DÉCRYPTAGE – La librairie Arthaud va-t-elle trouver un repreneur ? La question se pose alors que le projet de reprise présenté par son directeur Jean-Christophe Cantin semble désormais remis en question. Dans le même temps, le comité d’entreprise du groupe Chapitre vient de remporter une victoire judiciaire face à la direction générale qu’elle accusait de rétention d’informations.
Jean-Christophe Cantin avait prévenu : son offre de reprise tenait jusqu’au 15 novembre. Or rien ne s’est passé depuis. A la veille du jour J, il n’exclurait donc pas de jeter l’éponge, comme le précise ce jour France 3. Tout serait « suspendu » jusqu’à nouvel ordre, même s’il affirme ne pas abandonner totalement. Le directeur, amer, dénonce « la mauvaise foi de la part des organisations syndicales » qui se seraient montrées très critiques par rapport à son projet de reprise, jugé mal ficelé, comprenant des suppressions de postes et comportant des incertitudes quant à son financement. Déjà, il y a quelques semaines, ce dernier s’étonnait du manque d’enthousiasme d’un noyau de syndicalistes vis-à-vis de son projet. « Le plan de reprise n’implique pourtant que la suppression de trois équivalents temps plein sur 41, sur la base de départs volontaires », précisait-il alors. « Nous avons tous été surpris ce matin par cette communication dans la presse, car le directeur avait déjà annoncé sa décision aux salariés par un courrier en interne », réagit Clémence Devincre, déléguée syndicale CGT chez Arthaud et élue au comité d’entreprise (CE). Et celle-ci de réaffirmer que les élus du CE n’ont jamais eu de volonté de détruire ce projet et n’ont rien contre les “petits repreneurs”. « Pour preuve, le CE a déjà rendu cinq avis consultatifs positifs pour la reprise de librairies, dont quatre par leurs salariés et un par un libraire indépendant. Nous posons simplement des questions, n’ayant pas vocation à être une simple chambre d’enregistrement. » Manque de garanties financières Interrogé ce jour, David Lucchetti secrétaire du CE et délégué syndical à la librairie Arthaud, tient, lui aussi, à remettre les pendules à l’heure : « Jean-Christophe Cantin a décidé de lui-même de suspendre son projet de reprise. On se doute que les explications sont financières, car il ne nous a jamais apporté de garanties en la matière. » En cause, selon ce dernier, des aides de l’État moins importantes que prévues, suite à l’élargissement du plan social le 30 septembre dernier, englobant les 54 librairies du groupe Chapitre, au lieu de 12 initialement. « Les fonds mobilisables, notamment dans le cadre du dispositif de l’Adelc (Association de développement pour les librairies de création), ne sont pas encore débloqués. Comme il ne semble pas avoir les garanties de l’État pour reprendre financièrement, il préfère arrêter. » Clémence Devincre confirme : « Les frais de fonctionnement d’une entreprise comme la librairie Arthaud sont importants. Voilà pourquoi nous avons toujours réclamé des garanties financières pour éviter de nous retrouver le bec dans l’eau dans quelques mois. Or, on nous a seulement présenté des lettres sans engagements concrets, avec du conditionnel. » Jean-Christophe Cantin, de son côté, dément formellement. « Concernant le montage financier, tout est verrouillé depuis juillet et des garanties réelles et sérieuses ont été apportées. Les allégations visant à prétendre le contraire sont infondées. Des documents ont été produits démontrant la viabilité du projet. » Et ce dernier de réaffirmer qu’il est toujours soutenu : « L’Adelc qui rentrerait au capital de ma société n’a pas l’intention de revenir sur ses engagements et le projet garde le soutien des éditeurs. Les plus importants en sont d’ailleurs membres. » Obligation d’informer les salariés Alors que le plan de sauvegarde (PSE) du groupe Chapitre-Actissia se poursuit, le CE a, par ailleurs, remporté ce matin une bataille judiciaire concernant le déroulement de ce plan social. « Nous avions saisi la justice en référé car depuis le 30 septembre dernier, nous n’avons eu aucun document sur l’entreprise, en dépit de nos demandes régulières à M. Rességuier, président des librairies Chapitre », précise David Lucchetti. Une réunion extraordinaire devra donc avoir lieu le 10 décembre prochain, durant laquelle l’employeur aura obligation de remettre au CE les documents relatifs au PSE : prix de cession des différents magasins, plan d’accompagnement à l’emploi, périmètre concerné… « Si tout va bien, la procédure suivra son cours. Sinon, la juge des référés a d’ores et déjà prévu une audience le 12 novembre prochain, où elle obligera sous astreinte l’employeur à nous remettre ces documents. Mais que de temps perdu depuis le 30 septembre ! » Même sentiment pour Clémence Devincre qui juge aberrant qu’il faille lancer une procédure juridique pour obtenir des informations : « La direction du groupe navigue à vue et a très peu de visibilité. Nous voulons simplement un cadre juridique et que les projets de reprise soient faits dans la transparence, avec toutes les cartes sur table. » Un jeu risqué, selon le directeur de la librairie Arthaud : « Les syndicats sont contradictoires en affirmant ne pas s’opposer aux cessions des magasins tout en assignant le groupe en justice pour les contester. Ils jouent à la roulette russe ! » Désormais, les salariés comptent plus que jamais sur un nouveau repreneur. « Si une maison d’édition s’intéressait à nous, ce serait parfait », estime David Lucchetti, tout en regrettant l’inertie de la direction du groupe Chapitre. « Cela reporte tout au mois de décembre, en pleine haute saison. » Et il y a urgence. Car faute de vente finalisée d’ici cet été, toutes les librairies non reprises seront placées en liquidation judiciaire. « La librairie Arthaud a un avenir et nous voulons y croire », souligne Clémence Devincre. Elle peut en tout cas compter sur le soutien des Grenoblois, avec une pétition de soutien qui dépasse largement les 61 000 signatures. Paul TurenneN.B. : L’article a été complété, le samedi 16 novembre vers midi, par des déclarations de Jean-Christophe Cantin, directeur de la librairie Arthaud.