ENTRETIEN – Repoussés par la droite pour leur participation à la municipalité sortante, indésirables pour les socialistes qui œuvrent à un resserrement à gauche, divisés au centre entre trois composantes dissidentes… Les centristes du Mouvement démocrate (Modem) grenoblois voient leur influence se réduire comme peau de chagrin. Parmi eux, Marie-Claire Népi, adjointe au maire en charge du secteur 3, croit davantage en l’opportunité du rejet des partis politiques classiques. Elle se préoccupe également d’un « délitement sociétal » dans certains quartiers de la ville, où la population est la première victime de l”« omerta ».
Née à Grenoble de parents italiens, Marie-Claire Népi a obtenu en se mariant cette double nationalité franco-italienne qui lui est chère. Elle estime que son engagement a démarré au Comité des Italiens à l’étranger et au Conseil général des Italiens à l’étranger, où elle a occupé durant douze ans deux mandats. Depuis 1994, elle a la responsabilité d’un organisme consulaire italien dans la circonscription de l’Isère qui promeut la langue et la culture italienne. Ses équipes d’enseignants interviennent dans des écoles élémentaires du département. En 2007, après une « errance politique » – provoquée par sa déception du parti socialiste dont elle était jusqu’alors « sympathisante » – Marie-Claire Népi a pris le chemin du centre « humaniste et républicain ». Une décision qui l’a rapprochée de Philippe de Longevialle, dont elle avait déjà croisé la route, « à l’époque où il était au cabinet d’Alain Carignon à Grenoble ». Elle s’est alors engagée à ses cotés aux municipales de 2008. L’alliance des socialistes et des centristes effectuée à cette date-là lui permet d’occuper aujourd’hui son mandat d’adjointe au maire en charge du secteur 3 de Grenoble. Elle figure à nouveau sur la liste centriste de Philippe de Longevialle pour les municipales de mars prochain. Jérôme Safar, le candidat socialiste aux municipales à Grenoble, reconduit l’alliance de la majorité sortante sur sa liste, à l’exception du Modem. Vous sentez-vous indésirables ? Ce n’est pas un rejet de Jérôme Safar, c’est une volonté de notre part d’être indépendants. Nous sommes satisfaits du travail entrepris par la majorité sortante dont nous assumons le bilan. Mais il est difficile de faire entendre sa voix en étant minoritaire dans un rassemblement. Le Modem n’a pas vocation à être l’allié naturel de la droite ou de la gauche. C’est la raison pour laquelle nous voulons défendre notre valeur ajoutée dans un programme et une candidature autonome. Les socialistes repartent avec les mêmes alliances et la même équipe. Ils auront donc le même projet. Nous défendrons nos propres positions. Les autres composantes centristes du paysage politique grenoblois ne vous suivent pas. Les sociaux-démocrates de Cap21 font alliance avec le socialiste Jérôme Safar et l’UDI soutient Matthieu Chamussy, le candidat investi par l’UMP. N’est-ce pas également le signe de votre isolement ? Les centristes, c’est nous ! Les sociaux-démocrates n’ont pas le choix. Ce sont seulement deux élus qui n’ont pas la capacité de monter une liste. Ils se disent centristes mais appartiennent à la majorité présidentielle. Ils sont donc rattachés à la gauche et doivent l’assumer. L’UDI, pour sa part, ne représente personne en Isère. Ils ont décidé de soutenir une liste où apparaît Alain Carignon. Dont acte. Nous ne pouvons pas faire ce choix-là. Existe-t-il une place pour un centrisme politique indépendant à Grenoble ? Une place considérable ! Nos retours du terrain prouvent que la population ne croit plus aux promesses politiques. Nous constatons l’expression d’une lassitude exacerbée envers la droite et la gauche. Par ailleurs, à Grenoble, nous pouvons récupérer les sympathisants de droite qui refusent de voter pour l’UMP en raison de la présence d’Alain Carignon sur la liste. Les Grenoblois ne veulent plus de lui. C’est dommage que Matthieu Chamussy ne l’ait pas compris. Localement, la gauche vit une usure du pouvoir et subira une sanction électorale à cause du gouvernement. Nous avons des propositions à faire à cet électorat-là. Quelles sont vos ambitions dans cette élection municipale ? C’est de gagner ! La particularité de notre liste est de faire apparaître seulement quatre personnalités politiques. Les autres sont issues de toutes les catégories professionnelles de la société civile et n’ont jamais eu de fonctions politiques, mais ont une conception de la vie publique. Contrairement aux deux autres candidatures s’en réclamant (Gilles Dumolard et Denis Bonzy, ndlr), nous ne sommes pas des sympathisants masqués de la droite. Atteindre la barre des 10% de voix exprimées nous permettrait de peser sur les négociations politiques et le contenu des projets. Nous ne nous fermons ensuite à aucune alliance, même si le retour d’Alain Carignon à droite n’est pas convenable pour nous. Quelles mesures nouvelles et innovantes présenterez-vous pour vous démarquer et « porter vos propres idées » ? L’une des mesures de notre programme propose la création d’une brigade anti-bruit de la police municipale. Le bruit est la première incivilité subie par les habitants. Dans certains quartiers du secteur 3 dont j’ai la charge, aucune patrouille de police ne passe la nuit pour faire valoir le droit à la tranquillité aux heures les plus avancées de la nuit. Si la sécurité est une compétence régalienne à la charge de l’État, la tranquillité publique est du ressort de la ville. Par ailleurs, l’augmentation conséquente de la vidéosurveillance – très efficace pour lutter contre les incivilités et la délinquance – est aussi un objectif dont la municipalité doit se donner les moyens. Le bilan de la majorité sortante n’est-il pas suffisant en matière de tranquillité publique et de sécurité, domaines dont Jérôme Safar avait la charge ? La politique en la matière a peut-être été mal pensée. L’armement des policiers municipaux et le renforcement de la vidéosurveillance étaient impératifs, mais leur entrée en application en mars prochain est tardive et insuffisante. Dans le contexte de recrudescence de la délinquance et de multiplication des armes à feu que nous connaissons, c’est incontournable. Les policiers municipaux ne peuvent pas protéger les habitants seulement avec leurs mains. Ce sont pour la plupart d’anciens policiers ou gendarmes compétents et formés au maniement d’une arme. Ce n’est pas parce qu’ils auront une arme à la ceinture qu’ils en feront usage. L’arme est avant tout dissuasive. L’année dernière, votre tribune dans le journal municipal décrivant un « délitement de la société » dans certains quartiers du secteur 3 à Grenoble (Mistral, Eaux-Claires, Aigle) avait provoqué des remous politiques dans la majorité. Maintenez-vous votre analyse et dressez-vous le même constat aujourd’hui ? Il y a régulièrement des agressions, des vols et des viols qui ne sont pas référencés dans les statistiques policières car de nombreux actes ne sont pas suivis d’une plainte par crainte de représailles. L’omerta existant dans ces quartiers est inacceptable. Seuls certains quartiers sont concernés. L’effet pervers de la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU) – développant honorablement la mixité sociale comme facteur d’intégration – est d’essaimer le trafic de drogue et la délinquance dans toute la ville. Sans doute aurait-il fallu être plus vigilant sur les critères d’attribution de logements sociaux dans des quartiers jusqu’alors tranquilles. Quelle politique de sécurité souhaiteriez-vous ? La zone de sécurité prioritaire (ZSP) du Sud grenoblois intégrant le quartier Mistral est efficace. La présence policière renforcée sur ces quartiers permet de déloger certains foyers de délinquance et de gêner des trafics illicites jusqu’ici paisibles. L’inconvénient de ce dispositif est sa limite géographique. Les trafics n’ont pas été éradiqués mais seulement déplacés. Concernant Mistral, les dealers se sont déportés sur le Lys rouge, en dehors de la ZSP. Le partenariat de la police avec d’autres services de l’État – comme l’administration fiscale et la Sécurité sociale – doit être renforcé pour ne pas limiter l’action au plan géographique, mais identifier des délinquants également par leur niveau de vie. Deuxièmement, il existe un devoir de sécurité envers les citoyens qui subissent ces trafics pour la plus grande majorité. Des jeunes adolescents gagnent plusieurs centaines d’euros par jour en surveillant un coin de rue. C’est un apport financier bienvenu pour certaines familles en difficulté, mais je ne suis pas pour l’achat de la paix sociale par le laisser-faire. La population de ces quartiers ne vit plus tranquillement alors que c’était un quartier vivant. La solidarité entre les familles était forte, mais je constate aujourd’hui un repli sur soi de ces familles terrorisées par la récupération de leurs enfants par les voyous. Leur principale inquiétude est désormais de déménager. L’urgence est de partir pour ne plus souffrir. Quelle est votre conception du travail d’un élu de secteur ? C’est d’être un élu de terrain intégré dans son secteur : un correspondant entre les habitants et la municipalité, toujours en lien avec l’équipe de la maison des habitants. La particularité du secteur 3, dont je m’occupe, est la densité de son tissu associatif. Je dois aussi être un relais de leurs doléances. La sectorisation de la commune – surtout dans une grande ville comme Grenoble – permet d’humaniser la municipalité dans ces quartiers et de lui donner un visage. Sans ce maillage, vous perdez le contact avec les Grenoblois et fragilisez la démocratie locale. Estimez-vous que la démocratie locale a été respectée durant ce mandat municipal, notamment pour les projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire dont Philippe de Longevialle – élu centriste comme vous – a la charge ? Philippe de Longevialle a instauré des réunions avec les riverains avant l’élaboration des projets pour permettre la concertation et l’étude des besoins de la population. Certains projets ont été adoptés, d’autres ont été retirés. Dans le quartier Painlevé par exemple, un imposant projet d’habitat social dans l’espace contraint d’un quartier pavillonnaire a été abandonné. Nous préparons à la place une résidence pour personnes âgées, réclamée par les habitants et permettant d’établir des relations intergénérationnelles dans ce quartier scolaire. Les grands projets d’urbanisme, comme ceux de la Zac Flaubert ou de l’Esplanade, s’établissent sur une autre échelle et s’échelonnent sur une vingtaine d’années. Il y a eu des réunions de concertation avec les habitants. Il faut garder en tête que Philippe de Longevialle a aussi répondu à une commande politique de la ville de Grenoble et qu’il s’est heurté à une opposition tout aussi politique. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Véronique Serre L’entretien a été réalisé le mercredi 18 décembre dans le bureau de Marie-Claire Népi à l’Hôtel de Ville de Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Marie-Claire Népi « Les identités meurtrières » d’Amin Maalouf : « Le maître-mot est réciprocité : si j’adhère à mon pays d’adoption, si je le considère mien, si j’estime qu’il fait désormais partie de moi et que je fais partie de lui, et si j’agis en conséquence, alors je suis en droit de critiquer chacun de ses aspects ; parallèlement, si ce pays me respecte, s’il reconnaît mon apport, s’il me considère, avec mes particularités, comme faisant désormais partie de lui, alors il est en droit de refuser certains aspects de ma culture qui pourraient être incompatibles avec son mode de vie ou avec l’esprit des institutions. » La conviction qu’elle en tire Les analyses de l’auteur franco-libanais Amin Maalouf me touchent. J’apprécie son travail sur la double identité et la revendication identitaire. Il livre des clés de lecture et de réflexion passionnantes au sujet de l’immigration et de l’intégration.- Consultez ici les autres entretiens politiques du dimanche de Place Gre’net.