REPORTAGE – Épisode 1 – Souvent sous la loupe des médias et des politiques, la cité populaire de tours et de barres est en pleine mutation, depuis les années 2000. Comment ce bouleversement est-il vécu par les habitants du quartier Mistral de Grenoble ? Comment les premiers concernés appréhendent-ils les choses de l’intérieur ? Rencontre avec des Mistraliens, premier volet de ce dossier spécial Mistral.
Un quartier chaud, ça ne se visite pas. 16 heures. Sud-ouest de Grenoble, garé avenue Rhin et Danube, on prend quelques minutes, le visage collé à la vitre. Dehors, l’ancien cœur du quartier Mistral est très calme, en cette journée d’hiver ensoleillée. Au pied des trois tours centrales, quelques jeunes discutent ou s’ennuient. Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, ils font le guet.
A deux pas de là, quelques habitants s’affairent ; tranquille va-et-vient autour des trois derniers commerces de proximité de la barre Anatole France : une pharmacie, un bureau de tabac et une boucherie. Voilà tout ce qu’il reste de l’ancien centre commercial de Mistral. Plus pour très longtemps, d’ailleurs, car l’immeuble aux balcons gaudiens vit là ses dernières heures avant sa démolition, rénovation urbaine oblige.
« On trouve de belles personnes ici »
Pris de curiosité, on aimerait bien les connaître de plus près les habitants du quartier Mistral, trop souvent « stigmatisés ». Le mot vient d’être lâché par une jeune animatrice de la Maison de l’enfance Bachelard, rencontrée à l’inauguration d’une fresque réalisée par des petits Mistraliens.
Elle ajoute : « Je ne me sens pas surveillée dans ce quartier et je ne crains pas de m’exprimer. J’y travaille depuis un an et demi et, pour ma part, je ne ressens pas plus de violence qu’ailleurs, au final. Pour moi, c’est un quartier comme un autre ».
Les oiseaux ont été commandés par le bailleur Actis pour embellir, tour à tour, les locaux à poubelles d’anciens immeubles du quartier et inciter, par là-même, les habitants à plus de civilité.
Jérôme Bayet, l’artiste chargé de l’encadrement des enfants, s’est plusieurs fois rendu dans les trois tours – où sévit actuellement le trafic de drogue – pour voir les sous-sols. « Je n’ai eu aucun problème pour circuler. Il faut dire que le local à poubelles n’est pas un territoire stratégique pour eux. Et, par ailleurs, on a déjà fait des carnavals, des déambulations dans la cité et ça s’est toujours très bien passé. »
L’artiste, qui travaille beaucoup dans les quartiers à Mistral mais aussi Villeneuve, Teisseire et dans d’autres villes comme La Tronche ou Corenc, salue même le vivre-ensemble mistralien. « Les gens sont un peu plus solidaires, j’ai l’impression. Et puis, je ne pars pas avec un a priori. Du coup, peut-être que c’est plus facile… Dans ce quartier, il y a une espèce d’énergie. On trouve des belles personnes ici. »
Une impression positive partagée par Hakim Bendellaa, messager du tri à la Métro, partenaire du projet de la fresque : « Il y a trois mois, la Métro a changé la totalité des bacs enterrés sur le quartier Mistral. […] Nous avons voulu accompagner ce changement de bacs par une période de porte à porte. Nous, c’est service public, égalité de traitement pour tous. Les messagers du tri sont allés partout car tous sont contribuables. Et ça s’est super bien passé. »
« Ça fait mal de voir tomber les barres »
On traverse l’avenue Rhin et Danube. Juste devant nous, le Mistral historique construit au bord de l’eau. Vraiment ? Difficile en effet de s’en rendre compte, l’A480 privant la cité d’un bel accès au Drac.
Barres et tours d’une quinzaine d’étages se dressent jusqu’au ciel. Un choix architectural tout en hauteur qui visait à la fois un minimum de fondations et un maximum de logements. Il fallait construire vite et beaucoup pour faire face au baby boom, tout en ménageant le plus d’ouvertures possibles.
Pari gagné. Dans les années 70, la cité de dix hectares logeait jusqu’à 7 000 Mistraliens, avec vue panoramique sur les quatre massifs. Et le confort sanitaire pour tous. A l’époque, c’était le grand luxe.
Mais depuis la mise en œuvre du nouveau projet urbain au début des années 2000, le visage du quartier change et, au sud, le regard tombe désormais sur un terrain vague. Les quatre barres Strauss sont démolies. 350 ménages, dont beaucoup d’anciennes familles de Mistral, ont ainsi dû être relogés ailleurs. Dans le quartier évidemment mais pour beaucoup, pas le choix, il a fallu partir dans d’autres secteurs de la ville. Voire beaucoup plus loin, parfois même jusqu’à Voiron.
Un vrai tournant pour les habitants, comme nous le confie une jeune trentenaire de Mistral croisée dans la rue avec d’autres femmes, non loin de la pharmacie. D’origine maghrébine, brune et élégante, avec son jean serré, son anorak cintré et ses bottines à talons, elle précise : « Ce fut le coup de grâce quand la dernière barre est tombée en 2010. Là, le quartier tel qu’on le connaissait est vraiment mort. Ah oui ! Franchement, ça fait mal de voir tomber les barres ».
Son amie, peau mate, cheveux blonds dorés, tout aussi apprêtée, rebondit : « Tu as vu ta chambre ? Tu te souviens ? ». Elle se souvient très bien quand les pelleteuses l’ont éventrée. Et, comme toute entière tournée en elle-même, elle avoue : « J’avais mal. Et quand je passe encore devant et que je vois ce vide… ». Puis de conclure : « C’est plein de souvenirs qui s’envolent ».
« Il a manqué un vrai suivi psychologique »
Karim Kadri, président du Collectif des habitants de Mistral (Cohamis) – association qui vise notamment à défendre les intérêts matériels et moraux des habitants auprès des autorités locales –, se souvient aussi de ce moment : « Les gens qui ont dû partir ont souffert d’être déracinés. Beaucoup n’ont pas été suivis correctement. Certains sont même encore mentalement malades » nous confie-t-il.
Il y a bien eu l’élaboration d’une charte de relogement, lancée en 2005. L’union de quartier de l’époque s’était d’ailleurs impliquée pour aider les habitants à la construire, se souvient Ali Achour, son ancien président. Mais voilà, il a manqué un vrai suivi psychologique.
« On voit d’ailleurs des enfants qui reviennent régulièrement dans le quartier pour retrouver leur racines ». Bernard aussi qui, souvent, passe boire un café à Mistral. « J’y retrouve mes racines. Je trouve mes contacts. J’y trouve ma base à Mistral » a‑t-il confié, un jour, à Karim Kadri.
« On voulait un F3, on a obtenu un F5 »
Et puis, ceux qui ont été relogés ici-même ont souvent été bien surpris : « On voulait un F3, on a obtenu un F5 », s’indigne une femme d’une soixantaine d’années, la seule du groupe portant un foulard sur les cheveux. Charge pour les occupants de payer le surcoût. Elle poursuit : « Deux, trois, quatre ans… On ne nous donne pas un nouveau logement, pourquoi ? ».
La jeune femme blonde reprend la parole : « Et toi, tes parents qui ont été dans les derniers à quitter les barres, tu te souviens ? A la fin, il n’y avait même plus le chauffage dans le F4 et ils devaient encore payer le loyer ! Et après, ils les ont relogés dans du nouveau, avec une chambre en moins, alors qu’ils ne voulaient pas plus petit ! ».
Mais à quoi ressemble-t-il le nouveau ? Retour à l’échelle humaine, avec quatre à cinq étages maximum pour les îlots résidentiels. Et de nouvelles contraintes environnementales imposant une température de 22°C maximum dans les logements. La femme au foulard ajoute, somme toute satisfaite : « J’y habite depuis 34 ans dans ce quartier. Maintenant, c’est tout neuf et c’est bien ». De beaux logements, oui. Mais une rénovation urbaine avec beaucoup de défauts quand même.
Les commerces de proximité s’en vont
« Il y a très peu de quartiers à Grenoble où il n’y a pas de commerces de proximité, pas de boulangerie au cœur même de la cité, pas de bibliothèque » observe Hassen Bouzeghoub, qui nous épargne à cet instant une liste beaucoup plus longue.
Ce fils de Mistral, directeur du Plateau – nouveau centre socio-culturel construit rue Anatole France, un peu à l’extérieur du Mistral historique –, rappelle aussi la fermeture du Lidl en 2013. Plus de supérette dans le quartier, mais pourquoi donc ? Avec un peu moins de 3 000 habitants actuellement à Mistral, la jauge serait-elle insuffisante ?
Karim Kadri et quelques autres habitants impliqués ont, à l’époque, rencontré le directeur du centre commercial. « A Lidl, ils n’ont pas pu atteindre leur seuil de rentabilité qu’ils ont placé trop haut. En 2012 – 2013, il faisait quand même 60 000 euros hebdomadaire ! Il faut dire aussi que des pressions extérieures étaient exercées sur les vigiles qui ne peuvent pas fermer les yeux sur les vols, même ceux commis par nécessité. »
Un exemple ? « Une mère de famille seule et au chômage passe avec son cadis. 20 euros en caisse. En fait, dedans, il y en a pour 150 euros. Le vigile l’interpelle parce qu’il est payé pour ça. La mère de famille parle à son fils qui se met en colère et c’est comme ça que les agressions arrivent. Et puis, les jeunes quand ils volaient une bière, ils narguaient aussi, montraient qu’ils ne payaient pas. C’est compliqué. Ce sont des problèmes d’incivilité. »
Mais de là à partir s’installer à un kilomètre du quartier, Karim ne comprend pas. « Dans la comptabilité de n’importe quel commerce, il y a une colonne pertes. Elle n’était pas trop importante pour le Lidl » estime-t-il.
Les habitants ont manifesté fort pour qu’il reste leur Lidl, mais en vain. Tout leur échappe. C’était un lieu de rencontre, formidable pour Karim. Et sur les bancs de la ville installés juste devant, les personnes âgées s’asseyaient par beau temps. Pour regarder. Pour discuter. Même des gens de l’extérieur sortaient de l’autoroute exprès pour venir y faire leurs achats. Pour une fois qu’on venait à Mistral !
Mistral d’avant, Mistral gagnant
Nous retrouvons nos dames. Nostalgiques aussi du Mistral d’avant. « Dès qu’on se croisait, on se parlait. On se retrouvait dehors, les voisins, les voisines. Il y avait des murettes où les familles se rencontraient. Les mères sortaient les enfants, les promenaient. Ça existe encore mais pas comme avant. Beaucoup moins. C’est la mentalité aussi qui a changé. C’est quand même beaucoup plus chacun chez soi […] Et puis, il y avait tout au cœur du quartier : commerces, bibliothèque, gymnase. Il y avait aussi la maison de l’enfance et la Maison pour tous, au milieu des gens. Tous les mercredis, tous les samedis, il y avait des activités. Les jeunes faisaient toujours de la peinture dans les allées. J’allais au ski l’hiver. Il y avait un parking, là. Le bus venait. C’était nos sorties, nos colonies, nos camps. Franchement, c’était trop bien. »
Encore un tour de manivelle en arrière. Retour à la fin des années 60. Dans le quartier, il y avait surtout des pieds-noirs revenus d’Algérie après les accords d’Évian, beaucoup d’Espagnols, des Italiens et tous les anciens de la cité jardin qui regrettaient parfois le temps où ils étaient moins nombreux. Qui aimaient danser. Souvent.
Il a fallu qu’ils se familiarisent avec le nouveau visage de la cité. Puis, les fêtes sont revenues au pied des tours et des barres. Hommes et femmes se sont alors remis à danser. « C’était très bon enfant ».
Des fenêtres ouvertes, on entendait du rockabilly. Rebelle à la Elvis Presley, Chuck Berry… Puis après 68, la jeunesse s’est tournée vers un autre rock : Jimmy Hendrix, les planants Pink Floyd. Le heavy metal aussi avec Deep Purple.
Tous étaient portés par l’envie collective de changer le monde et de faire des choses ensemble. Et les jeunes avaient une conscience politique qui étonnait les hommes politiques eux-mêmes. Le paradis ? Vu de l’extérieur, léger bémol.
« Ça ressemblait à une grande prison », se souvient Bernard Lavilliers, venu en 1977 à Mistral pour y chanter les chansons de son album Les barbares. « Au début, on me regardait bizarre » confie-t-il ainsi dans le film Mistral décibels années, réalisé en 2006 par Brahim Rajab, directeur de l’association culturelle Le Prunier sauvage, avec Michel Szempruch. « En fait, on parlait le même langage. Il y a des gens qui sont devenus écrivains, poètes. C’était une cité très dure, très mal vue. Un quartier qui inquiétait la bourgeoisie. Il y avait beaucoup de CRS. En 1977, c’était aussi dur que les cités d’aujourd’hui. »
Dans les années 70, le thé à la menthe s’est mis à couler à flot. La communauté magrébine est d’ailleurs toujours la plus importante aujourd’hui à Mistral. Même si la cité reste très cosmopolite, avec ses 35 à 40 nationalités d’origine.
« Ils ont fait une prairie, à quoi elle sert ? »
Où est-on déjà ? Ah oui ! Devant les trois tours, au cœur du quartier historique de Mistral. Plus de commerces de proximité, plus de Lidl, disait-on, plus d’équipements socio-culturels au cœur de la cité populaire. Tout va plus mal depuis les années « sans ». Sans perspectives d’avenir, sans travail, les ouvriers et les employés sont les premiers touchés. C’est la dégelée. Alors la mauvaise humeur reprend le dessus.
Les barres Strauss – du nom de la loi de 1906 imposant des conditions de salubrité aux logements construits – « ce n’était franchement pas l’endroit le plus catastrophique du quartier ! En les démolissant, ça a fait partir tout le cœur de la cité ! » se désole encore l’ancien président de l’union de quartier Mistral et actuel président du club de foot, Ali Achour.
« Ils nous ont calmés en nous disant qu’à la place il allait y avoir une zone d’activité économique qui allait créer de l’emploi. Bien située, à la sortie de l’autoroute… Ce projet est aux oubliettes pour l’instant ! » affirme Karim Kadri. Le 5 février dernier, le président Hollande annonçait sur Europe1 qu’une des priorités du gouvernement était de faire revenir les commerces et de booster les entreprises des banlieues. La Banque publique d’investissement ainsi que la Caisse des dépôts participeraient au montage d’une Agence nationale de développement économique sur les territoires. Alors, les décisions sont-elles pour bientôt ?
Une des femmes pointe maintenant du doigt l’espace derrière les trois tours : « Ils ont fait une prairie, là, mais à quoi elle sert ? A rien du tout. À la place, avant, il y avait un terrain de foot. On avait des jeux de notre époque. Pourquoi n’ont-ils pas simplement mis de nouveaux jeux pour les enfants ? Il ne leur reste plus qu’un tout petit coin, maintenant ».
Et Karim Kadri d’ajouter : « En plus, elle est livrée à des activités bruyantes le soir, la nuit, avec les moto-cross ». Une autre femme, fataliste, reconnaît : « Je sais, c’est terrible à dire, mais on s’y est habitué. On s’habitue à tout ».
Petit tour d’horizon, disait-on ? Retournons vers le nord-est et traversons l’avenue Rhin et Danube. « Sur la place, devant le plateau, il y a un jet d’eau à 230 000 euros qui ne sert à rien. Et, pour la place elle-même, c’est plus d’un million d’euros d’investissement. A quoi elle sert ? Personne n’y va et, en période d’hiver, il y a du verglas, les gens peuvent glisser. C’est vraiment du gaspillage ! », estime Ali Achour.
Et celui-ci d’ajouter que ces constructions-là ont été décidées sans aucune consultation des habitants. Et quand il y a consultation, ce n’est jamais en amont des projets. « Ça nous gène, bien sûr, que l’on ne nous demande jamais notre avis avant. Le monsieur chargé de l’urbanisme vient avec son vidéoprojecteur : “Voilà ce que nous avons décidé et au revoir”. Je m’élève contre ! » s’exclame Karim Kadri.
Le président du club de foot ajoute : « Je ne critique pas le travail des pros sur le quartier. La maison des habitants, le Plateau lui-même, c’est très bien. Ils font un travail excellent mais j’en ai après l’ancienne municipalité qui n’a pas fait son boulot comme il faut auprès des habitants. »
Un entre-soi géographique et culturel
Le tout premier point commun des habitants de Mistral ? La pauvreté, pour Hassen Bouzhegoub. Et « avoir le même parcours migratoire pour beaucoup, ce qui vient se rajouter aux conditions sociales et économiques difficiles. Donc on a cette espèce de repli social qui peut aussi s’appuyer sur des idées un peu identitaires, communautaires » ajoute-t-il.
Un entre-soi favorisé géographiquement par une cité de dix hectares complètement délimitée par des frontières routières : l’A480 à l’ouest, la bretelle d’autoroute au sud, l’avenue Rhin et Danube à l’est. Et la rue Anatole France qui ferme la boucle au nord. Une vraie enclave urbaine avec, à l’intérieur, un microcosme social indépendant qui s’y développe. Hors le reste de Grenoble. Hors la République ?
Les services Urbanisme et Habitat de la Ville proposent une solution : désenclaver par le bâti et intégrer Mistral au quartier les Eaux-claires. Bingo ! L’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) va financer.
À mi-parcours de ce réaménagement, le directeur du Plateau, Hassen Bouzhegoub émet quelques réserves et nous fait part de ses doutes : « Le projet urbain c’était de dire : il faut ouvrir, que les gens entrent et sortent. Et un des supports, ça a été de construire les nouveaux équipements en dehors de la cité même, de l’autre côté de l’avenue Rhin et Danube. Est-ce que c’était le bon choix ? Aujourd’hui, a priori, on a l’impression qu’il fallait peut-être en sortir certains mais pas tous. Plutôt jouer sur les équilibres ».
Et de poursuivre : « On est toujours en train de dire aux habitants qu’il faut faire de Mistral un quartier comme ailleurs. Or il y a très peu de quartiers à Grenoble où il n’y a pas de commerces de proximité, pas de boulangerie dans la cité, pas de bibliothèque. On ne peut pas dire “soyez comme tout le monde” mais, en même temps, “vous êtes dans des espaces qui ne sont pas comme tout le monde”. »
Pour Hassen Bouzhegoub, la priorité est claire : il faut arriver à trouver des solutions pour arrêter la dynamique de fuite vers l’extérieur. « Le message qui est envoyé aux gens c’est, ici, il faut fuir, il faut partir ! Si vous voulez vivre, agir et vous développer, ça se passe dehors. Donc ça renvoie aux habitants une espèce de frustration […] Il ne faut pas avoir peur de se dire qu’on s’est peut-être trompé, qu’on a été peut-être un peu trop vite. »
La rénovation devait aussi être l’occasion de renforcer la mixité sociale. Avec 99 % de logements sociaux à Mistral ? « Aujourd’hui, la mixité sociale, je ne la vois pas personnellement », déclare Ali Achour. Et un membre actif du club de foot d’ajouter : « Quand des logements se vident, plutôt que de ramener le même type de personnes, de la même classe sociale, qu’ils nous ramènent des profs, des gens de classes sociales différentes, d’horizons différents. Il faut les forcer à venir ! ».
La jeune femme blonde s’interroge sur les intentions réelles des aménageurs : « Ils ont cassé la boulangerie, enlevé certains endroits pour avoir plus de visibilité. A croire que c’est tout aménagé pour la police ». Et de poursuivre : « C’est peut-être aussi pour faire payer plus cher les loyers, pour récolter plus d’argent. Je ne sais pas. »
Les habitants assistent au projet urbain… depuis leur fenêtre
Cerise sur le gâteau pour les habitants de la cité, l’aménagement a commencé par l’extérieur : « Si on prend le Mistral historique, les anciens habitants sont toujours dans leur appartement de 1960. En fait, ils assistent au projet urbain depuis leur fenêtre. Alors ils ne pensent pas que c’est pour eux. Dans leur quotidien, rien ne change. Ils nous disent : “J’ai toujours les mêmes soucis personnels, l’appartement n’est pas refait, les ascenseurs ne sont pas réparés”. Par contre, à côté, il y a des bâtiments neufs occupés par des gens qui viennent d’ailleurs. On leur dit “bientôt, ça va être vous” ».
Mais quand ? Ça fait un moment qu’ils attendent. Pour Karim Kadri, « jusqu’à présent, on a réglé le problème juste par la forme. L’aménagement c’est la forme. L’urbanisme, c’est la forme. Et le fond, alors ? »
Mistral et sa jeunesse, par exemple. Le chômage reste, en effet, un problème central, 45 % des hommes jeunes étant actuellement sans emploi. Avec, en corollaire dans la cité classée en zone de sécurité prioritaire (ZSP) depuis 2013, un manque de perspectives d’avenir.
Réfléchir avec eux à des solutions ? Nous les retrouvons au bas des trois tours. « Non, Madame, on ne parle pas aux journalistes. Ils écrivent n’importe quoi. Mais vous êtes en sécurité, ici. Il ne vous arrivera rien ». Rassurés ?
Véronique Magnin
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