RÉTROSPECTIVE – Épisode 2 – La cité Paul Mistral illustre, à elle seule, l’épopée du logement social. Première cité-jardins de France dans les années 1920, grand ensemble à partir des années 1960, Mistral a toujours été étroitement liée aux évolutions économiques et sociales de la société française. En marge de la ville, mais au cœur de son époque, elle incarne aujourd’hui un modèle de renouvellement urbain visant à désenclaver les quartiers. Comme si un perpétuel vent de renouveau soufflait sur Mistral.
« Ensemble, refaire la ville » écrivait Hubert Dubedout, maire de Grenoble de 1965 à 1983. Une formule qui illustre bien une obsession des politiques grenoblois : transformer Grenoble.
Déjà Paul Mistral, maire de 1919 à 1932, parlait de « projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension » de la ville de Grenoble. La municipalité Destot aura eu la même ambition avec les projets de renouvellement urbain des quartiers populaires entamés dès 1995 : Teisseire, Mistral puis la Villeneuve. La suivante entend bien poursuivre le désenclavement de Mistral.
Un siècle, ou presque, de politique de la ville qui a débuté dans les années 20. L’après-guerre marque en effet le top départ de l’épopée du logement social à Grenoble. Il donne lieu à la première cité-jardins de France, sur le modèle anglais : une famille, une maison, un jardin et des quartiers autosuffisants et spécialisés. C’est ainsi que Mistral a été, à l’origine et jusqu’à la fin des années trente, un quartier populaire habité uniquement par des ouvriers.
Crise du logement
La fin de la Seconde guerre mondiale impulse de nouveaux changements sociaux : baby boom, croissance démographique, exode rural, puis, au début des années 1960, afflux des rapatriés d’Algérie… Autant de facteurs qui vont conduire à l’avènement des grands ensembles. A Grenoble, entre 1945 et 1965, la population de l’agglomération est ainsi multipliée par deux. Une révolution à l’époque dans le monde du logement social.
Dès octobre 1948, la municipalité décide de construire un « groupe complémentaire Paul Mistral de 72 logements, le long du Drac, rue Albert Thomas. Les Barrettes du Drac, comme on les appelle, voient le jour en 1950 et accueillent des locataires venant essentiellement du centre-ville. Face à l’afflux de ces nouvelles populations, la cité-jardin montre ses limites, dans un contexte général de crise du logement. A Grenoble, il manque 4 600 logements en 1951. Un chiffre qui passe à 6 500 en 1953, puis 8 000 en 1958.
La fin de la cité-jardins
La fin des années 1950 marque un nouveau souffle dans la construction de logements sociaux. La cité est détruite. Le quartier connaît sa première grande mutation. Un bouleversement pour les habitants.
« Quand on nous a dit dans une réunion que la cité allait être détruite,
on leur a ri au nez, parce que personne n’y croyait. »
« Nous, on était plutôt content parce qu’on nous relogeait dans des tours
et on s’y était vite habitué, parce que c’était plus confortable.
Mais c’était quand même un peu triste de ne plus avoir les jardins. »
« Ça a été très dur, parce que ça a duré plusieurs années. Voir chaque jour
la cité un peu plus détruite en rentrant du travail, c’était démoralisant. »
« Nous, ils voulaient nous reloger dans la nouvelle cité. Mais c’était trop dur
de rester sur place et on a préféré partir à la cité Beauvert… »
« Moi je suis resté ici, parce que ma cité, même
sans les petites maisons, c’est toujours ma cité… »
Extraits de Un village dans la ville, la cité-jardins Paul Mistral 1925 – 1960, aux éditions Paroles d’Aube.
L’avènement des barres
En 1959, décision est prise de construire une nouvelle cité Paul Mistral de 1 100 logements. L’Office HLM établit une liste de locataires. Chaque ménage se voit garantir un logement dans les nouvelles constructions.
Dès 1961, commence le chantier des quatre barres, perpendiculaires à la rue Paul Strauss. Tout sera détruit : immeubles, pavillons, chaussées, trottoirs, clôtures et commerces. Les maisons de la cité-jardin sont démolies au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Mais le relogement est assuré avec peine. D’autant qu’à l’été 62, une directive ministérielle impose que 30 % de chaque nouvel ensemble de logements HLM soient réservés aux rapatriés d’Afrique du Nord.
L’ensemble Mistral 1 et ses quatre barres Strauss – dont il ne reste aujourd’hui plus rien suite à la première étape du projet de rénovation du quartier débuté en 2005 – est achevé à l’été 1964.
En 1966, c’est l’ensemble Mistral 2 qui accueille ses premiers habitants dans une barre de dix étages parallèle à la rue Anatole France. Un grand ensemble de 427 logements en forme de S termine l’édifice. C’est la plus grande barre d’immeuble de France.
En 1970, 217 logements supplémentaires sortent de terre. A la même époque, sur l’emplacement du stade d’ouverture des Jeux olympiques de 1968, commence la construction de la Villeneuve…
Désenclaver la cité
La cité-jardins avait vécu moins de quarante ans. Le grand ensemble Mistral n’aura guère fait mieux. Il n’aura pas survécu à la volonté de la municipalité Destot, au début des années 2000, de « désenclaver la cité », coupée du reste de la ville. Avec, à la clé, un nouveau projet de renouvellement urbain. Le troisième pour Mistral.
Si le manque de place durant les deux périodes de l’après-guerre a imposé les premiers bouleversement en matière d’urbanisme, les maux de notre époque sont d’une toute autre nature. La crise économique des années 70 a mis à mal les utopies des années 1960.
Les grands ensembles se sont « ghettoïsés », entraînant « un apartheid territorial, social, ethnique » pour reprendre l’expression très commentée du Premier ministre Manuel Valls. Ils enferment et conditionnent socialement ceux qui y vivent.
Bref, la mixité sociale a fait long feu. L’objectif, désormais assumé, n’est plus de loger à tout prix, mais de faire vivre ensemble des populations issues de différentes cultures qui ne se mélangent pas. Une gageure.
Sidonie Hadoux
FRISE CHRONOLOGIQUE : L’ÉPOPÉE DU LOGEMENT SOCIAL À MISTRAL À TRAVERS LE SIÈCLE
Découvrez la frise chronologique en plein écran
A lire aussi sur Place Gre’net :
Grenoble : le quartier Mistral vu par les Mistraliens
Mistral : de la cité-jardins aux grands ensembles
Rénovation urbaine à Mistral : avec ou sans les habitants ?
Habiter à Mistral : ne rien dire, ne rien voir ?
ZSP : Mistral un quartier pas (tout à fait) comme les autres