ENTRETIEN – Dominique Raynaud est l’un des deux chercheurs grenoblois* à avoir participé au premier groupe de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le spécialiste des carottes de glace revient sur l’évolution des connaissances scientifiques mais également sur les objectifs et la prise de conscience politiques. Pour lui, contenir la hausse des températures sous le seuil de 2°C d’ici 2100 est encore possible. « Mais cela va être difficile… »
Le GIEC a toujours été très conservateur dans ce qu’il écrit, notamment dans le titre où il est question de « changements climatiques ». Si le terme de « bouleversements climatiques » (utilisé par Laurent Fabius lundi 30 septembre lors d’un colloque à Paris en présence de membres du GIEC) est peut-être un peu fort, je pense que « dérèglement » est le bon mot. Le GIEC ne fait pas de science mais une évaluation de la connaissance. Il choisit donc les termes les plus appropriés. Fondamentalement, les scientifiques n’ont pas sous-estimé ce qui fait consensus mais le GIEC est soumis à des règles où ce qui n’est pas complètement établi est passé sous silence. Et, petit à petit, on s’aperçoit que le message est de plus en plus contraint. C’est-à-dire ? On est aujourd’hui sûr à 95 % que l’on va faire face à un réchauffement fort et que, depuis 1850, il est majoritairement dû à l’action de l’homme. Si l’on fait la moyenne par décennie, on voit que la courbe des températures augmente tous les dix ans et que les trois dernières décennies sont les plus chaudes depuis que l’on fait des mesures. D’après le baromètre d’opinion paru en août dernier à la demande du commissariat général du développement durable, 35 % des Français refusent d’attribuer le dérèglement climatique aux activités humaines… Le message prend du temps, mais il y a une prise de conscience. Il y a trente ans, quand on parlait du changement climatique, on nous regardait avec de gros yeux. Les canicules et plus généralement les phénomènes extrêmes, comme les tempêtes ou les inondations auxquelles on assiste, sont-ils liés au dérèglement climatique ? Au début, on avait des doutes. Pourquoi un réchauffement global exacerberait de tels phénomènes ? Mais par rapport au précédent rapport, on a davantage confiance dans ce lien. Oui, on observe plus d’inondations mais s’il y a l’impact climatique. Cela dit, le fait que l’on bétonne partout n’est pas à sous-estimer… Il y a deux ans, le GIEC a pour la première fois sorti un rapport sur les évènements extrêmes. Non seulement le lien apparaît de plus en plus marqué mais ces phénomènes devraient s’amplifier en amplitude et en fréquence. La France devrait organiser en 2015 la prochaine conférence internationale sur le climat puisqu’elle est pour l’heure seule candidate… Comment avez-vous perçu le discours de Laurent Fabius, lundi ? J’ai deux sentiments. S’il n’y avait pas eu des conférences comme Rio, Kyoto ou Copenhague, je ne suis pas sûr que l’on se soucierait autant du problème, même si ces conférences génèrent des échecs retentissants. Le seul fait qu’elles perdurent est très positif. L’autre aspect, mis en avant par les sceptiques, c’est « où est le progrès ? ». On ne peut pas dire que Copenhague ait fait progresser la question… Une fois que l’on a dit qu’il ne fallait pas dépasser 2°C à la fin du siècle, qu’est-ce qu’on fait ? Mais le discours de Laurent Fabius est positif, dans le sens où le gouvernement a conscience du fait qu’il s’agit de bien préparer ce rendez-vous pour minimiser la probabilité d’échec. Comment percevez-vous l’objectif politique de limiter la hausse à 2°C ? 2°C, c’est beaucoup. Pour rappel, la différence entre le régime glaciaire passé et la période interglaciaire actuelle, c’est 5°C ! Et cela s’est fait sur 100 000 ans. Si en deux siècles, la température monte de 2 °C, on peut imaginer les changements sur la planète ! L’Europe s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % de 1990 à 2020. Est-ce que ce sera suffisant pour contenir la hausse des températures à 2°C d’ici la fin du siècle ? Pour la première fois, la communauté scientifique a élaboré quatre scénarios représentant un échantillonnage des politiques climatiques à déployer pour arriver à une certaine température. Ces modèles font le bilan des émissions de gaz à effet de serre, ce qui se traduit en évolution des températures. Sur ces quatre scénarios, un seul permettrait de ne pas dépasser les 2°C. On a donc encore une chance mais cela va être difficile. C’est le message adressé aux politiques. Ces 20 % sont-ils suffisants ? Non, l’objectif n’est pas atteint. Si l’on poursuit sur l’augmentation actuelle de CO₂ nous serons loin d’obtenir cet objectif. Et puis, quels sont les pays qui y arriveront ? La Pologne a son charbon. Il faut tenir compte de chaque pays, de ses capacités, ses ressources, ses moyens de se développer. Le problème est global.
Après avoir été accusé de catastrophisme, le GIEC est aujourd’hui taxé par certains de minimiser les risques… Qu’en pensez-vous ?
Le GIEC a toujours été très conservateur dans ce qu’il écrit, notamment dans le titre où il est question de « changements climatiques ». Si le terme de « bouleversements climatiques » (utilisé par Laurent Fabius lundi 30 septembre lors d’un colloque à Paris en présence de membres du GIEC) est peut-être un peu fort, je pense que « dérèglement » est le bon mot. Le GIEC ne fait pas de science mais une évaluation de la connaissance. Il choisit donc les termes les plus appropriés. Fondamentalement, les scientifiques n’ont pas sous-estimé ce qui fait consensus mais le GIEC est soumis à des règles où ce qui n’est pas complètement établi est passé sous silence. Et, petit à petit, on s’aperçoit que le message est de plus en plus contraint. C’est-à-dire ? On est aujourd’hui sûr à 95 % que l’on va faire face à un réchauffement fort et que, depuis 1850, il est majoritairement dû à l’action de l’homme. Si l’on fait la moyenne par décennie, on voit que la courbe des températures augmente tous les dix ans et que les trois dernières décennies sont les plus chaudes depuis que l’on fait des mesures. D’après le baromètre d’opinion paru en août dernier à la demande du commissariat général du développement durable, 35 % des Français refusent d’attribuer le dérèglement climatique aux activités humaines… Le message prend du temps, mais il y a une prise de conscience. Il y a trente ans, quand on parlait du changement climatique, on nous regardait avec de gros yeux. Les canicules et plus généralement les phénomènes extrêmes, comme les tempêtes ou les inondations auxquelles on assiste, sont-ils liés au dérèglement climatique ? Au début, on avait des doutes. Pourquoi un réchauffement global exacerberait de tels phénomènes ? Mais par rapport au précédent rapport, on a davantage confiance dans ce lien. Oui, on observe plus d’inondations mais s’il y a l’impact climatique. Cela dit, le fait que l’on bétonne partout n’est pas à sous-estimer… Il y a deux ans, le GIEC a pour la première fois sorti un rapport sur les évènements extrêmes. Non seulement le lien apparaît de plus en plus marqué mais ces phénomènes devraient s’amplifier en amplitude et en fréquence. La France devrait organiser en 2015 la prochaine conférence internationale sur le climat puisqu’elle est pour l’heure seule candidate… Comment avez-vous perçu le discours de Laurent Fabius, lundi ? J’ai deux sentiments. S’il n’y avait pas eu des conférences comme Rio, Kyoto ou Copenhague, je ne suis pas sûr que l’on se soucierait autant du problème, même si ces conférences génèrent des échecs retentissants. Le seul fait qu’elles perdurent est très positif. L’autre aspect, mis en avant par les sceptiques, c’est « où est le progrès ? ». On ne peut pas dire que Copenhague ait fait progresser la question… Une fois que l’on a dit qu’il ne fallait pas dépasser 2°C à la fin du siècle, qu’est-ce qu’on fait ? Mais le discours de Laurent Fabius est positif, dans le sens où le gouvernement a conscience du fait qu’il s’agit de bien préparer ce rendez-vous pour minimiser la probabilité d’échec. Comment percevez-vous l’objectif politique de limiter la hausse à 2°C ? 2°C, c’est beaucoup. Pour rappel, la différence entre le régime glaciaire passé et la période interglaciaire actuelle, c’est 5°C ! Et cela s’est fait sur 100 000 ans. Si en deux siècles, la température monte de 2 °C, on peut imaginer les changements sur la planète ! L’Europe s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % de 1990 à 2020. Est-ce que ce sera suffisant pour contenir la hausse des températures à 2°C d’ici la fin du siècle ? Pour la première fois, la communauté scientifique a élaboré quatre scénarios représentant un échantillonnage des politiques climatiques à déployer pour arriver à une certaine température. Ces modèles font le bilan des émissions de gaz à effet de serre, ce qui se traduit en évolution des températures. Sur ces quatre scénarios, un seul permettrait de ne pas dépasser les 2°C. On a donc encore une chance mais cela va être difficile. C’est le message adressé aux politiques. Ces 20 % sont-ils suffisants ? Non, l’objectif n’est pas atteint. Si l’on poursuit sur l’augmentation actuelle de CO₂ nous serons loin d’obtenir cet objectif. Et puis, quels sont les pays qui y arriveront ? La Pologne a son charbon. Il faut tenir compte de chaque pays, de ses capacités, ses ressources, ses moyens de se développer. Le problème est global.
Propos recueillis par Patricia Cerinsek
* Deux chercheurs CNRS du laboratoire de glaciologie et de géo-physique de l’environnement (LGGE-UJF/CNRS), Dominique Raynaud et Gerhard Krinner, ont participé aux travaux du GIEC. Le premier est spécialiste des carottes glaciaires, en tant que review editor ; le second a plus particulièrement travaillé sur les projections climatiques, comme auteur. Spécialistes de la reconstruction de la composition atmosphérique passée à partir de l’analyse des carottes de glace de l’Antarctique et du Groenland, les chercheurs du LGGE ont notamment démontré le lien entre CO₂ et variations climatiques depuis 800 000 ans. Les travaux d’autres chercheurs du LGGE, ainsi que du laboratoire d’étude des transferts en hydrologie et environnement (LTHE) ont également contribué à l’évolution des connaissances scientifiques.Plus chaud l’été, moins de neige l’hiver Pas de surprise. Si le climat se réchauffe à peu près partout dans le monde, les Alpes ne seront pas épargnées. Au contraire… Au cours du siècle passé, alors qu’en France la température moyenne a augmenté de 1°C, dans les Alpes, le thermomètre a fait une envolée : + 2°C. Forcément, le mouvement devrait continuer à la hausse. Pour Benoit Hingray, chargé de recherches CNRS au laboratoire d’étude des transferts en hydrologie et environnement (LTHE-CNRS/UJF/IRD/Grenoble INP), il n’y a pas de doute possible. « Tous les modèles prévoient des changements importants de température. » Le chercheur a notamment mené des travaux sur le secteur du bassin de la Durance, en amont du barrage de Serre-Ponçon. En plaine, les hausses sont déjà significatives. A l’horizon 2050, la température devrait augmenter entre 1,5 et 2,5°C. A la fin du siècle, la hausse pourrait atteindre + 5°C. Et, en montagne, les réchauffements pourraient être plus importants. Les étés seront plus chauds, avec davantage de périodes de canicule. Quant aux hivers, frappés par le radoucissement des températures, ils devraient voir tomber plus de pluie que de neige. Bref, pour skier, il faudra aller plus haut… Restent les inconnues. « On a beaucoup d’incertitudes, notamment sur les précipitations, poursuit le chercheur. Sur les 150 dernières années, elles ont beaucoup fluctué. » De fait, les écarts peuvent doubler d’une année à une autre. Les projections vont donc dans le même sens. Si les scientifiques s’attendent à une légère baisse des précipitations, la variabilité pourrait bien venir jouer les trouble-fête avec, pourquoi pas, une décennie très humide. Difficile dans ces conditions de se projeter, que ce soit à court, moyen ou plus long terme. Une chose est sûre : les glaciers vont continuer de reculer. Du coup, l’eau de fonte viendra grossir les rivière plus tôt. Avec son corollaire : des étiages plus bas en juillet et août. Faute d’avoir anticipé, l’homme n’aura d’autre choix que de s’adapter.A lire aussi sur Place Gre’net : Climat : bientôt un plan régional Les glaciers alpins en sursis