En observant avec une très grande précision les changements physiques et chimiques se produisant dans le nuage moléculaire entourant une protoétoile, une équipe internationale d’astrophysiciens, intégrant deux chercheurs de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (Ipag), remet en cause les modèles classiques de formation des planètes.
Selon le modèle généralement admis, les étoiles se forment au sein de nébuleuses qui sont de gigantesques nuages de gaz (essentiellement de l’hydrogène) et de poussières. Sous l’effet de la gravitation, ces gaz et ces poussières se concentrent pour former un cœur protostellaire, ou protoétoile, tandis qu’autour on retrouve une enveloppe et un disque d’accrétion. Ce disque a une taille d’environ 100 unités astronomiques (1).C’est dans ce dernier que se formeront éventuellement les planètes compagnons de l’étoile. La protoétoile, sous l’effet de sa propre gravité, va se contracter de plus en plus et donc s’échauffer. Parvenue à une certaine température critique, la fusion thermonucléaire va pouvoir s’amorcer, transformant la protoétoile en étoile.
Ce schéma global de la genèse stellaire, qui fait consensus dans la communauté scientifique des astrophysiciens, repose presque exclusivement sur des considérations théoriques. On ne disposait jusqu’ici que de très peu d’observations et de mesures « réelles ». Par conséquent, les processus fins de formation du disque, ainsi que les changements chimiques potentiellement associés, restaient largement inexplorés. Il était admis que la matière interstellaire provenant de l’enveloppe était apportée de façon continue et régulière dans le disque. L’équipe internationale animée par le Dr Nami Sakai de l’Université de Tokyo et qui inclut deux chercheuses de l’Ipag, Cécilia Ceccarelli et Claudine Kahane, a montré que les choses n’étaient pas si simples. La formation du disque s’accompagne de changements drastiques de la composition chimique de celui-ci. Dans ce travail, les chercheurs se sont intéressés à un objet céleste remarquable, le “noyau de nuage moléculaire” L1527, situé dans le nuage moléculaire du Taureau, appartenant lui-même à la constellation (2) du Taureau, à environ 450 années-lumière (3) de la Terre. Ces chercheurs ont utilisé pour leurs études un gigantesque radio interféromètre (4), dénommé Alma (5), situé à 5000 m d’altitude dans le désert de Atacama au Chili. Cet appareil est actuellement le plus sensible et le plus performant au monde. Il présente, dans les longueurs d’onde millimétriques et sub-millimétriques (longueur d’onde située entre l’infra-rouge et les ondes radio) une capacité de résolution équivalente à un télescope de 18,5 km de diamètre ! Ces longueurs d’onde sont par ailleurs les plus appropriées pour étudier le rayonnement émis par ces nuages moléculaires (nuages froids intersidéraux), ainsi que les toutes premières galaxies. L’analyse du rayonnement à ces longueurs d’onde est par conséquent la méthode de choix pour étudier les conditions physico-chimiques régnant dans les nuages moléculaires, là où les étoiles naissent. En se fondant sur les lois complexes de la mécanique quantique et grâce à Alma, les chercheurs ont pu effectuer un certain nombre de mesures des “lignes spectrales” qui sont en fait de véritable “marqueurs” de l’évolution physico-chimique de diverses molécules, particulièrement abondantes dans les nuages moléculaires. Il s’agit notamment de molécules carbonées de type c- C2H2 ou encore du monoxyde de soufre, SO. Ces travaux, d’une extrême complexité, ont permis d’avoir une bien meilleure compréhension des phénomènes se déroulant au niveau du disque gazeux entourant la protoétoile. 1. A l’inverse de ce qui était généralement admis, les molécules carbonées mentionnées plus haut disparaissent presque complètement dans la phase gazeuse située dans un rayon de 100 AU autour de la protoétoile. Cette distance correspond au rayon de la barrière centrifuge. C’est une région où une particule issue de l’enveloppe ne peut plus continuer à “tomber” à cause de la force centrifuge. Gravitation et force centrifuge s’équilibrent à cet endroit. Là, toute l’énergie cinétique de la particule est convertie en énergie de rotation. Les particules sont donc bloquées dans la région supérieure de cette barrière centrifuge et une partie d’entre elles sera progressivement transférée au disque intérieur. 2. Ce résultat est en accord avec la distribution des molécules de monoxyde de soufre (SO) qui est également spécifiquement localisée dans une structure en anneau située au niveau de la barrière centrifuge (à 100 AU de la proto-étoile). 3. En outre, la température des molécules de monoxyde de soufre est plus élevée que celle de cette même molécule dans le gaz tombant de l’enveloppe. Cela signifie que ce gaz en tombant produit un choc faible, générateur de chaleur, lorsqu’il pénètre dans le bord extérieur du disque autour de la barrière centrifuge. 4. La température du gaz interstellaire est donc augmentée autour de la barrière centrifuge permettant aux molécules de monoxyde de soufre, initialement gelées sur des grains de poussière, d’être libérées dans la phase gazeuse. Les analyses spectrales du monoxyde de soufre confirment par conséquent l’existence de ce front de formation du disque. Elles confirment également que la plupart de molécules sont éliminées des grains de poussière dans le disque après leur passage par le front. Cette étude, démontrant clairement un changement radical de la composition chimique associée à la formation de disque autour d’une jeune protoétoile, est tout à fait originale et nouvelle. Cette approche expérimentale, à la fois physique et chimique, a également mis en lumière la place centrale occupée par cette partie la plus éloignée du disque, la barrière de centrifugation, où le gaz « tombant » de l’enveloppe continue à s’accumuler. Ce résultat exceptionnel est en grande partie dû aux remarquables performances du système Alma. D’autres études seront, à n’en pas douter, entreprises dans d’autres régions génératrices de jeunes étoiles. Il sera particulièrement passionnant de regarder si le modèle de formation décrit ici avec L1527 est extrapolable à d’autres systèmes générateurs de protoétoiles. Il sera également intéressant de chercher à savoir, par diverses analyses sur les comètes et les astéroïde de notre système solaire, si celui-ci présente des analogies avec ce qui a été mis en évidence dans la présente étude. Patrick SeyerPour en savoir plus :Change in the chemical composition of infalling gas forming a disk around a protostar
Nature 507, 78 – 80 doi:10.1038/nature13000. Publié en ligne le 12 février 2014.
Glossaire
- Unité astronomique : unité utilisée pour mesurer les distances entre des objets célestes. Une unité astronomique équivaut à la distance Terre-Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres.
- Constellations : ce sont des figures imaginaires formées par des groupes d’étoiles projetées sur la voute céleste. L’union astronomique internationale divise le ciel en 88 constellation (source Wikipedia).
- Année lumière : unité de distance cosmique. C’est la distance parcourue par la lumière en une année. Une seconde lumière vaut 300 000 km !
- Radio-interféromètre : instrument de mesure fondé sur les calcul des interférences des signaux observées en braquant plusieurs télescopes simultanément sur un même objet céleste.
- Alma : Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (en français Vaste réseau d’antennes (sub) – millimétriques de l’Atacama).