Du 23 au 28 juillet, plus de six millions de jeunes Catholiques sont attendus aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro. Au-delà de cet événement majeur, la nouvelle génération catholique se mobilise au quotidien pour transmettre la parole de Dieu. L’Eglise compte sur ces nouveaux messagers pour raviver une évangélisation vacillante. Elle a mis en place une véritable stratégie marketing afin de redorer l’image de l’institution catholique auprès des jeunes. Enquête à Grenoble.
IFOP « Les Français et le catholicisme, 50 ans après Vatican II », menée pour le journal La Croix en octobre 2012, montre ainsi que seuls 5 % des Français baptisés se rendent à la messe tous les dimanches. Et la proportion tombe à 1 % chez les moins de 35 ans. Pour autant, le père Bertrand ne se résigne pas : « La Nouvelle évangélisation a permis à l’Eglise de prendre conscience qu’elle devait sortir de sa grotte et aller à la rencontre des gens pour annoncer Dieu. »
Evangélisation de masse
Développée par Jean-Paul II dans les années 1970, la Nouvelle évangélisation devait permettre de donner un nouveau souffle à la chrétienté (voir encadrés en fin d’article). Les initiatives liées à sa mise en œuvre ont été laissées à l’appréciation de chaque évêque. A Grenoble, Mgr Guy de Kerimel associe pleinement les jeunes Catholiques à cette mission. Dès septembre 2008, il a engagé une réflexion avec ceux de son diocèse pour les interroger sur leurs attentes et la meilleure façon d’incarner leur foi.
Après neuf mois de discussions, les « Assises des jeunes » ont ainsi débouché sur plusieurs propositions : une messe spécifique, la création d’un groupe chrétien de musique, ainsi que l’ouverture d’un café associatif. Des propositions qui ont toutes abouti. Le groupe de rock chrétien EssentCiel, constitué en septembre 2009, a déjà sorti deux albums depuis. Quant à la pastorale des jeunes, rebaptisée Isèreanybody, elle a ouvert l’Isèreanybody Café en octobre 2011.
Le diocèse grenoblois a, en réalité, anticipé de quelques années la politique menée par le Vatican. En octobre 2012, Rome a ainsi accueilli le Synode des évêques sur le thème « La Nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne ». Durant trois semaines, de nombreux acteurs ont alors échangé autour de la nécessité pour l’Eglise catholique de relancer une évangélisation de masse.
Dynamiques et entreprenants, les jeunes croyants constituent des acteurs essentiels de cette stratégie. Le message final du Synode rappelle, à ce titre, qu’une « attention particulière est portée sur les jeunes dans une perspective d’écoute et de dialogue pour racheter, et non pas mortifier, leur enthousiasme ». Dans certaines limites toutefois, le message précisant que l’Eglise se refuse à « diffuser l’Evangile comme un produit de marché ».
S’adapter pour mieux régner
Cette posture de principe cache en fait d’autres réalités, comme l’explique Fabien Gavant, responsable régional d’Alpha Connect, institution qui regroupe tous les parcours Alpha, groupes de parole autour de la foi importés d’Angleterre. « La Nouvelle évangélisation consiste à s’adapter aux standards du monde actuel », juge le jeune homme qui plaide pour une remise au goût du jour de l’évangélisation. Un crédo développé au sein des parcours Alpha. Dans son appartement, une Bible est rangée entre deux romans et une vierge trône à côté de l’ordinateur dernier cri.
Plus de 580 de ces groupes de parole ont été mis en place en France. Ils proposent des discussions autour de thèmes chers à la chrétienté, mais aussi des dîners gratuits et des animations ponctuelles. Le 29 janvier dernier, une soirée était organisée pour le lancement de la première saison 2013 d’Alpha Campus à Grenoble. Au programme : tartiflette, chaises musicales et karaoké. Rien de très religieux, ni de très original : les parcours Alpha recrutent sur la base de slogans neutres, attisant la curiosité sans la connoter religieusement. « Venez comme vous êtes » ou « Quel est le sens de la vie ? » ont fait leurs preuves.
Pour François Peyroche d’Arnaud, responsable du groupe Talitakoum, cette neutralité contribue surtout à « briser les préjugés d’une société anti-catho ». Chargé de coordonner les évangélisations de rue dans l’agglomération grenobloise, cet étudiant en génie civil pense en effet que les jeunes sont « bloqués par la religion », alors même qu’ils ont « soif de Dieu ».
Dans leur pays d’origine, les parcours Alpha font l’objet d’une véritable « publicité », explique Fabien. « Ils sont vendus au même titre que n’importe quel autre produit. » La tendance n’est pas encore arrivée en France, mais le jeune homme reconnaît que cette nouvelle structure a changé les modes d’évangélisation traditionnels. « Alpha est un outil hyper adaptable : pour les jeunes, pour les couples, pour les lycéens… mais il requiert aussi des compétences nouvelles, notamment en terme de management. » Des compétences peu valorisées par l’Eglise, qui sous-exploite ces nouveaux outils d’évangélisation. « Aujourd’hui, il pourrait y avoir mille participants sur Grenoble. On en compte une vingtaine par réunion », déplore Fabien.
Du cantique au Catho Style
Les jeunes Catholiques ont plus d’un tour dans leur chapelet. D’anciennes traditions peuvent ainsi rencontrer un nouvel essor grâce à un petit lifting. Fabien le sait : la clé, c’est la communication. « Avant, on donnait aux gens un papier sur lequel étaient notées toutes les infos. Un peu de couleur, une image sympa et ça devient un flyer accrocheur. C’est le même geste, mais réalisé de façon plus actuelle. » Les nouveaux groupes catholiques se sont progressivement adaptés à ce marketing communicationnel. En jeu : leur image un peu poussiéreuse.
« L’Eglise, ce n’est pas que des grenouilles de bénitier ! », s’agace Jean-Jonathan Meneu, membre du groupe de rock chrétien Essentciel. Exit les cantiques. Le top 50 fait partie intégrante de la nouvelle image du jeune Catho, branché et… plein d’auto-dérision. C’est ainsi que la communauté du Chemin Neuf a repris le tube mondial de 2012 Gangnam Style pour en faire un Catho Style qui se moque des clichés : « Depuis mon sixième mois, je suis un vrai catho / Le prêtre m’a plongé dans 32 centimètres d’eau / Cathé, communion, profession d’foi, confirmation / Sur ma liste il n’manque plus que la résurrection ».
Même ton du côté des parodies de la série Bref réalisées par les jeunes Catholiques d’Isèreanybody : « Je suis tombée dans une drôle de coloc », « J’ai changé mon regard sur les cathos » et « J’ai fait une drôle de rencontre ». Et face à ceux qui raillent cette nouvelle façon de communiquer, Jean-Jonathan affiche un détachement décomplexé. « Le but n’est pas d’être bien vu », explique-t-il, « mais simplement d’être accessible et hyper accueillant ».
Carrefour de la jeune génération, l’Internet s’impose comme un passage obligé de l’évangélisation. La toile est ainsi le nouvel espace d’expression et de communication de la communauté catholique. Fabien Gavant reconnaît qu’il faut « surfer sur ce qui existe pour arriver à entrer dans la culture par une autre porte ». Le site internet d’Isèreanybody se veut d’ailleurs résolument coloré et attractif. Régulièrement mis à jour, il permet de « rassembler les initiatives » dans un même espace.
Les réseaux sociaux font, eux aussi, l’objet d’une attention particulière. Isèreanybody et les parcours Alpha ont ainsi leur page Facebook. Et sur Twitter, chaque nouveau follower d’Isèreanybody est accueilli d’un chaleureux « Twelcome ». Le « catho style » 2.0 est au point.
« Obligation de résultat »
Du côté des résultats, les interprétations sont nuancées. « Notre but n’est pas de remplir les séminaires ou d’avoir 150 conversions », affirme Jean-Jonathan, « mais simplement de susciter des questions ». Le jeune homme balaye d’un revers de manche toute tentation comptable : « De toute façon, ce n’est pas dans les pouvoirs de l’Eglise de convertir, puisque la foi est quelque chose que chacun doit s’approprier. »
Le père Jean-Christophe Bertrand concède toutefois que « la demande de baptêmes et de sacrements » reste un objectif essentiel de la Nouvelle évangélisation. « Mais elle peut être très distante dans le temps par rapport à la découverte de la foi », nuance-t-il. François Peyroche d’Arnaud confirme. Un homme qu’il avait rencontré dans la rue au cours d’une mission d’évangélisation ne s’est finalement converti que « plusieurs années plus tard ».
Seul Fabien Gavant estime que, grâce à la Nouvelle évangélisation, les Catholiques « peuvent se permettre de compter ». « Il ne faut pas avoir peur de se demander si ce que l’on fait porte ses fruits. » Il se justifie en citant la parabole du figuier stérile, présente dans l’Evangile selon Saint Luc : « Le Seigneur demande qu’on arrache le figuier qui ne produit pas de figue. Il y a une obligation de résultat même dans les Evangiles ! » Le figuier est fertile à Grenoble : à Pâques, une quarantaine de jeunes adultes ont répondu à « l’appel décisif » de l’évêque pour se faire baptiser.
Géraldine Russell
« Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… » Chaque dimanche soir, le père Loïc Lagadec officie à l’église Saint-Joseph, à deux pas de la place de Verdun, pour permettre aux étudiants et aux jeunes salariés de partager un moment de prière lors de la « messe des jeunes ». Certains arborent un pull floqué au nom de leur école. Quelques-uns pianotent même sur leur portable entre deux chants liturgiques. L’ambiance est détendue et les sermons du prêtre, qui puise ses illustrations dans le quotidien des fidèles, font mouche.
Depuis ses débuts en 2009, la messe des jeunes a fait des émules. « Ils étaient 80 à venir, il y a quatre ans. Aujourd’hui, ils sont 500 ou 600 chaque semaine », se réjouit le père Jean-Christophe Bertrand, co-responsable de la pastorale des jeunes Grenoblois. Un constat étonnant, tant de nombreuses études témoignent d’un recul des pratiques religieuses chez les nouvelles générations ces dernières années.
L’enquête La Nouvelle Evangélisation S’inscrivant dans un contexte de sécularisation avancée dans les pays de tradition catholique, la Nouvelle Evangélisation a été initiée par le pape Paul VI à l’issue du concile Vatican II en 1965. Elle a été mise en œuvre par Jean-Paul II dès son accession au pontificat pour raviver la foi chrétienne. En 1979, il a ainsi déclaré à Nowa Huta, en Pologne : « une nouvelle évangélisation est commencée, comme s’il s’agissait d’une deuxième annonce, bien qu’en réalité, ce soit toujours la même ».
Que signifie « évangéliser » ? « Evangéliser, c’est témoigner d’un Dieu vivant, d’un trésor que chaque chrétien porte en lui », explique François Peyroche d’Arnaud, responsable du groupe d’évangélisation Talitakoum. L’évangélisation consiste en l’annonce de Dieu et ne doit pas être confondue avec la conversion ou le baptême, qui résultent de celle-ci. Le terme d’évangélisation est présent dans le Nouveau Testament. « L’évangélisation est d’abord l’acte des Apôtres, mais tout chrétien est invité à évangéliser », renchérit le père Jean-Christophe Bertrand, curé à Grenoble.