ENTRETIEN – L’économie sociale et solidaire (ESS) résiste à la crise. Morad Bachir Chérif, en charge la délégation de ce secteur à la Métro, analyse et explique cette bonne santé. Président du groupe des sociaux-démocrates dans la majorité municipale, l’élu détaille les difficultés du rassemblement de la gauche pour les municipales à Grenoble.
Universitaire de formation, Morad Bachir Cherif a été maître de conférence en anthropologie et en sociologie. Co-fondateur du parti social-démocrate de l’Isère en 1989, c’est avec cette formation qu’il « vit ses premières campagnes électorales ». Il devient conseiller régional en 2004. Depuis 2008, il est conseiller municipal délégué à la culture scientifique et technique et vice-président de la Métro, en charge de l’Économie sociale et solidaire, de l’Insertion et de la jeunesse. Exclu du Modem en mars 2012 pour son soutien à François Hollande dans la campagne présidentielle, il a co-fondé avec Stéphane Gemmani (exclu pour les mêmes raisons) le Rassemblement citoyen. Morad Bachir Cherif est aujourd’hui membre du bureau national de ce mouvement politique porté par Corinne Lepage. La courbe du chômage s’est inversée en août pour la première fois depuis onze mois consécutifs. Le gouvernement est-il en passe de gagner son pari ? Je suis convaincu que les mesures entreprises par le gouvernement auront un effet certain sur le chômage. Je suis confronté à ces situations au quotidien à travers l’école de la deuxième chance que je préside, qui vise à intégrer des publics très éloignés de l’emploi et en rupture scolaire. Je constate que la puissance publique se bat à travers les mesures d’emplois d’avenir ou de contrats de génération. La première permet de remettre le pied à l’étrier du travail au public qui s’en éloignait. Quand les gros maigrissent, les maigres meurent. Dans des circonstances de difficultés économiques, les premiers touchés sont les plus faibles – les jeunes, les seniors et les personnes peu qualifiées – mais cela ne doit pas être une fatalité. La polémique sur les emplois aidés, qui fausseraient les chiffres du chômage, n’a donc pas lieu d’être selon vous ? Les emplois aidés sont incontournables, à condition qu’ils s’inscrivent dans la pérennité. Ils doivent s’accompagner de formations et de qualifications répondant à des emplois durables et disponibles sur le marché du travail. Ces emplois aidés, comme les clauses d’insertion que nous avons introduites dans les marchés publics de la Métro, s’inscrivent dans une logique de partenariat entre l’entreprise et les collectivités locales. Le secteur de l’économie sociale et solidaire résiste particulièrement aux difficultés économiques et aux suppressions d’emplois. Comment l’expliquez-vous ? D’abord, parce que ce secteur place l’Homme au cœur de l’économie, sans entrer dans une logique de profits. L’ESS donne du sens à l’action menée par l’entreprise. Ce mode de gouvernance de l’entreprise développe l’économie en respectant l’humain, l’environnement et en restant solidaire. Cela rend-il les entreprises plus résistantes économiquement ? Le sens donné à l’activité n’est pas la répartition de dividendes aux actionnaires, tout en répondant à une exigence de performance. L’ESS se positionne sur des secteurs d’avenir et porteurs de sens qui n’intéressent pas le grand capital. Certaines entreprises ont évidemment des problèmes de trésorerie, mais la répartition des bénéfices permet d’investir davantage. Le développement de l’ESS traduit-il un phénomène plus large, une quête de sens dans le travail, ou est-ce un effet de mode ? A toute chose, malheur est bon. Il y a une prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les modèles économiques. L’économie de marché ne fonctionne plus. Il faut donc faire émerger d’autres modèles et les soutenir. Certains pays, comme le Canada ou la Belgique, l’ont entrepris depuis plus longtemps que nous et cela fonctionne. Ce n’est donc pas un effet de mode. Au niveau national, l’emploi a augmenté de 0,3 % dans le secteur de l’ESS et les sociétés coopératives ont triplé depuis 2005. Constatez-vous la même dynamique dans l’agglomération grenobloise ? L’économie sociale et solidaire représente 10 % des emplois salariés dans le bassin grenoblois, soit environ 18 000 emplois. L’agglomération dispose d’une richesse d’acteurs dans ce secteur avec plus de 1600 associations et 130 coopératives. Par ailleurs, il y a une volonté politique à toutes les échelles, depuis la ville jusqu’au gouvernement, qui compte un ministre délégué au développement de ce secteur. À l’échelle de la Métro, nous développons des hôtels d’activité dans des zones particulièrement touchées par le chômage. Ces pépinières sont actrices de l’innovation et créent de l’activité économique dans ces territoires. L’ESS provoque un regain d’intérêt des responsables politiques car c’est un secteur créateur d’emplois et de valeurs. Comment le champ politique peut-il s’investir davantage ? Il n’est pas question de se substituer aux entreprises, mais l’implication politique passe par la mise en place de formations et d’aides à l’implantation sur son territoire. L’hôtel d’activité de Fontaine était un investissement conséquent de la Métro. Aujourd’hui, nous en créons deux supplémentaires, l’un à Échirolles et le second dans le quartier Mistral. Cela correspond à la politique de rénovation urbaine qui est entreprise. Il y a également un soutien des structures préexistantes, telles que les associations de maintien de l’agriculture paysanne (Amap) qui sont porteuses d’avenir car il y a une demande forte des consommateurs. Enfin, la Métro lance annuellement des appels à projet, avec une dotation de 100 000 euros. Le concours est instruit par les acteurs de l’ESS eux-mêmes. Dans quels domaines souhaiteriez-vous que l’ESS se développe encore davantage ? L’habitat groupé prend de l’ampleur ; les garages solidaires permettent la mobilité, facteur essentiel de l’accès à l’emploi… Je souhaiterais également que l’on consacre davantage de moyens au développement d’entreprises d’économie sociale et solidaire dans le domaine de l’environnement. Une délégation de votre parti, le Rassemblement citoyen, sera reçue jeudi prochain à l’Elysée. Comment interprétez-vous cette rencontre ? C’est une marque de reconnaissance et de confiance de la part du président de la République. Il estime que notre mouvement est un acteur de la vie politique du pays. Nous souhaitons étudier comment notre mouvement peut accompagner le gouvernement vers la réussite. Préparez-vous une alliance ? Le congrès du Rassemblement citoyen aura lieu ce mois-ci. La question d’une alliance sera évidemment évoquée. Il y a beaucoup de choses compatibles entre la majorité et notre mouvement. À l’heure où la participation d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) au gouvernement est discutée, pourriez-vous être un mouvement environnementaliste compensant ce départ ? Nous ne nous opposons à aucun parti et nous ne sommes pas non plus un mouvement de substitution. Nous partageons avec EELV une fibre écologiste et donc certaines de leurs idées, mais nous avons des propositions supplémentaires à faire. Une véritable transition énergétique nécessite une ligne budgétaire conséquente. Le budget 2014 du gouvernement présente une difficulté sur ce point. Mais cela correspond à la réalité économique du pays. Il faut aussi faire preuve de pragmatisme. L’équilibre budgétaire est incontournable mais l’environnement ne doit pas en être la variable d’ajustement. Localement, la majorité sortante s’effrite. Les communistes et le Modem préparent une liste, GO citoyenneté négocie avec les différentes composantes de la gauche. Les sociaux-démocrates sont-ils les bons élèves de la majorité sortante ? Nous continuerons d’être une force de propositions, avec des idées et des contributions, tout en étant acteurs des politiques locales. Nous espérons rester aux responsabilités. Nous verrons ce qu’il y a de compatible avec le projet de Jérôme Safar et comment nous serons pris en compte. Concernant la prise de distance des autres composantes politiques de la majorité, les effets de coudes sont normaux en période électorale pour donner du poids aux idées de chacun. Il y a aura ensuite, je l’espère, le temps du rassemblement. Remporter l’élection n’est pas le plus important. C’est la gestion qui compte ! Pour cela, il faut une base politique la plus large possible. A quelles conditions resterez-vous fidèle à la majorité sortante ? La campagne va être longue. Il y a des échanges mais pas de négociations pour le moment. Pourriez-vous à nouveau travailler dans une majorité où siègerait le Modem ? Le Modem a pris nationalement une orientation droitière qui confirme ce que nous présagions quand nous l’avions quitté. Néanmoins, nous sommes pour le rassemblement. Donc, si le programme est co-construit, nous n’y voyons pas d’inconvénient. Auriez-vous eu un poids politique suffisant pour monter une liste autonome ? Je suis convaincu qu’il y a incontestablement un électorat du centre gauche qui n’accepte pas le positionnement du Modem. Mais monter une liste pour entrer dans un rapport de force, un chantage, n’a pas de sens. Nous sommes pour un rassemblement sans être des naïfs. Nous préférons être associés, dès le premier tour, à une majorité élargie. Quelles sont vos divergences avec une majorité socialiste ? Comme tout gros parti, le PS est une grosse machine et a tendance à avoir un fonctionnement hégémonique, comme un rouleau compresseur. Nous avons quitté le Modem qui devenait le strapontin de l’UMP ; ce n’est pas pour devenir localement celui du PS. Nous tenons à notre liberté. Sur la sécurité par exemple, il faut que l’exécutif accepte de débattre avec sa majorité ! Pour le scrutin électoral à venir à Grenoble, un rassemblement citoyen et écologiste se présente comme une alternative à gauche à la majorité sortante. Votre rôle d’entremetteur entre ces deux groupes n’est-il pas compromis ? Tout est possible. Le rassemblement sera nécessaire pour faire émerger des idées nouvelles. S’il n’a pas lieu, que se passera-t-il ? La bipolarisation de la gauche peut être dangereuse et pourrait pousser des électeurs à un vote à droite, voire à l’extrême droite. Nous perdrions davantage qu’ils ne gagneraient. Si le rassemblement n’est pas possible au premier tour, il faudra néanmoins une campagne qui soit la moins dégueulasse et la plus digne possible, sans attaques de personnes. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos par Véronique Serre L’entretien a été réalisé le jeudi 26 septembre dans le bureau de Morad Bachir Chérif à l’Hotel de Ville de Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Morad Bachir Cherif- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.« Et puis Paulette… » de Barbara Constantine : « Mahault, 5 ans 3/4, donne un bouquet de fleurs qu’elle vient de cueillir à son petit voisin. – Tiens, garde-le, comme ça quand tes parents seront morts, tu pourras leur mettre sur leur tombe ». La conviction qu’il en tire Cet ouvrage évoque avec tendresse la solidarité intergénérationnelle. C’est un roman simple qui traduit cette idée – que je partage – que seul, nous allons plus vite, mais qu’ensemble, nous allons plus loin.