REPORTAGE – Épisode 4 – Dans les quartiers sensibles où l’ascenseur social semble s'être enrayé, le trafic de drogue est perçu par certains jeunes comme une alternative très lucrative. Bien que peu nombreux, ces trafiquants imposent leurs règles aux habitants qui paient le prix de leur emprise sur le quartier. Aucune échappatoire ? Confidences de riverains, d'acteurs socio-culturels et sportifs de Mistral.
Difficile d'imaginer en voyant la cité si calme, les rues vides, que d'un peu partout des yeux nous surveillent. De retour à Mistral pour prendre quelques photos complémentaires des barres et des tours, on est vite repéré. Trois jeunes hommes traversent la rue d'un pas vif. « Vous effacez tout ça ! » On m'autorise finalement quelques clichés des immeubles. « Mais vous ne photographiez personne ! » D'accord.
Formulée un peu plus loin par un autre homme d'une vingtaine d'années, cette fois-ci l'interdiction est catégorique. Les habitants semblent, eux aussi, surveillés à Mistral. « C'est un peu vrai mais bon, un peu ! » mesure Karim Kadri, président du Collectif des habitants de Mistral (Cohamis). Ils seraient donc relativement libres. Vraiment ?
Peur de parler
Beaucoup d'incivilités ont lieu dans la cité. Les riverains s'en plaignent et cela ne date pas d'hier : chiens qui font leurs besoins dans les ascenseurs, parties communes des immeubles rapidement salies, portes d'entrée abîmées, papiers jetés par les fenêtres, rodéos de scooters le soir, voitures brûlées parfois… « Mais même les gens qui en ont gros sur le cœur et qui veulent parler ont peur de s'exprimer, des fois », nous confie un habitant.
« Ce sont surtout les nouveaux arrivants qui ont le plus peur ou certains anciens qui n'ont jamais tellement fréquenté le quartier et sortent juste de chez eux pour aller au travail », précise une jeune femme en compagnie de deux autres habitantes, tout près de la pharmacie Mistral.
Les anciens qui vivent dans la cité parfois depuis plus de trente ans, continuent pour certains, d'aller au contact. Et n'ont aucune envie de condamner les jeunes : « Ce sont nos enfants quand même ! » rappellent-ils.
Mais, quand les jeunes bloquent par exemple des voitures sur le parking pour discuter, ils ne veulent pas se laisser faire : « Les gens ne disent souvent rien mais nous, il arrive qu'on sorte et qu'on leur dise qu'on doit passer, que l'on veut passer parce qu'on est pressé. “Ah ! Monsieur, attendez, on discute…”. Alors nous on leur dit “Non, on veut passer. Voilà !” ».
Quant à Karim Kadri, il se souvient du jour où il a retrouvé sa voiture abimée par des jets de pierres : « Moi non plus j'ai pas fermé ma gueule. Je suis allé les voir et leur ai demandé pourquoi ils avaient fait ça. En fait, je me suis rendu compte qu'ils s'étaient trompés de voiture. Quelques jours plus tard, j'ai trouvé plus de cent euros dans ma boîte aux lettres.»
Ne rien dire, ne rien voir
Un homme de terrain qui sait parler aux jeunes ? Ce qui fait aussi autorité dans le quartier, selon Hassen Bouzeghoub, directeur du Plateau – le nouveau centre socio-culturel construit rue Anatole France –, c'est l'ancienneté des familles de Mistral qui n'ont pas abandonné les leurs.
« Elles auraient pu partir, mais elles sont restées ! Et sur plusieurs générations, ce qui est remarquable ! Alors, quand on dit “ce sont des anciennes familles de Mistral”, c'est une espèce de symbole de sagesse. Ici, les jeunes respectent ça ».
L'une des femmes ajoute : « Ils sont respectueux avec nous. Pour autant, on ne se parle pas et on ne sait pas ce qu'ils font ». Ne rien dire, ne rien voir. Les conditions sine qua non du bien-être à Mistral ?
« Vous les prenez un par un, ils ont de l'amour, du cœur, ces garçons, assure une jeune trentenaire du quartier. Ils ont moins de respect que nous, ça c'est sûr, mais ils ont des valeurs et ils sont soudés quand il arrive quelque chose à l'un d'entre eux ». Et son amie de donner un exemple : « Il y a un gars qui a eu un très grave accident de quad, cet été. Ils ont été très touchés, très solidaires. Ils ne l'ont pas lâché, tout le long de sa convalescence. Il est depuis revenu dans le quartier, avec des séquelles, mais il est toujours avec eux. »
Karim Kadri ne dit pas autre chose : « Ils font du commerce illégal, oui, mais ils aident beaucoup aussi. La mamie avec son caddie ou son chariot, ils vont la voir, ils lui donnent un coup de main pour l'amener à l'ascenseur ».
Une responsabilité collective ?
« Le trafic de drogue existe depuis les années 70 à Mistral » rappelle Hassen Bouzeghoub. Par contre, il a évolué. Un ancien du quartier se souvient qu'avant les jeunes vendaient pour s'amuser, pour partir en vacances. « Maintenant, c'est carrément un réseau. » Et la cité est réputée : « On est bien servi à Mistral », nous confie un consommateur qui précise que, là-bas, le shit n'est pas coupé et recoupé, comme parfois.
Le quartier s'est ouvert. Les trafiquants connus de tous, aussi. « Les voyous recrutent ailleurs aujourd'hui », précise un riverain. « Des jeunes qui habitent dans les alentours, aux Lys-Rouge, aux Eaux-Claires… », affirme une habitante. « Des jeunes entre 15 et 22 ans », précise une autre.
« Quand je me suis rendu en ville chez le bailleur Actis pour un problème de badge dans la montée, à cause d'une dégradation causée par les jeunes, commence un membre actif du club de foot, vous savez ce que m'a répondu l'agent d'accueil ? “Vous aussi, les habitants, vous n'avez qu'à vous regrouper et leur mettre un coup de pied au cul à ceux qui vous font chier !” » Une légère pointe d'exaspération ?
Ce genre de discours semble, en tout cas, mal passer auprès des habitants. Outré, le membre du FC Mistral enchaîne, aussi sec : « Vous croyez sincèrement que c'est aux habitants de prendre en charge ce type de problèmes ? Les habitants, ils casquent, ils payent un loyer tous les mois. »
Et de s'interroger sur la question de la responsabilité collective : « Ça n'échappe à personne que la société a évolué. Avant, un parent qui mettait une fessée à son gosse, il n'était pas attaqué en justice pour maltraitance. Qui nous met dans cette situation ? Ce sont nos têtes pensantes ! Pas nous, malheureusement. »
Un responsable du club de foot FC Mistral nous livre aussi son éclairage : « Les habitants ont également peur d'intervenir parce qu'on ne sait jamais ce qui peut se passer après. On n'est pas seul, on a une famille… »
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