ENTRETIEN – Alors que les mouvements sociaux dans le secteur de la santé se multiplient dans le département, le communiste Patrice Voir, adjoint au maire de Grenoble en charge de la santé, pointe du doigt la politique « contradictoire » du gouvernement. Il défend une conception de la santé passant par la prévention avant une politique de soin. Pour les élections municipales à venir, il précise la position des communistes, divergente de celle de leurs alliés du Parti de gauche.
L’engagement politique de Patrice Voir remonte au putsch de Pinochet au Chili, en septembre 1973. L’année suivante, qui marque son entrée au lycée, il prend sa carte aux jeunesses communistes. La suite de son engagement politique et syndical restera sur cette ligne. Infirmier de formation et de profession, il continue d’exercer son emploi au bloc opératoire des urgences du CHU de Grenoble en parallèle de son mandat municipal. Son premier mandat date de 1998, quand il est élu conseiller régional. Il occupe de 1998 à 2008 la fonction de secrétaire départemental du Parti communiste en Isère et entre à la direction nationale du Parti. Aujourd’hui adjoint au maire de Grenoble en charge de la Santé, il est également président du réseau français des villes santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a notamment établi le plan municipal de santé adopté en 2011, ainsi que la signalétique piétonne encourageant les déplacements « actifs ».
Grenoble accueillera, le 21 octobre prochain, le colloque du réseau français des villes santé de l’OMS que vous présidez. Quel en est l’enjeu ?
C’est avant tout celui de la rencontre des différents intervenants et de l’émulation entre les villes sur les initiatives qu’elles prennent en faveur de la santé. Ensuite, le colloque est placé cette année sous le thème des soins primaires de santé. C’est un enjeu considérable à l’heure actuelle, car les villes sont de plus en plus sollicitées dans ce dossier pour endosser cette responsabilité qui n’était pas la leur jusqu’à maintenant. Les circuits actuels ne remplissent pas leur rôle. Les services des urgences sont saturés, la démographie médicale et la répartition de l’offre de soins sur le territoire sont à revoir. Les villes, qui sont en première ligne, doivent prendre des initiatives pour compenser ces manques.
Assiste-t-on au transfert de la compétence santé ?
Même pas ! L’Etat demande aux collectivités locales de faire des efforts de financement sur des équipements qui sont de sa responsabilité mais il s’accroche à être le décisionnaire de la branche santé. L’exemple le plus flagrant est que le projet de loi de décentralisation – qui est en réalité un projet de recentralisation – ne prévoit pas le rôle des villes dans la promotion et la prévention de la santé. C’est pourtant l’échelle adéquate pour la prévention de l’obésité et l’incitation à une nourriture saine et équilibrée par exemple.
Sur le plan hospitalier, le CHU de Grenoble a grimpé de deux places au classement de l’hebdomadaire Le Point qui le positionne désormais à la douzième place au classement général. Êtes-vous satisfait de cette position ?
Je ne me contente pas du classement général. L’établissement est effectivement bien placé sur l’activité et la recherche (10ème) mais il est quatrième sur le plan de l’endettement ! C’est un hôpital fragile en matière de financement et d’endettement. Le CHU n’a pas encore retrouvé l’équilibre financier après les lourds investissements de l’hôpital couple-enfant et de la tour des laboratoires. Une quarantaine de suppressions d’emplois est prévue d’ici la fin de l’année et la directrice générale en prévoit 55 supplémentaires. Le financement se paye en effectif.
Pour autant, ces difficultés financières ne sont pas liées à la gestion du CHU mais à son système de financement. La tarification à l’activité n’est pas remise en cause. Les centres hospitaliers doivent autofinancer leurs investissements. Ils sont contraints d’investir par des crédits bancaires à des taux élevés. Je suis favorable à un retour au prêt à taux zéro financé par l’Etat. C’était le cas jusque dans les années 80 pour les investissements de santé.
L’établissement est touché par un nouveau mouvement social. Après celui des médecins-urgentistes en janvier dernier, une partie du personnel des blocs opératoires s’oppose à la réorganisation de son temps de travail. Soutenez-vous ces différents mouvements ?
Il n’y aura pas de solution satisfaisante apportée au problème des urgences tant que d’importants travaux d’aménagement n’auront pas été effectués. Au cœur de ces mouvements, c’est la question de l’effectif et des conditions de travail qui se pose. L’amplitude horaire de travail de 10 et 12 heures, telle qu’elle est prévue pour les blocs opératoires, constitue un retour en arrière. La vigilance de soin du personnel est largement entamée avec une telle amplitude. Les études menées démontrent que celle de douze heures comporte un risque. Par ailleurs, le temps de chevauchement des équipes disparaîtra et le temps de transmission des informations avec lui. Le chevauchement permettait également de faire face à une accumulation de patients à certains horaires avant d’entamer le service suivant avec une quantité normale de travail.
Une journée de grève commune réunissant les personnels du CHU de Grenoble, du centre hospitalier de Voiron et de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève est prévue mardi, malgré des revendications différentes. Que traduit cette tension touchant le secteur hospitalier ?
C’est la conséquence des efforts budgétaires considérables qui sont demandés aux hôpitaux. Le secteur hospitalier connaît un profond malaise. Je suis même surpris qu’il n’y ait pas davantage de mouvements car les conditions d’exercice sont de plus en plus difficiles. Mais le malaise se traduit également par d’autres signaux que la lutte. Je constate, par exemple, une fuite importante du personnel par des arrêts maladies et des départs de salariés qui refusent d’être titularisés dans ces conditions.
La stratégie nationale de santé présentée par la ministre Marisol Touraine prévoit de « combattre les injustices et les inégalités de santé et d’accès aux soins ». Mais dans le même temps, le plan d’économies de 2,4 milliards d’euros de la Sécurité sociale prévoit un effort hospitalier de 440 millions d’euros. Que vous inspirent ces deux annonces ?
C’est une politique contradictoire ! Les objectifs sont louables et souhaitables, mais cela ne peut pas passer par des critères d’économies. Cela fait plusieurs décennies que les dépenses de soins diminuent, alors que c’est contre-productif. Je ne suis pas pour la gabegie, mais il faut des dépenses supplémentaires de prévention. C’est le parent pauvre de la politique de santé, alors qu’il s’agit de mesures peu coûteuses par rapport au bénéfice obtenu. La dernière loi de santé publique date de 2004 et elle n’a toujours pas été revue.
L’histoire de Grenoble qui a fait de la ville l’un des laboratoires socio-médicaux français est-elle toujours d’actualité ?
Grenoble continue d’être une ville de référence. Le fait d’avoir obtenu la présidence du réseau des villes santé de l’OMS illustre d’ailleurs cette position. Le bureau municipal d’hygiène grenoblois date du XIXème siècle et il conserve depuis 1923 le service de santé scolaire. C’est le cas dans seulement douze villes en France. Au début de mon mandat, en 2009, Grenoble a été classée première au palmarès de référence du magazine Impact Santé.
Deux points noirs étaient mis en exergue à l’époque : la psychiatrie et la santé environnementale. La situation s’est-elle améliorée depuis dans ces domaines ?
Il y a toujours d’importants besoins en psychiatrie et le conseil local de santé mentale travaille à cela. Sur le plan de l’environnement, il y a eu des résultats positifs, grâce à la diminution de la place de la voiture dans la communauté d’agglomération. Je suis partisan de réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc la place de la voiture en ville. Mais plusieurs modes de régulation existent et la zone d’action prioritaire pour l’air (Zapa) qui a été retoquée n’était pas forcément le meilleur d’entre eux. Aujourd’hui, certaines berlines haut de gamme consomment moins que les petites citadines bon marché. Exclure les voitures polluantes de la ville, tel que cela était prévu, aurait d’abord touché les familles modestes. Cela n’était pas acceptable.
Alors comment réduire les émissions de particules fines ?
Je suis par exemple partisan de la gratuité des transports en commun. La prise en charge par les usagers du coût réel des transports en commun par leur abonnement est de seulement 17%. Un effort pourrait donc être fait pour prendre en charge intégralement ce coût et les inciter ainsi à laisser leur voiture au garage en empruntant les transports collectifs ou en adoptant des modes de déplacement actifs, tels que le vélo ou la marche à pied.
Vous décrivez là un début de programme sur les questions de mobilité. Face à l’échéance des élections municipales de mars 2014, comment se positionne le Parti communiste ?
Les militants communistes se prononcent en faveur d’une liste autonome du front de gauche, auquel nous appartenons. Le paysage politique grenoblois s’ouvre et rend nécessaire cette liste. Je ne ferme cependant pas la porte à un rassemblement de toute la gauche. Qu’est-ce qui a changé depuis les élections de 2008, où les communistes avaient constitué une alliance avec le Parti socialiste dès le premier tour ? Déjà, le Front de gauche n’existait pas en 2008. Nous avions fait le choix à l’époque de ne pas nous laisser exclure du paysage politique, en acceptant les conditions fixées par les socialistes d’une ouverture à droite. Ni les socialistes, ni les écologistes n’avaient repris notre appel à constituer un rassemblement de la gauche. La gauche grenobloise était divisée. Elle l’est encore aujourd’hui, sauf que ce sont les écologistes qui vous ouvrent aujourd’hui les bras. Que faites-vous de cette main tendue ? C’est sur les contenus que se constitue un rassemblement. Et aujourd’hui, les écologistes et leurs militants qui constituent ce rassemblement ne créent pas les conditions nécessaires. Sur le projet de la métropole grenobloise, par exemple, nous avons une vraie divergence. Le projet en l’état, qu’ils approuvent, vise à éloigner des citoyens les centres de décisions. Ce n’est donc pas un modèle de démocratie citoyenne. Les écologistes sont frustrés d’être dans l’opposition municipale, alors qu’ils sont dans des majorités sous exécutif socialiste partout ailleurs. Cette main tendue ne vise pour le moment qu’à élargir la base pour battre la majorité sortante. Mais la politique, ce n’est pas de l’arithmétique. C’est un accord de sommet aux antipodes des valeurs du Front de gauche. Les positions ne sont pas figées. Nous continuons d’étudier la stratégie qui sera la nôtre pour les municipales. Justement, il y a une divergence de stratégie entre les états-majors du Parti de gauche et du Parti communiste pour les municipales. Est-ce qu’elle se vérifie localement ? Nous (les communistes) estimons que le Front de gauche doit obtenir un maximum d’élus à l’occasion de ces municipales pour faire avancer le projet. Cela ne semble pas être le projet de nos camarades du Parti de gauche, pour qui l’essentiel est de marquer une rupture avec le Parti socialiste. N’avez-vous aucune divergence avec les socialistes, à Grenoble ? La métropole en est une à l’échelle locale ! Tout comme l’austérité, dont on ressent également les effets à Grenoble. C’est une ville divisée sur le plan de la sociologie démographique, avec beaucoup d’ingénieurs et de personnes de catégories socio-professionnelles aisées et une autre partie de la population qui souffre beaucoup. Il convient de ne pas l’oublier. Sans faire le bilan de la municipalité sortante, les enjeux de démocratie locale et participative pourraient être améliorés. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Nils Louna L’entretien a été réalisé le mardi 1er octobre dans le bureau de Patrice Voir à l’Hotel de Ville de Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Patrice Voir- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.« Itinéraire d’un militant » de Jean Giard, ancien député communiste grenoblois :
« La politique ne se réduit pas à la gestion rationnelle de l’Etat. Il faut redonner du sens à la politique. Plutôt que de places à conquérir, la politique devrait se préoccuper de places de liberté à conquérir en vue de faire vivre au plus grand nombre de citoyens l’apprentissage de la démocratie en les associant à la vie de la cité. » La conviction qu’il en tire C’est une réflexion sur le renouvellement de la politique qui est au cœur des enjeux municipaux et institutionnels. La 6ème République portée par le Front de gauche est plus que jamais nécessaire pour ne pas laisser les trois quarts de la population sur le bord de la route.