REPORTAGE – « Confidences d’outre-tombe »… Ou quand les morts murmurent à l’oreille des vivants. Tel est le thème de la nouvelle exposition du Musée dauphinois, notamment montée en partenariat avec la Casemate. A travers cette présentation interactive faisant appel à différentes technologie, les squelettes nous livrent leurs secrets jusqu’en janvier 2016.
« Confidences d’outre-tombe » nous dit-on ? Les vieilles pierres chargées d’histoire du Musée dauphinois seraient-elles le théâtre de manifestations paranormales depuis quelques semaines ?
Afin d’éclaircir ce mystère, nous sommes partis à la rencontre de Franck Philippeaux, conservateur du patrimoine et l’un des commissaires de l’exposition, qui a accepté d’être notre guide.
« Les squelettes sont des individus »
En même temps que Franck Philippeaux, cinq de nos grands ancêtres du paléolithique et du néolithique nous accueillent dans la première salle d’exposition. Le premier, nommé Alexandre, a vu sa vie terrestre s’arrêter à environ 24 ans. Il a ensuite attendu 10 000 ans dans la grotte de Balme-le-Glos, à Fontaine, qu’Hippolyte Müller le fondateur du Musée dauphinois le retrouve. C’était en 1904.
Un siècle plus tard, Alexandre nous livre ses premières confidences à voix haute. « Pourquoi m’avoir affublé de ce prénom ? » interroge-t-il via une boîte murale d’où s’échappent ses paroles. « On m’a toujours appelé Emrod. Je suis né dans le Sud, près de la mer, mais je viens chaque année à la belle saison chasser sur cette montagne que vous appelez le Vercors […] » Merci Alexandre pour ces précisions !
« Un squelette n’est pas un objet patrimonial anodin » tient à préciser Franck Philippeaux. « Nous présentons des individus. » Même si certains des protagonistes en question, malgré tout le respect que l’on doit à nos ancêtres, ressemblent à des puzzles incomplets.
Aucun bruit suspect, ni lévitation d’objets pendant la visite ! Nous voilà d’ores et déjà quelque peu rassurés.
Les squelettes porte-paroles des vivants d’autrefois
« L’exposition est le fruit d’une demande de la Casemate. Elle désirait aborder la question de l’anthropologie dite physique, c’est-à-dire la science qui fait parler les ossements », explique Franck. « Son voisin direct est le Musée archéologique de Saint-Laurent, avec sa nécropole de 1 500 squelettes exhumés. Ces squelettes permettaient d’illustrer ces propos, dans un premier temps purement scientifiques. »
Quant au Musée dauphinois, il a notamment pu mettre à disposition ses salles d’exposition. Mais aussi apporté un autre regard, plus anthropologique, ethnologique et sociologique. « A travers ces regards croisés, nous avons surtout voulu montrer que les squelettes étaient des porte-paroles des vivants d’autrefois, des modes de vie passés », précise Franck Philippeaux.
Il ne manquait plus à cette collaboration que l’Institut national de recherche archéologique préventive (Inrap) et les Pompes funèbres de l’Isère (PFI) de la région grenobloise, qui ont rejoint le projet.
Une exposition interactive et numérique
Nous laissons Alexandre pour passer dans la deuxième salle qui pose cette question : « pourquoi exhumer les restes humains ? ». L’occasion de présenter les différentes disciplines de l’archéologie funéraire contemporaine mais aussi de montrer comment les experts retracent l’histoire des hommes au fil des strates de fouilles.
Le visiteur peut alors s’improviser archéologue grâce à Stra’Os. Ni superhéros, ni mousquetaire oublié, encore moins un dieu grec, Strat’OS est le premier des cinq dispositifs numériques et interactifs imaginés et conçus par la Casemate (cf. encadré). Il s’agit ni plus ni moins de la modélisation d’un chantier de fouilles. La truelle et le sable sont réels mais les objets, découverts au fur et à mesure de l’avancée des travaux des archéologues amateurs, sont des projections numériques en direction du bac à sable.
Plus loin, nous rejoignons OS’scan, un détecteur virtuel de pathologies. « Le visiteur déplace le scan virtuel au dessus d’un squelette et choisit une maladie » décrit Franck. « Il va pouvoir visualiser quels sont les os porteurs de l’information d’une maladie, comme la syphilis, la tuberculose ou le cancer de la moelle osseuse. » Un “jouet” qui amuse beaucoup les enfants, paraît-il !
Autre outil à découvrir : Profil’OS’scope, une grande plaque tactile qui explique comment les archéologues font parler les squelettes pour connaître leur âge, leur sexe et leur stature.
La force allégorique du squelette
La visite s’ouvre ensuite sur une réflexion plus contemporaine de la représentation du squelette. Notamment avec une séquence sur la force symbolique du crâne et du squelette, du Moyen-âge à nos jours.
« Les squelettes nous ont parlé. Nous allons maintenant voir ce qu’on leur fait dire » explique notre guide, Franck, en entrant dans la dernière grande salle. Un espace hétéroclite où l’imaginaire contemporain foisonne dans des domaines très variés, comme la musique, la mode ou les jeux.
C’est ici que le dernier dispositif proposé par la Casemate ravira les enfants, tout comme les parents. Il s’agit de Mir’OS, squelette numérique grandeur nature et toujours de bonne humeur. Mir’OS reproduit en miroir les mouvements du visiteur en face de lui.
L’exposition s’achève sur une installation de 42 crânes modelés par des artistes grenoblois et nationaux. Cette galerie, point d’orgue de l’exposition, est l’œuvre de Fabrice Nesta, artiste plasticien de l’atelier Bis. Une succession de crânes qui accompagnent le visiteur le long du dernier couloir vers… la sortie. La mort attendra encore un peu !
Ce cheminement appelle toutefois à s’interroger sur la place de la mort dans notre société actuelle. Quelle est notre attitude collective et individuelle face à elle ? Une réflexion intime que chaque visiteur emportera avec lui bien après la visite.
Delphine Chappaz
LA CASEMATE : PÉPINIÈRE D’IDÉES INNOVANTES
Ludovic Magioni, responsable des expositions de la Casemate, explique comment les dispositifs numériques et interactifs de « Confidences d’outre tombe » ont été imaginés et créés.
Le crowdsourcing à l’origine de Mir’OS et OS’scan
Environ deux ans en amont de l’ouverture de l’exposition, un groupe de travail inhabituel a planché deux jours sur la problématique suivante : qu’aimeriez-vous voir dans une exposition qui parle de squelettes et des apprentissages apportés par ces squelettes trouvés lors de fouilles archéologiques ?
« C’est du crowdsourcing » explique Ludovic Magioni. Une méthode utilisée depuis deux ou trois ans. « Suite à un appel à participation, les personnes intéressées se sont inscrites sur le site de la Casemate. Une vingtaine de personnes aux compétences très différentes ont ainsi travaillé ensemble sur le projet. C’était plutôt des gens jeunes, des étudiants entre 20 et 25 ans, des communicants, des designers et trois personnes de l’École de la deuxième chance. Il y avait quelques professionnels, des archéologues et un muséographe. »Sur les cinq dispositifs présentés dans l’exposition, trois sont issus des ces deux journées de travail participatif. Si l’équipe de la Casemate s’est chargée du développement des outils, des scénarios et du contenu des applications, l’aspect technique a été réalisé par une entreprise meylanaise, Sip Conseil, spécialisée dans le numérique.
La réalité augmentée au cœur d’une exposition patrimoniale
Le numérique qui n’échappe plus à notre quotidien, s’immisce aussi dans les musées. « L’idée était aussi de montrer en quoi le numérique est un dispositif assez innovant qui brise la frontière entre le réel et le virtuel. Comment on rajoute de la réalité augmentée au monde réel et au patrimoine et en quoi cette chose-là a du sens aujourd’hui dans un musée » explique Ludovic. « Dans Strat’OS, le bac à sable, on ne sait plus vraiment ce qui est numérique et réel. On parle d’interface tangible. » Une affirmation que chaque visiteur sera en capacité d’apprécier.
Ludovic Magioni insiste sur la participation du visiteur : « Ce n’est pas uniquement des écrans disposés de partout. Ce sont des choses dans lesquelles le visiteur engage ses mains ou son corps tout entier ». Et de prendre le livre d’or de l’exposition comme témoin. « Les gens écrivent que, malgré la thématique de la mort qui semble difficile, il y a énormément de vie dans cette exposition. Je pense que tous ces dispositifs participent à donner de la vie et du mouvement. Ceci sans grande mise en scène car ils se fondent dans le décor. »