Barre Anatole France © Véronique Magnin – placegrenet.fr

Grenoble : le quar­tier Mistral vu par les Mistraliens

Grenoble : le quar­tier Mistral vu par les Mistraliens

REPORTAGE – Épisode 1 – Souvent sous la loupe des médias et des poli­tiques, la cité popu­laire de tours et de barres est en pleine muta­tion, depuis les années 2000. Comment ce bou­le­ver­se­ment est-il vécu par les habi­tants du quar­tier Mistral de Grenoble ? Comment les pre­miers concer­nés appré­hendent-ils les choses de l’in­té­rieur ? Rencontre avec des Mistraliens, pre­mier volet de ce dos­sier spé­cial Mistral. 

Barre Anatole France © Véronique Magnin – Place Gre’net

Barre Anatole France © Véronique Magnin – Place Gre’net

Un quar­tier chaud, ça ne se visite pas. 16 heures. Sud-ouest de Grenoble, garé ave­nue Rhin et Danube, on prend quelques minutes, le visage collé à la vitre. Dehors, l’an­cien cœur du quar­tier Mistral est très calme, en cette jour­née d’hi­ver enso­leillée. Au pied des trois tours cen­trales, quelques jeunes dis­cutent ou s’en­nuient. Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, ils font le guet.

A deux pas de là, quelques habi­tants s’af­fairent ; tran­quille va-et-vient autour des trois der­niers com­merces de proxi­mité de la barre Anatole France : une phar­ma­cie, un bureau de tabac et une bou­che­rie. Voilà tout ce qu’il reste de l’an­cien centre com­mer­cial de Mistral. Plus pour très long­temps, d’ailleurs, car l’im­meuble aux bal­cons gau­diens vit là ses der­nières heures avant sa démo­li­tion, réno­va­tion urbaine oblige.

« On trouve de belles per­sonnes ici »

Pris de curio­sité, on aime­rait bien les connaître de plus près les habi­tants du quar­tier Mistral, trop sou­vent « stig­ma­ti­sés ». Le mot vient d’être lâché par une jeune ani­ma­trice de la Maison de l’enfance Bachelard, ren­con­trée à l’i­nau­gu­ra­tion d’une fresque réa­li­sée par des petits Mistraliens.

Une fresque pour faire évo­luer les com­por­te­ments. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Elle ajoute : « Je ne me sens pas sur­veillée dans ce quar­tier et je ne crains pas de m’ex­pri­mer. J’y tra­vaille depuis un an et demi et, pour ma part, je ne res­sens pas plus de vio­lence qu’ailleurs, au final. Pour moi, c’est un quar­tier comme un autre ».

Les oiseaux ont été com­man­dés par le bailleur Actis pour embel­lir, tour à tour, les locaux à pou­belles d’an­ciens immeubles du quar­tier et inci­ter, par là-même, les habi­tants à plus de civilité.

Les oiseaux de la fresque © Véronique Magnin – Place Gre’net

Jérôme Bayet, l’ar­tiste chargé de l’en­ca­dre­ment des enfants, s’est plu­sieurs fois rendu dans les trois tours – où sévit actuel­le­ment le tra­fic de drogue – pour voir les sous-sols. « Je n’ai eu aucun pro­blème pour cir­cu­ler. Il faut dire que le local à pou­belles n’est pas un ter­ri­toire stra­té­gique pour eux. Et, par ailleurs, on a déjà fait des car­na­vals, des déam­bu­la­tions dans la cité et ça s’est tou­jours très bien passé. »

L’artiste, qui tra­vaille beau­coup dans les quar­tiers à Mistral mais aussi Villeneuve, Teisseire et dans d’autres villes comme La Tronche ou Corenc, salue même le vivre-ensemble mis­tra­lien. « Les gens sont un peu plus soli­daires, j’ai l’im­pres­sion. Et puis, je ne pars pas avec un a priori. Du coup, peut-être que c’est plus facile… Dans ce quar­tier, il y a une espèce d’éner­gie. On trouve des belles per­sonnes ici. »

Rue Albert Thomas quartier Mistral à Grenoble © Véronique Magnin – Place Gre’net

Rue Albert Thomas © Véronique Magnin – Place Gre’net

Une impres­sion posi­tive par­ta­gée par Hakim Bendellaa, mes­sa­ger du tri à la Métro, par­te­naire du pro­jet de la fresque : « Il y a trois mois, la Métro a changé la tota­lité des bacs enter­rés sur le quar­tier Mistral. […] Nous avons voulu accom­pa­gner ce chan­ge­ment de bacs par une période de porte à porte. Nous, c’est ser­vice public, éga­lité de trai­te­ment pour tous. Les mes­sa­gers du tri sont allés par­tout car tous sont contri­buables. Et ça s’est super bien passé. »

« Ça fait mal de voir tom­ber les barres »

On tra­verse l’a­ve­nue Rhin et Danube. Juste devant nous, le Mistral his­to­rique construit au bord de l’eau. Vraiment ? Difficile en effet de s’en rendre compte, l’A480 pri­vant la cité d’un bel accès au Drac.

Les tours au centre de la cité © Véronique Magnin – Place Gre’net

Les tours au centre de la cité © Véronique Magnin – Place Gre’net

Barres et tours d’une quin­zaine d’é­tages se dressent jus­qu’au ciel. Un choix archi­tec­tu­ral tout en hau­teur qui visait à la fois un mini­mum de fon­da­tions et un maxi­mum de loge­ments. Il fal­lait construire vite et beau­coup pour faire face au baby boom, tout en ména­geant le plus d’ou­ver­tures possibles.

Pari gagné. Dans les années 70, la cité de dix hec­tares logeait jus­qu’à 7 000 Mistraliens, avec vue pano­ra­mique sur les quatre mas­sifs. Et le confort sani­taire pour tous. A l’é­poque, c’é­tait le grand luxe.

Mais depuis la mise en œuvre du nou­veau pro­jet urbain au début des années 2000, le visage du quar­tier change et, au sud, le regard tombe désor­mais sur un ter­rain vague. Les quatre barres Strauss sont démo­lies. 350 ménages, dont beau­coup d’an­ciennes familles de Mistral, ont ainsi dû être relo­gés ailleurs. Dans le quar­tier évi­dem­ment mais pour beau­coup, pas le choix, il a fallu par­tir dans d’autres sec­teurs de la ville. Voire beau­coup plus loin, par­fois même jus­qu’à Voiron.

Démolition de la dernière barre Strauss en 2010 © Actis

Démolition de la der­nière barre Strauss en 2010. © Actis

Un vrai tour­nant pour les habi­tants, comme nous le confie une jeune tren­te­naire de Mistral croi­sée dans la rue avec d’autres femmes, non loin de la phar­ma­cie. D’origine magh­ré­bine, brune et élé­gante, avec son jean serré, son ano­rak cin­tré et ses bot­tines à talons, elle pré­cise : « Ce fut le coup de grâce quand la der­nière barre est tom­bée en 2010. Là, le quar­tier tel qu’on le connais­sait est vrai­ment mort. Ah oui ! Franchement, ça fait mal de voir tom­ber les barres ».

Son amie, peau mate, che­veux blonds dorés, tout aussi apprê­tée, rebon­dit : « Tu as vu ta chambre ? Tu te sou­viens ? ». Elle se sou­vient très bien quand les pel­le­teuses l’ont éven­trée. Et, comme toute entière tour­née en elle-même, elle avoue : « J’avais mal. Et quand je passe encore devant et que je vois ce vide… ». Puis de conclure : « C’est plein de sou­ve­nirs qui s’envolent ».

« Il a man­qué un vrai suivi psychologique »

Derniers instants de la barre Strauss quartier Mistral à Grenoble © Actis

Derniers ins­tants © Actis

Karim Kadri, pré­sident du Collectif des habi­tants de Mistral (Cohamis) – asso­cia­tion qui vise notam­ment à défendre les inté­rêts maté­riels et moraux des habi­tants auprès des auto­ri­tés locales –, se sou­vient aussi de ce moment : « Les gens qui ont dû par­tir ont souf­fert d’être déra­ci­nés. Beaucoup n’ont pas été sui­vis cor­rec­te­ment. Certains sont même encore men­ta­le­ment malades » nous confie-t-il.

Il y a bien eu l’é­la­bo­ra­tion d’une charte de relo­ge­ment, lan­cée en 2005. L’union de quar­tier de l’é­poque s’é­tait d’ailleurs impli­quée pour aider les habi­tants à la construire, se sou­vient Ali Achour, son ancien pré­sident. Mais voilà, il a man­qué un vrai suivi psychologique.

« On voit d’ailleurs des enfants qui reviennent régu­liè­re­ment dans le quar­tier pour retrou­ver leur racines ». Bernard aussi qui, sou­vent, passe boire un café à Mistral. « J’y retrouve mes racines. Je trouve mes contacts. J’y trouve ma base à Mistral » a‑t-il confié, un jour, à Karim Kadri.

« On vou­lait un F3, on a obtenu un F5 »

Et puis, ceux qui ont été relo­gés ici-même ont sou­vent été bien sur­pris : « On vou­lait un F3, on a obtenu un F5 », s’in­digne une femme d’une soixan­taine d’an­nées, la seule du groupe por­tant un fou­lard sur les che­veux. Charge pour les occu­pants de payer le sur­coût. Elle pour­suit : « Deux, trois, quatre ans… On ne nous donne pas un nou­veau loge­ment, pour­quoi ? ».

Le Carreau, avenue Rhin et Danube quartier Mistral à Grenoble © Actis

Le Carreau, ave­nue Rhin et Danube © Actis

La jeune femme blonde reprend la parole : « Et toi, tes parents qui ont été dans les der­niers à quit­ter les barres, tu te sou­viens ? A la fin, il n’y avait même plus le chauf­fage dans le F4 et ils devaient encore payer le loyer ! Et après, ils les ont relo­gés dans du nou­veau, avec une chambre en moins, alors qu’ils ne vou­laient pas plus petit ! ».

Mais à quoi res­semble-t-il le nou­veau ? Retour à l’é­chelle humaine, avec quatre à cinq étages maxi­mum pour les îlots rési­den­tiels. Et de nou­velles contraintes envi­ron­ne­men­tales impo­sant une tem­pé­ra­ture de 22°C maxi­mum dans les loge­ments. La femme au fou­lard ajoute, somme toute satis­faite : « J’y habite depuis 34 ans dans ce quar­tier. Maintenant, c’est tout neuf et c’est bien ». De beaux loge­ments, oui. Mais une réno­va­tion urbaine avec beau­coup de défauts quand même.

Les com­merces de proxi­mité s’en vont

Les rideaux de Lidl sont toujours fermés et l'écriteau "A vendre" toujours visible quartier Mistral à Grenoble © Karim Kadri

Les rideaux de Lidl sont tou­jours fer­més et l’é­cri­teau « A vendre » tou­jours visible © Karim Kadri

« Il y a très peu de quar­tiers à Grenoble où il n’y a pas de com­merces de proxi­mité, pas de bou­lan­ge­rie au cœur même de la cité, pas de biblio­thèque » observe Hassen Bouzeghoub, qui nous épargne à cet ins­tant une liste beau­coup plus longue.

Ce fils de Mistral, direc­teur du Plateau – nou­veau centre socio-cultu­rel construit rue Anatole France, un peu à l’ex­té­rieur du Mistral his­to­rique –, rap­pelle aussi la fer­me­ture du Lidl en 2013. Plus de supé­rette dans le quar­tier, mais pour­quoi donc ? Avec un peu moins de 3 000 habi­tants actuel­le­ment à Mistral, la jauge serait-elle insuffisante ?

Karim Kadri et quelques autres habi­tants impli­qués ont, à l’é­poque, ren­con­tré le direc­teur du centre com­mer­cial. « A Lidl, ils n’ont pas pu atteindre leur seuil de ren­ta­bi­lité qu’ils ont placé trop haut. En 2012 – 2013, il fai­sait quand même 60 000 euros heb­do­ma­daire ! Il faut dire aussi que des pres­sions exté­rieures étaient exer­cées sur les vigiles qui ne peuvent pas fer­mer les yeux sur les vols, même ceux com­mis par nécessité. »

Un exemple ? « Une mère de famille seule et au chô­mage passe avec son cadis. 20 euros en caisse. En fait, dedans, il y en a pour 150 euros. Le vigile l’in­ter­pelle parce qu’il est payé pour ça. La mère de famille parle à son fils qui se met en colère et c’est comme ça que les agres­sions arrivent. Et puis, les jeunes quand ils volaient une bière, ils nar­guaient aussi, mon­traient qu’ils ne payaient pas. C’est com­pli­qué. Ce sont des pro­blèmes d’in­ci­vi­lité. »

Mais de là à par­tir s’ins­tal­ler à un kilo­mètre du quar­tier, Karim ne com­prend pas. « Dans la comp­ta­bi­lité de n’im­porte quel com­merce, il y a une colonne pertes. Elle n’é­tait pas trop impor­tante pour le Lidl » estime-t-il.

Manifestation du 27 novembre 2013 contre la fermeture du Lidl quartier Mistral à Grenoble © Karim Kadri

Manifestation du 27 novembre 2013 © Karim Kadri

Les habi­tants ont mani­festé fort pour qu’il reste leur Lidl, mais en vain. Tout leur échappe. C’était un lieu de ren­contre, for­mi­dable pour Karim. Et sur les bancs de la ville ins­tal­lés juste devant, les per­sonnes âgées s’as­seyaient par beau temps. Pour regar­der. Pour dis­cu­ter. Même des gens de l’ex­té­rieur sor­taient de l’au­to­route exprès pour venir y faire leurs achats. Pour une fois qu’on venait à Mistral !

Mistral d’a­vant, Mistral gagnant

Femmes discutant au pied d'une barre quartier Mistral à Grenoble © Roberto Neumillier (extrait du film Mistral Décibels années)

Femmes dis­cu­tant au pied d’une barre. © Roberto Neumiller

Nous retrou­vons nos dames. Nostalgiques aussi du Mistral d’a­vant. « Dès qu’on se croi­sait, on se par­lait. On se retrou­vait dehors, les voi­sins, les voi­sines. Il y avait des murettes où les familles se ren­con­traient. Les mères sor­taient les enfants, les pro­me­naient. Ça existe encore mais pas comme avant. Beaucoup moins. C’est la men­ta­lité aussi qui a changé. C’est quand même beau­coup plus cha­cun chez soi […] Et puis, il y avait tout au cœur du quar­tier : com­merces, biblio­thèque, gym­nase. Il y avait aussi la mai­son de l’en­fance et la Maison pour tous, au milieu des gens. Tous les mer­cre­dis, tous les same­dis, il y avait des acti­vi­tés. Les jeunes fai­saient tou­jours de la pein­ture dans les allées. J’allais au ski l’hi­ver. Il y avait un par­king, là. Le bus venait. C’était nos sor­ties, nos colo­nies, nos camps. Franchement, c’é­tait trop bien. »

© Brahim Rajab (extrait du film Mistral Décibels années)

Fête dans le quar­tier du temps de la cité jar­din – Extrait du film Mistral Décibels années.

Encore un tour de mani­velle en arrière. Retour à la fin des années 60. Dans le quar­tier, il y avait sur­tout des pieds-noirs reve­nus d’Algérie après les accords d’Évian, beau­coup d’Espagnols, des Italiens et tous les anciens de la cité jar­din qui regret­taient par­fois le temps où ils étaient moins nom­breux. Qui aimaient dan­ser. Souvent.

Il a fallu qu’ils se fami­lia­risent avec le nou­veau visage de la cité. Puis, les fêtes sont reve­nues au pied des tours et des barres. Hommes et femmes se sont alors remis à dan­ser. « C’était très bon enfant ».

Jeunes dans les années 1970 dans le quartier Mistral à Grenoble © Roberto Neumillier (extrait du film Mistral Décibels années)

Jeunes Mistraliens dans les années 1970. © Roberto Neumiller

Des fenêtres ouvertes, on enten­dait du rocka­billy. Rebelle à la Elvis Presley, Chuck Berry… Puis après 68, la jeu­nesse s’est tour­née vers un autre rock : Jimmy Hendrix, les pla­nants Pink Floyd. Le heavy metal aussi avec Deep Purple.

Tous étaient por­tés par l’en­vie col­lec­tive de chan­ger le monde et de faire des choses ensemble. Et les jeunes avaient une conscience poli­tique qui éton­nait les hommes poli­tiques eux-mêmes. Le para­dis ? Vu de l’ex­té­rieur, léger bémol.

Inscription sur un mur tag Halte à la répression policière CRS sauvages dans le quartier Mistral à Grenoble © Roberto Neumillier (extrait du film Mistral Décibels années)

© Roberto Neumiller

« Ça res­sem­blait à une grande pri­son », se sou­vient Bernard Lavilliers, venu en 1977 à Mistral pour y chan­ter les chan­sons de son album Les bar­bares. « Au début, on me regar­dait bizarre » confie-t-il ainsi dans le film Mistral déci­bels années, réa­lisé en 2006 par Brahim Rajab, direc­teur de l’as­so­cia­tion cultu­relle Le Prunier sau­vage, avec Michel Szempruch. « En fait, on par­lait le même lan­gage. Il y a des gens qui sont deve­nus écri­vains, poètes. C’était une cité très dure, très mal vue. Un quar­tier qui inquié­tait la bour­geoi­sie. Il y avait beau­coup de CRS. En 1977, c’é­tait aussi dur que les cités d’aujourd’hui. »

Dans les années 70, le thé à la menthe s’est mis à cou­ler à flot. La com­mu­nauté magré­bine est d’ailleurs tou­jours la plus impor­tante aujourd’­hui à Mistral. Même si la cité reste très cos­mo­po­lite, avec ses 35 à 40 natio­na­li­tés d’origine.

« Ils ont fait une prai­rie, à quoi elle sert ? »

Où est-on déjà ? Ah oui ! Devant les trois tours, au cœur du quar­tier his­to­rique de Mistral. Plus de com­merces de proxi­mité, plus de Lidl, disait-on, plus d’é­qui­pe­ments socio-cultu­rels au cœur de la cité popu­laire. Tout va plus mal depuis les années « sans ». Sans pers­pec­tives d’a­ve­nir, sans tra­vail, les ouvriers et les employés sont les pre­miers tou­chés. C’est la dége­lée. Alors la mau­vaise humeur reprend le dessus.

Fresque des 4 barres Strauss à côté du terrain vague quartier Mistral à Grenoble © Véronique Magnin – Place Gre’net

Fresque des 4 barres Strauss à côté du ter­rain vague © Véronique Magnin – Place Gre’net

Les barres Strauss – du nom de la loi de 1906 impo­sant des condi­tions de salu­brité aux loge­ments construits – « ce n’é­tait fran­che­ment pas l’en­droit le plus catas­tro­phique du quar­tier ! En les démo­lis­sant, ça a fait par­tir tout le cœur de la cité ! » se désole encore l’an­cien pré­sident de l’u­nion de quar­tier Mistral et actuel pré­sident du club de foot, Ali Achour.

« Ils nous ont cal­més en nous disant qu’à la place il allait y avoir une zone d’ac­ti­vité éco­no­mique qui allait créer de l’emploi. Bien située, à la sor­tie de l’au­to­route… Ce pro­jet est aux oubliettes pour l’ins­tant ! » affirme Karim Kadri. Le 5 février der­nier, le pré­sident Hollande annon­çait sur Europe1 qu’une des prio­ri­tés du gou­ver­ne­ment était de faire reve­nir les com­merces et de boos­ter les entre­prises des ban­lieues. La Banque publique d’in­ves­tis­se­ment ainsi que la Caisse des dépôts par­ti­ci­pe­raient au mon­tage d’une Agence natio­nale de déve­lop­pe­ment éco­no­mique sur les ter­ri­toires. Alors, les déci­sions sont-elles pour bientôt ?

La prairie sous la neige quartier Mistral à Grenoble bonhomme de neige © Véronique Magnin – Place Gre’net

La prai­rie sous la neige © Véronique Magnin – Place Gre’net

Une des femmes pointe main­te­nant du doigt l’es­pace der­rière les trois tours : « Ils ont fait une prai­rie, là, mais à quoi elle sert ? A rien du tout. À la place, avant, il y avait un ter­rain de foot. On avait des jeux de notre époque. Pourquoi n’ont-ils pas sim­ple­ment mis de nou­veaux jeux pour les enfants ? Il ne leur reste plus qu’un tout petit coin, maintenant ».

Et Karim Kadri d’a­jou­ter : « En plus, elle est livrée à des acti­vi­tés bruyantes le soir, la nuit, avec les moto-cross ». Une autre femme, fata­liste, recon­naît : « Je sais, c’est ter­rible à dire, mais on s’y est habi­tué. On s’ha­bi­tue à tout ».

Petit tour d’ho­ri­zon, disait-on ? Retournons vers le nord-est et tra­ver­sons l’a­ve­nue Rhin et Danube. « Sur la place, devant le pla­teau, il y a un jet d’eau à 230 000 euros qui ne sert à rien. Et, pour la place elle-même, c’est plus d’un mil­lion d’eu­ros d’in­ves­tis­se­ment. A quoi elle sert ? Personne n’y va et, en période d’hi­ver, il y a du ver­glas, les gens peuvent glis­ser. C’est vrai­ment du gas­pillage ! », estime Ali Achour.

Et celui-ci d’a­jou­ter que ces construc­tions-là ont été déci­dées sans aucune consul­ta­tion des habi­tants. Et quand il y a consul­ta­tion, ce n’est jamais en amont des pro­jets. « Ça nous gène, bien sûr, que l’on ne nous demande jamais notre avis avant. Le mon­sieur chargé de l’ur­ba­nisme vient avec son vidéo­pro­jec­teur : “Voilà ce que nous avons décidé et au revoir”. Je m’é­lève contre ! » s’ex­clame Karim Kadri.

Le pré­sident du club de foot ajoute : « Je ne cri­tique pas le tra­vail des pros sur le quar­tier. La mai­son des habi­tants, le Plateau lui-même, c’est très bien. Ils font un tra­vail excellent mais j’en ai après l’an­cienne muni­ci­pa­lité qui n’a pas fait son bou­lot comme il faut auprès des habi­tants. »

Un entre-soi géo­gra­phique et culturel

Le tout pre­mier point com­mun des habi­tants de Mistral ? La pau­vreté, pour Hassen Bouzhegoub. Et « avoir le même par­cours migra­toire pour beau­coup, ce qui vient se rajou­ter aux condi­tions sociales et éco­no­miques dif­fi­ciles. Donc on a cette espèce de repli social qui peut aussi s’ap­puyer sur des idées un peu iden­ti­taires, com­mu­nau­taires » ajoute-t-il.

La place centrale et le Plateau quartier Mistral à Grenoble © Véronique Magnin – Place Gre’net

La place cen­trale et le Plateau © Véronique Magnin – Place Gre’net

Un entre-soi favo­risé géo­gra­phi­que­ment par une cité de dix hec­tares com­plè­te­ment déli­mi­tée par des fron­tières rou­tières : l’A480 à l’ouest, la bre­telle d’au­to­route au sud, l’a­ve­nue Rhin et Danube à l’est. Et la rue Anatole France qui ferme la boucle au nord. Une vraie enclave urbaine avec, à l’in­té­rieur, un micro­cosme social indé­pen­dant qui s’y déve­loppe. Hors le reste de Grenoble. Hors la République ?

Le renouveau quartier Mistral à Grenoble © Claude Cieutat

Le renou­veau © Claude Cieutat

Les ser­vices Urbanisme et Habitat de la Ville pro­posent une solu­tion : désen­cla­ver par le bâti et inté­grer Mistral au quar­tier les Eaux-claires. Bingo ! L’Agence natio­nale de réno­va­tion urbaine (Anru) va financer.

À mi-par­cours de ce réamé­na­ge­ment, le direc­teur du Plateau, Hassen Bouzhegoub émet quelques réserves et nous fait part de ses doutes : « Le pro­jet urbain c’é­tait de dire : il faut ouvrir, que les gens entrent et sortent. Et un des sup­ports, ça a été de construire les nou­veaux équi­pe­ments en dehors de la cité même, de l’autre côté de l’a­ve­nue Rhin et Danube. Est-ce que c’é­tait le bon choix ? Aujourd’hui, a priori, on a l’im­pres­sion qu’il fal­lait peut-être en sor­tir cer­tains mais pas tous. Plutôt jouer sur les équi­libres ».

Et de pour­suivre : « On est tou­jours en train de dire aux habi­tants qu’il faut faire de Mistral un quar­tier comme ailleurs. Or il y a très peu de quar­tiers à Grenoble où il n’y a pas de com­merces de proxi­mité, pas de bou­lan­ge­rie dans la cité, pas de biblio­thèque. On ne peut pas dire “soyez comme tout le monde” mais, en même temps, “vous êtes dans des espaces qui ne sont pas comme tout le monde”. »

Pour Hassen Bouzhegoub, la prio­rité est claire : il faut arri­ver à trou­ver des solu­tions pour arrê­ter la dyna­mique de fuite vers l’ex­té­rieur. « Le mes­sage qui est envoyé aux gens c’est, ici, il faut fuir, il faut par­tir ! Si vous vou­lez vivre, agir et vous déve­lop­per, ça se passe dehors. Donc ça ren­voie aux habi­tants une espèce de frus­tra­tion […] Il ne faut pas avoir peur de se dire qu’on s’est peut-être trompé, qu’on a été peut-être un peu trop vite. »

La réno­va­tion devait aussi être l’oc­ca­sion de ren­for­cer la mixité sociale. Avec 99 % de loge­ments sociaux à Mistral ? « Aujourd’hui, la mixité sociale, je ne la vois pas per­son­nel­le­ment », déclare Ali Achour. Et un membre actif du club de foot d’a­jou­ter : « Quand des loge­ments se vident, plu­tôt que de rame­ner le même type de per­sonnes, de la même classe sociale, qu’ils nous ramènent des profs, des gens de classes sociales dif­fé­rentes, d’ho­ri­zons dif­fé­rents. Il faut les for­cer à venir ! ».

La jeune femme blonde s’in­ter­roge sur les inten­tions réelles des amé­na­geurs : « Ils ont cassé la bou­lan­ge­rie, enlevé cer­tains endroits pour avoir plus de visi­bi­lité. A croire que c’est tout amé­nagé pour la police ». Et de pour­suivre : « C’est peut-être aussi pour faire payer plus cher les loyers, pour récol­ter plus d’argent. Je ne sais pas. »

Les habi­tants assistent au pro­jet urbain… depuis leur fenêtre

Cerise sur le gâteau pour les habi­tants de la cité, l’a­mé­na­ge­ment a com­mencé par l’ex­té­rieur : « Si on prend le Mistral his­to­rique, les anciens habi­tants sont tou­jours dans leur appar­te­ment de 1960. En fait, ils assistent au pro­jet urbain depuis leur fenêtre. Alors ils ne pensent pas que c’est pour eux. Dans leur quo­ti­dien, rien ne change. Ils nous disent : “J’ai tou­jours les mêmes sou­cis per­son­nels, l’ap­par­te­ment n’est pas refait, les ascen­seurs ne sont pas répa­rés”. Par contre, à côté, il y a des bâti­ments neufs occu­pés par des gens qui viennent d’ailleurs. On leur dit “bien­tôt, ça va être vous” ».

Au balcon de la barre Anatole France quartier Mistral à Grenoble © Véronique Magnin – Place Gre’net

Au bal­con de la barre Anatole France © Véronique Magnin – Place Gre’net

Mais quand ? Ça fait un moment qu’ils attendent. Pour Karim Kadri, « jus­qu’à pré­sent, on a réglé le pro­blème juste par la forme. L’aménagement c’est la forme. L’urbanisme, c’est la forme. Et le fond, alors ? »

Mistral et sa jeu­nesse, par exemple. Le chô­mage reste, en effet, un pro­blème cen­tral, 45 % des hommes jeunes étant actuel­le­ment sans emploi. Avec, en corol­laire dans la cité clas­sée en zone de sécu­rité prio­ri­taire (ZSP) depuis 2013, un manque de pers­pec­tives d’avenir.

Réfléchir avec eux à des solu­tions ? Nous les retrou­vons au bas des trois tours. « Non, Madame, on ne parle pas aux jour­na­listes. Ils écrivent n’im­porte quoi. Mais vous êtes en sécu­rité, ici. Il ne vous arri­vera rien ». Rassurés ?

Véronique Magnin

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Véronique Magnin

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