Construction de la cité-jardins du Rondeau en 1920, sur l'actuel emplacement du quartier Mistral à Grenoble.

Mistral : de la cité-jar­dins aux grands ensembles

Mistral : de la cité-jar­dins aux grands ensembles

RÉTROSPECTIVE – Épisode 2 – La cité Paul Mistral illustre, à elle seule, l’épopée du loge­ment social. Première cité-jar­dins de France dans les années 1920, grand ensemble à par­tir des années 1960, Mistral a tou­jours été étroi­te­ment liée aux évo­lu­tions éco­no­miques et sociales de la société fran­çaise. En marge de la ville, mais au cœur de son époque, elle incarne aujourd’hui un modèle de renou­vel­le­ment urbain visant à désen­cla­ver les quar­tiers. Comme si un per­pé­tuel vent de renou­veau souf­flait sur Mistral.

Enfant effectuant un graffiti avec un cœur sur un mur dans le quartier Mistral à Grenoble © Roberto Neumiller (extrait du film Mistral Décibels années)

© Roberto Neumiller (extrait du film Mistral Décibels années)

« Ensemble, refaire la ville » écri­vait Hubert Dubedout, maire de Grenoble de 1965 à 1983. Une for­mule qui illustre bien une obses­sion des poli­tiques gre­no­blois : trans­for­mer Grenoble.

Déjà Paul Mistral, maire de 1919 à 1932, par­lait de « pro­jet d’aménagement, d’embellissement et d’extension » de la ville de Grenoble. La muni­ci­pa­lité Destot aura eu la même ambi­tion avec les pro­jets de renou­vel­le­ment urbain des quar­tiers popu­laires enta­més dès 1995 : Teisseire, Mistral puis la Villeneuve. La sui­vante entend bien pour­suivre le désen­cla­ve­ment de Mistral.

Un siècle, ou presque, de poli­tique de la ville qui a débuté dans les années 20. L’après-guerre marque en effet le top départ de l’épopée du loge­ment social à Grenoble. Il donne lieu à la pre­mière cité-jar­dins de France, sur le modèle anglais : une famille, une mai­son, un jar­din et des quar­tiers auto­suf­fi­sants et spé­cia­li­sés. C’est ainsi que Mistral a été, à l’origine et jus­qu’à la fin des années trente, un quar­tier popu­laire habité uni­que­ment par des ouvriers.

Crise du logement

La fin de la Seconde guerre mon­diale impulse de nou­veaux chan­ge­ments sociaux : baby boom, crois­sance démo­gra­phique, exode rural, puis, au début des années 1960, afflux des rapa­triés d’Algérie… Autant de fac­teurs qui vont conduire à l’avènement des grands ensembles. A Grenoble, entre 1945 et 1965, la popu­la­tion de l’agglomération est ainsi mul­ti­pliée par deux. Une révo­lu­tion à l’époque dans le monde du loge­ment social.

Dès octobre 1948, la muni­ci­pa­lité décide de construire un « groupe com­plé­men­taire Paul Mistral de 72 loge­ments, le long du Drac, rue Albert Thomas. Les Barrettes du Drac, comme on les appelle, voient le jour en 1950 et accueillent des loca­taires venant essen­tiel­le­ment du centre-ville. Face à l’af­flux de ces nou­velles popu­la­tions, la cité-jar­din montre ses limites, dans un contexte géné­ral de crise du loge­ment. A Grenoble, il manque 4 600 loge­ments en 1951. Un chiffre qui passe à 6 500 en 1953, puis 8 000 en 1958.

Les barrettes du Drac, dans le quartier Mistral à Grenoble. © Ville de Grenoble

Les “bar­rettes” du Drac, dans le quar­tier Mistral à Grenoble. © Ville de Grenoble

La fin de la cité-jardins

La fin des années 1950 marque un nou­veau souffle dans la construc­tion de loge­ments sociaux. La cité est détruite. Le quar­tier connaît sa pre­mière grande muta­tion. Un bou­le­ver­se­ment pour les habitants.

« Quand on nous a dit dans une réunion que la cité allait être détruite,

on leur a ri au nez, parce que per­sonne n’y croyait. »

« Nous, on était plu­tôt content parce qu’on nous relo­geait dans des tours 

et on s’y était vite habi­tué, parce que c’était plus confortable. 

Mais c’était quand même un peu triste de ne plus avoir les jar­dins. »

« Ça a été très dur, parce que ça a duré plu­sieurs années. Voir chaque jour 

la cité un peu plus détruite en ren­trant du tra­vail, c’était démo­ra­li­sant. »

« Nous, ils vou­laient nous relo­ger dans la nou­velle cité. Mais c’était trop dur 

de res­ter sur place et on a pré­féré par­tir à la cité Beauvert… »

« Moi je suis resté ici, parce que ma cité, même 

sans les petites mai­sons, c’est tou­jours ma cité… »

Extraits de Un vil­lage dans la ville, la cité-jar­dins Paul Mistral 1925 – 1960, aux édi­tions Paroles d’Aube.

Fête du travail à la cité Rondeau, ancêtre du quartier Mistral à Grenoble, en 1936.

Fête du tra­vail à la cité Rondeau, ancêtre du quar­tier Mistral à Grenoble, en 1936.

L’avènement des barres

En 1959, déci­sion est prise de construire une nou­velle cité Paul Mistral de 1 100 loge­ments. L’Office HLM éta­blit une liste de loca­taires. Chaque ménage se voit garan­tir un loge­ment dans les nou­velles constructions.

Les barres Strauss dans le quartier Mistral à Grenoble en 1970.

Les barres Strauss dans le quar­tier Mistral à Grenoble, dans les années 60. DR

Dès 1961, com­mence le chan­tier des quatre barres, per­pen­di­cu­laires à la rue Paul Strauss. Tout sera détruit : immeubles, pavillons, chaus­sées, trot­toirs, clô­tures et com­merces. Les mai­sons de la cité-jar­din sont démo­lies au fur et à mesure de l’a­van­ce­ment du chan­tier. Mais le relo­ge­ment est assuré avec peine. D’autant qu’à l’été 62, une direc­tive minis­té­rielle impose que 30 % de chaque nou­vel ensemble de loge­ments HLM soient réser­vés aux rapa­triés d’Afrique du Nord.

L’ensemble Mistral 1 et ses quatre barres Strauss – dont il ne reste aujourd’­hui plus rien suite à la pre­mière étape du pro­jet de réno­va­tion du quar­tier débuté en 2005 – est achevé à l’été 1964.

En 1966, c’est l’ensemble Mistral 2 qui accueille ses pre­miers habi­tants dans une barre de dix étages paral­lèle à la rue Anatole France. Un grand ensemble de 427 loge­ments en forme de S ter­mine l’édifice. C’est la plus grande barre d’immeuble de France.

En 1970, 217 loge­ments sup­plé­men­taires sortent de terre. A la même époque, sur l’emplacement du stade d’ouverture des Jeux olym­piques de 1968, com­mence la construc­tion de la Villeneuve…

Désenclaver la cité

La cité-jar­dins avait vécu moins de qua­rante ans. Le grand ensemble Mistral n’aura guère fait mieux. Il n’aura pas sur­vécu à la volonté de la muni­ci­pa­lité Destot, au début des années 2000, de « désen­cla­ver la cité », cou­pée du reste de la ville. Avec, à la clé, un nou­veau pro­jet de renou­vel­le­ment urbain. Le troi­sième pour Mistral.

Panneau annonçant le réaménagement des espaces publics en accompagnement des travaux de réhabilitation Opale, dans le quartier Mistral à Grenoble. DR

Panneau annon­çant le réamé­na­ge­ment des espaces publics en accom­pa­gne­ment des tra­vaux de réha­bi­li­ta­tion Opale, dans le quar­tier Mistral à Grenoble. DR

Si le manque de place durant les deux périodes de l’après-guerre a imposé les pre­miers bou­le­ver­se­ment en matière d’ur­ba­nisme, les maux de notre époque sont d’une toute autre nature. La crise éco­no­mique des années 70 a mis à mal les uto­pies des années 1960.

Les grands ensembles se sont « ghet­toï­sés », entraî­nant « un apar­theid ter­ri­to­rial, social, eth­nique » pour reprendre l’ex­pres­sion très com­men­tée du Premier ministre Manuel Valls. Ils enferment et condi­tionnent socia­le­ment ceux qui y vivent.

Bref, la mixité sociale a fait long feu. L’objectif, désor­mais assumé, n’est plus de loger à tout prix, mais de faire vivre ensemble des popu­la­tions issues de dif­fé­rentes cultures qui ne se mélangent pas. Une gageure.

Sidonie Hadoux

FRISE CHRONOLOGIQUE : L’ÉPOPÉE DU LOGEMENT SOCIAL À MISTRAL À TRAVERS LE SIÈCLE

Découvrez la frise chro­no­lo­gique en plein écran

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