devenu une légende dans la cité »

Et il faut aller plus loin, selon Hassen Bouzeghoub. « Qu’est-ce qu’on donne comme moyens de com­pré­hen­sion à ces jeunes qui ont deux infor­ma­tions contra­dic­toires dans un espace public où il faut qu’ils fassent avec ? » Et de pour­suivre : « C’est quand ça repart en som­meil qu’on doit inter­ve­nir », dit-il, pour aller plus loin dans la réflexion ensemble.

Hassen Bouzeghoub, directeur du Plateau. © Véronique Magnin – Place

Hassen Bouzeghoub, direc­teur du Plateau. © Véronique Magnin – Place Gre’net

« L’histoire de Merah nous a inter­pel­lés, mais on n’a rien fait der­rière. Une fois que ça s’est calmé, on a dit : “Chut ! Personne ne parle. C’est bon, c’est passé”. En vérité, non, ça s’est endormi et puis ça s’est ancré ! Merah, pour les jeunes, c’est le mec qui a blo­qué les hommes du Raid depuis sa salle de bain pen­dant 32 heures, déter­miné à mou­rir, les armes à la main. C’est devenu une légende. On est resté plu­tôt là-des­sus dans la cité. »

Hassen Bouzeghoub s’est beau­coup mobi­lisé sur cette ques­tion. Il est notam­ment inter­venu dans les médias pour sen­si­bi­li­ser le public. Le 12 février 2015, il décla­rait sur France bleu Isère : « Cette fois-ci, il ne faut pas qu’on fasse l’é­co­no­mie de savoir qui étaient les trois auteurs des atten­tats de jan­vier, parce qu’ils sont nés en France, qu’ils vivaient sur des ter­ri­toires comme les leurs [ceux des jeunes des quar­tiers, ndlr], avec des par­cours édu­ca­tifs un peu comme les leurs. Alors, auto­ma­ti­que­ment, les jeunes se posent des ques­tions. » Il ira plus loin, à l’oc­ca­sion de notre entre­vue : « Il est néces­saire de mon­trer aux jeunes ce qui fait dif­fé­rence entre eux et ces trois extré­mistes ».

Quant à Brahim Rajab, il pense qu”« au lieu de consi­dé­rer la jeu­nesse de nos quar­tiers comme un réser­voir poten­tiel pour le ter­ro­risme, on devrait l’en­vi­sa­ger comme une richesse poten­tielle pour notre pays. Nous avons pu voir que, parmi ceux qui s’en­gagent dans cette voie de la ter­reur, il y a un grand nombre de conver­tis sec­taires qui viennent de tous les milieux et que ce qui les carac­té­rise, c’est l’i­gno­rance et le désar­roi. »

Retrouver les sources spi­ri­tuelles les plus pro­fondes de l’islam

« Il faut aussi qu’on arrête de dire que ce n’est pas un pro­blème de reli­gion. Les ter­ro­ristes ont agi au nom de la reli­gion de mes parents. Ils s’es­timent pro­fon­dé­ment musul­mans. Ils ne se sont pas dégui­sés ! Cette reli­gion est malade. Les Musulmans l’ont lais­sée se gan­gre­ner sous l’ac­tion des voyous et des extré­mistes », nous affirme un habitant.

Un autre s’in­ter­roge sur la res­pon­sa­bi­lité de cha­cun. Aujourd’hui, il y a urgence : « L’imam de Mistral pour­rait peut-être faire quelque chose en dehors de la mos­quée. Comme aller voir davan­tage encore les gamins pour leur expli­quer que l’is­lam ce n’est pas l’is­la­misme, comme ils voient sur Facebook, sur Internet. Et leur faire redé­cou­vrir les sources les plus pro­fondes de l’is­lam spi­ri­tuel. » Un point de vue par­tagé par un acteur socio-cultu­rel : « L’imam ne devrait-il pas faire davan­tage par­tie de la cité aujourd’­hui ? Être un acteur plus pré­sent, tout aussi vigi­lant que nous ? Notre atti­tude à tous doit être citoyenne ».

Mosquée

Mosquée. DR

Il ajoute qu’il fau­drait éga­le­ment expli­quer la reli­gion cora­nique à ceux qui ne sont pas musul­mans parce qu”« il y a une isla­mo­pho­bie folle qui se déve­loppe à cause des amal­games reli­gieux. Musulman n’est pas syno­nyme d’is­la­miste, ni de ter­ro­riste ! ».

« Il fau­drait aussi des ins­tances pour par­ler de l’his­toire des pays d’o­ri­gine des jeunes du quar­tier, juge Brahim Rajab. Le pro­blème c’est que la France a trop occulté son passé colo­nial. Il y a un évi­te­ment là-des­sus et ça c’est catas­tro­phique. »

« Aujourd’hui, on com­mence à dire qu’il faut aller voir aussi du côté de l’in­ter­cul­tu­ra­lité. Les poli­tiques y sont plus récep­tifs », com­plète Hassen Bouzeghoub, sou­lagé. « C’est un pro­grès parce qu’a­vant on disait : “Vous vou­lez emme­ner les jeunes en Algérie, c’est quoi cette his­toire ?” La ques­tion de la double culture était taboue. »

Travailler la ques­tion de la double culture

Et celui-ci d’ap­pe­ler à chan­ger de méthode : « Il faut que les jeunes nous disent ce qu’ils ont à nous dire et que, nous, on essaie de com­prendre ce qu’ils disent pour savoir ce qu’on doit leur ren­voyer. Et moi je pense qu’ac­tuel­le­ment c’est un peu l’in­verse qui se passe. On leur dit des choses et puis “Voilà, c’est comme ça que ça doit se pas­ser dans ta tête.” ».

Brahim Rajab espère une récon­ci­lia­tion des Maghrébins avec la citoyen­neté fran­çaise et qu’un jour ces jeunes puissent répondre : « Vous me deman­dez d’être fran­çais. Je ne le fais pas parce que vous me le deman­dez mais parce que je le suis pro­fon­dé­ment ».

Habitants dans une allée près de la prairie, au cœur de la cité. @ Véronique Magnin - Place Gre'net

Habitants dans une allée près de la prai­rie, au cœur de la cité. @ Véronique Magnin – Place Gre’net

« Il faut aussi que l’on arrête de dire qu’on est tous les mêmes, estime Hassen Bouzeghoub. On est tous ensemble, mais on est dif­fé­rent. La dif­fé­rence n’empêche pas de s’ac­cep­ter les uns les autres. Mais cela passe par la confron­ta­tion à l’autre, l’é­tran­ger, au sens de celui qu’on ne connaît pas. Il faut qu’on accepte les chocs cultu­rels. » Avec un objec­tif : celui de pro­gres­ser collectivement.

Bien sûr, il faut répondre aux jeunes, estime-t-il : « Tu as le droit de ne pas être d’ac­cord avec lui mais tu n’as pas le droit de lui dire de ne pas faire cer­taines choses, au nom de tes propres prin­cipes ».

Et Brahim Rajab de regret­ter : « Si, dès le début, on avait dit “on est en France, vous êtes les bien­ve­nus, on vous res­pecte”, et sur­tout, si on avait valo­risé les immi­grés, leur culture, sans lâcher un pouce de la démo­cra­tie ou de la République, on n’en serait sûre­ment pas là ».

Un der­nier chan­tier ? Reconstruire le vivre-ensemble

A Mistral, la ville de Grenoble a mis en place une expé­rience, pro­po­sée par le Conseil de l’Europe, dans sa stra­té­gie pour la cohé­sion sociale. Son nom ? La méthode Spiral. Elle consiste à ras­sem­bler des groupes d’ha­bi­tants du quar­tier et à par­tir de deux ques­tions simples – Qu’est-ce que le bien-être ? Qu’est-ce que le mal-être ? – à faire émer­ger une dyna­mique collective.

« Sauf que les gens n’ont plus l’ha­bi­tude de se mettre en mou­ve­ment col­lec­ti­ve­ment, déplore Brahim Rajab. Lors de la res­ti­tu­tion, les habi­tants n’ont parlé que des pro­blèmes de loge­ment. Il est vrai que cet aspect n’est pas à mini­mi­ser. Mais quand la ques­tion du vivre-ensemble est évo­quée, on se rend compte que cer­tains refusent le mélange et veulent conti­nuer à déve­lop­per et nour­rir un sys­tème de cloi­son­ne­ment qui est un véri­table piège pour eux et leurs enfants. » Bref, tout est à reconstruire.

Jardin familial. - DR

Jardin fami­lial. – DR

Pour autant, l’es­poir est là. « Les gens nous disent sou­vent : « Les fêtes de quar­tier comme avant nous manquent ! », rap­porte Hassen Bouzeghoub. Et le vivre-ensemble n’est pas mort à Mistral. Il reste quand même des îlots de convivialité.

Pour don­ner un exemple, Karim Kadri cite les jar­dins fami­liaux de Bachelard : « Là, j’ai vu les Hispaniques, les Asiatiques, les Maghrébins… tout le monde par­ler d’un seul sujet : avoir son jar­din et ses légumes ».

Une des forces du quar­tier, selon Hassen Bouzegoub, reste la pré­sence d’un grand nombre d’an­ciens de Mistral parmi les acteurs socio-cultu­rels qui œuvrent pour la jeu­nesse. Et qui s’in­ves­tissent, « ani­més par la soli­da­rité familiale ». 

« On ne se tourne pas le dos dans la dif­fi­culté ici. On s’en­traide ». Pour lui, c’est clair, ce sont « des com­bat­tants, des résis­tants, des révo­lu­tion­naires dans le bon sens du terme qui savent res­ter vivants et veulent chan­ger les choses ».

« La jeu­nesse, per­sonne ne l’abandonne »

Appuyant son pro­pos, un repré­sen­tant du club de foot en cite quelques-uns : « Brahim Rajab au Prunier sau­vage, nous ici au club de foot, Hassen Bouzeghoub et d’autres qui tra­vaillent au Plateau. À la mai­son des habi­tants, il y en a d’autres aussi, au Cohamis… C’est ça, éga­le­ment, qui fait que le quar­tier tient ».

« Mistral est un quar­tier jeune. C’est un de ses points forts et une vraie richesse. La jeu­nesse, per­sonne ne l’a­ban­donne », tient à affir­mer Hassen Bouzeghoub.

Club de foot FC Mistral. @ FC Mistral

Club de foot FC Mistral. @ FC Mistral

Au club de foot, « on arrive quand même a dis­cu­ter avec les jeunes, heu­reu­se­ment ! », nous explique l’un de ses diri­geants. « Parce qu’ils ont confiance, parce qu’on les accom­pagne. On s’oc­cupe d’eux. Ils ne manquent de rien au club. Ils ont leurs équi­pe­ments, des ves­tiaires tout neufs. On leur donne notre confiance. Ils nous la rendent. On leur apprend le goût du res­pect aussi », pré­cise Ali Achour, direc­teur du FC Mistral.

Un membre actif du club insiste : « L’essentiel, c’est le res­pect des valeurs. Notre objec­tif prio­ri­taire, c’est que ça se passe bien dans les matchs, ici comme à l’ex­té­rieur ».

Et « on fait aussi un tra­vail social au club de foot », reprend Ali Achour. Ainsi, par exemple, quand un jeune du club n’est pas ren­tré après l’en­traî­ne­ment, « des parents viennent nous voir pour que nous ayons un contact avec leur fils ».

Au Plateau, la ques­tion de la double culture a déjà été abor­dée. « L’année der­nière, nous avons accom­pa­gné des jeunes en Algérie, à Constantine […] et avec la Ville, aujourd’­hui, nous essayons de construire un pro­jet sur l’i­den­tité, pré­cise Hassen Bouzeghoub. Qu’est-ce que c’est aujourd’­hui un jeune de Mistral ? Il est quoi ? Français ? Français musul­man ? Algérien fran­çais ? Algérien fran­çais musul­man ? »

Pour Brahim Rajab, sur les ter­ri­toires des zones urbaines sen­sibles (Zus), « on a beau­coup parlé du levier de l’emploi, du levier du loge­ment et c’est très bien, sauf que le levier cultu­rel a été négligé et c’est catas­tro­phique ».

Brahim Rajab, directeur du Prunier Sauvage. © Véronique Magnin – Place Gre'net

Brahim Rajab, direc­teur du Prunier Sauvage. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Le Prunier sau­vage, quant à lui, s’est fixé pour objec­tif de « déve­lop­per le capi­tal cultu­rel des enfants avec une ouver­ture sur le monde, afin qu’ils cessent de défi­nir leur iden­tité uni­que­ment à tra­vers le quar­tier, leurs ori­gines ou la reli­gion ».

« Il y a des méthodes à revoir »

« Pourquoi des jeunes, que les struc­tures socio-cultu­relles ont pour­tant accom­pa­gnés depuis leur plus jeune âge, ont-ils glissé dans un sys­tème qui ne leur a pas per­mis de se sen­tir citoyens et ont grandi avec le sen­ti­ment de ne pas faire par­tie de la société fran­çaise ? Pourquoi en a‑t-on perdu autant en route ? Qu’est-ce que nous avons mal fait ? », s’in­ter­roge Brahim Rajab. « Un bilan est néces­saire. »

Hassen Bouzeghoub com­plète : « Nous tous, les acteurs socio-cultu­rels, devrions nous remettre autour de la table pour voir si ce que l’on pro­pose aujourd’­hui est bien adapté aux besoins actuels. Encore plus avec ce qui se passe en ce moment [les atten­tats de jan­vier 2015, ndlr] ».

Acteurs socio-cultu­rels et spor­tifs, habi­tants enga­gés de Mistral, béné­voles, tous veulent défendre leur quar­tier. A l’i­mage d’Ali Achour, direc­teur du FC Mistral.

Ali Achour, directeur du FC Mistral. © Véronique Magnin – Place

Ali Achour, direc­teur du FC Mistral. © Véronique Magnin – Place Gre’net

« Aujourd’hui, il est urgent d’agir autre­ment, d’inventer de nou­velles choses, d’être auda­cieux et créa­tifs. Il faut ima­gi­ner un nou­veau récit qui véhi­cule des valeurs huma­nistes et qui valo­rise les habi­tants. Sur un ter­ri­toire comme Mistral, dans une ville comme Grenoble, nous pou­vons expé­ri­men­ter de nou­velles méthodes et être valeur d’exemple à l’échelle natio­nale », pro­pose avec force Brahim Rajab.

Ce rêve, le Prunier sau­vage l’a porté en 2014, en orga­ni­sant la dixième édi­tion du fes­ti­val Mistral cou­rants d’airs, avec la danse à l’hon­neur. Un véri­table suc­cès et l’oc­ca­sion pour Brahim Rajab et son équipe de mon­trer ce que pour­rait per­mettre une vraie poli­tique cultu­relle dans les Zus.

Chorégraphie de Braslavie - Dimension 34 et Vagabond Crew. © Kamproduction.fr (extrait du film Mistral Courant d’Airs 2014)

Chorégraphie de Braslavie – Dimension 34 et Vagabond Crew. © Kamproduction​.fr (extrait du film Mistral cou­rant d’airs, 2014)

Mais pour faire cette démons­tra­tion, l’as­so­cia­tion a puisé sur ses fonds propres… Aujourd’hui, ses caisses sont vides. Même si la nou­velle muni­ci­pa­lité a recon­duit la sub­ven­tion au Prunier sau­vage, la onzième édi­tion du fes­ti­val n’aura donc pas lieu. « On nous donne juste de quoi sur­vivre », déplore Brahim Rajab.

La culture est oxy­gène. Les cités sen­sibles étouffent… Coup de théâtre, la ville de Grenoble vient tout juste de pro­mettre un effort finan­cier sup­plé­men­taire pour aider le Prunier sau­vage à atteindre son objec­tif d’ou­ver­ture à la culture du quar­tier Mistral. L’appel à plus d’au­dace aurait-il été entendu ?

Véronique Magnin

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Le FC Mistral

En tout, le Football club Mistral compte 180 licen­ciés. Des jeunes entre 6 et 18 ans et une équipe de seniors. « Il y a le foot avec les entraî­ne­ments, les matchs, mais nous met­tons aussi en place des ani­ma­tions – comme les soi­rées frites et mer­guez lors de la Coupe du monde de foot­ball 2014 – et nous orga­ni­sons des sor­ties à l’ex­té­rieur », pré­cise Ali Achour. En mars, les jeunes ont pu se rendre au salon de l’au­to­mo­bile 2015 de Genève.

Le Plateau, quartier Mistral © Séverine Cattiaux

Le Plateau

En plus des actions spor­tives, de l’aide aux devoirs qu’ils encadrent, les acteurs socio-cultu­rels du Plateau ont accom­pa­gné, l’an der­nier, plus de 60 jeunes dans leurs démarches d’insertion sociale et professionnelle.

Le Plateau réa­lise aussi le suivi des jeunes incar­cé­rés, en lien avec la mis­sion locale de Grenoble et l’association régio­nale pour l’insertion (Arepi).

« Nous avons des jeunes, aujourd’­hui, qui viennent au Plateau et font le choix de dire : “Je m’ins­cris dans ce pro­jet et je vais faire du sport, je vais aller à l’aide au devoir, je vais faire des stages”… Il y a une alter­na­tive à tout ça [le chô­mage, le deal etc., ndlr] », insiste Hassen Bouzeghoub.

Le Prunier sauvage

Lieu de spec­tacle, d’ac­cueil de com­pa­gnies en rési­dence, l’as­so­cia­tion, a aussi mis en place, en lien avec des habi­tants volon­taires, un par­cours cinéma, l’or­chestre des enfants… « On emmène aussi les jeunes à l’Opéra de Lyon… Et c’est éga­le­ment un lieu d’é­changes et de dia­logue inter­cul­tu­rel […] Ici, les habi­tants ont accès à cer­tains spec­tacles, aux­quels ils n’i­raient pas car il sont trop chers ou bien par auto-exclu­sion, auto­cen­sure aussi. »

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Véronique Magnin

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