Philippe de Longevialle : “Il n’y a pas de modèle d’écoquartier”

Philippe de Longevialle : “Il n’y a pas de modèle d’écoquartier”

ENTRETIEN – En pleine réflexion sur la révi­sion du Plan Local d’Urbanisme, docu­ment direc­teur de l’a­mé­na­ge­ment de la ville, Grenoble accueillait la semaine der­nière la Biennale de l’ha­bi­tat durable. L’occasion de s’in­ter­ro­ger avec Philippe de Longevialle, adjoint au maire en charge de l’ur­ba­nisme et de l’a­mé­na­ge­ment, sur le visage de l’ag­glo­mé­ra­tion dans le futur. Récompensée en 2009 par le Grand Prix natio­nal Ecoquartiers pour le pro­jet de Bonne, la ville conti­nue en effet sur sa lan­cée et construit de nou­veaux écoquartiers.
Le quar­tier de Bonne a été pré­senté comme un modèle d’é­co­quar­tier en France. Où en est-il aujourd’­hui, quatre ans après sa livraison ? 
Philippe de Longevialle, adjoint au maire de Grenoble à l'urbanisme et l'aménagementPhilippe de Longevialle, adjoint au maire de Grenoble à l’ur­ba­nisme et l’aménagement
Lorsque la Zac de Bonne a été lan­cée, l’ob­jec­tif était ambi­tieux : 50% de consom­ma­tion éner­gé­tique en moins. Soit au niveau des normes et per­for­mances ins­tau­rées par le Grenelle 2 de l’en­vi­ron­ne­ment, entré en vigueur au 1er jan­vier 2013. Mais ce quar­tier a été conçu en 2004 et inau­guré en 2010.
Globalement, la per­for­mance que nous nous étions fixée est tenue. A la livrai­son du bâti­ment, il y a bien eu un temps pour se mettre en marche et quelques dif­fi­cul­tés concer­nant la per­for­mance ther­mique, dues à une mau­vaise iso­la­tion de cer­taines cana­li­sa­tions… L’autoévaluation des per­for­mances éner­gé­tiques que nous avions mise en place et la der­nière série de mesures ont tou­te­fois mon­tré que nous res­pec­tions les enga­ge­ments pré­vus. Nous avons joué la trans­pa­rence sur ce pro­jet. De ce fait, nous avons eu des cri­tiques, mais en réa­lité, aujourd’­hui nous attei­gnons les objectifs.
Enfin, for­cé­ment les com­por­te­ments des habi­tants ont une place dans cette per­for­mance. Les bâti­ments sont conçus pour être confor­tables avec une tem­pé­ra­ture de 19°C en hiver, c’est-à-dire qu’ils sont pen­sés pour être étanches et homo­gènes en terme de cha­leur. C’est une véri­table bou­teille ther­mos. Après, on ne peut empê­cher quel­qu’un qui veut mettre 25°C de le faire, mais for­cé­ment cela a un impact sur la consommation.
Aujourd’hui l’Esplanade, la Presqu’île ou encore le quar­tier Flaubert sont en cours d’a­mé­na­ge­ment. Pourquoi faire des éco­quar­tiers ? Ce sont des expé­riences iso­lées ou bien la pré­fi­gu­ra­tion de la ville de demain ? 
Chaque quar­tier est une expé­rience. Ceux-ci le sont encore plus, dans le sens où l’on expé­ri­mente des tech­no­lo­gies nou­velles, où l’on essaye de s’a­dap­ter aux nou­veaux usages… Mais l’en­semble de la ville doit pro­fi­ter de ces pro­grès. Aucun construc­teur n’a­vait réussi une telle per­for­mance avant le quar­tier de Bonne. Maintenant, ils savent le faire. D’autre part, sans attendre la fin de la Zac de Bonne, la ville de Grenoble a imposé que tous les bâti­ments res­pectent la norme BBC (Bâtiment Basse Consommation). L’idée est donc de pou­voir faire pro­fi­ter toute la ville de ce savoir-faire.
Un éco­quar­tier, ce n’est pas qu’un ensemble de bâti­ments BBC. Ce sont aussi de nou­veaux modes de mobi­lité. Les habi­tants de Bonne se déplacent deux fois plus à vélo que le reste de la ville, par exemple. Cela implique de pen­ser aux modes de trans­ports doux, mais aussi aux ques­tions de mixi­tés sociale et fonc­tion­nelle et à la qua­lité des espaces vivables.

Ecoquartier de la ZAC de Bonne à Grenoble par ter­ri­toi­res­gouv
Certains reprochent à ces éco­quar­tiers d’être des « para­dis à bobos » cou­pés du reste de la ville, de n’être pas mixtes socia­le­ment… Comment avez-vous géré ces ques­tions à Grenoble ? 
La Zac de Bonne, c’est aussi 40% de loge­ments sociaux, une par­tie en acces­sion à prix de vente pla­fonné, des rési­dences étu­diants, des hôtels, une crèche, une école et un cinéma. Les loge­ments sociaux sont inté­grés dans tous les îlots, la mixité sociale fai­sant vrai­ment par­tie des objec­tifs. Et tous les citoyens peuvent aller s’y ins­tal­ler. A l’op­posé des para­dis à bobos, les rues de la Zac sont dans la conti­nuité du quar­tier Championnet et des Grands Boulevards, il y a même des rues qui tra­versent le centre com­mer­cial pour assu­rer la conti­nuité urbaine.
L'Esplanade du futur

L’Esplanade du futur

De même, le parc de la Zac est dans le pro­lon­ge­ment du parc Hoche. On rénove d’ailleurs ce quar­tier en remet­tant des com­merces. Il est donc par­fai­te­ment inté­gré au reste de la ville, même si évi­dem­ment, d’un point de vue archi­tec­tu­ral, il y a cin­quante années d’é­cart entre la Zac réha­bi­li­tée et son envi­ron­ne­ment. Forcément, cela se voit.
Le quar­tier Vauban en Allemagne, construit à l’i­ni­tia­tive des habi­tants, est sou­vent cité comme exemple. Comment avez-vous traité cette ques­tion de la par­ti­ci­pa­tion des citoyens ? 
La prin­ci­pale dif­fé­rence entre la Zac de Bonne et l’é­co­quar­tier Vauban tient au fait que ce der­nier est à l’é­cart de la ville. Les gens vivent entre eux à Vauban, alors qu’à Bonne le quar­tier est inté­gré dans la ville. Il est même en centre-ville, ce qui est une pre­mière. Bonne, c’est le concept de la ville de demain, c’est-à-dire la réno­va­tion urbaine. La contre­par­tie du quar­tier de Vauban, c’est que les habi­tants se sont fait un quar­tier pour eux, non pour la ville. A Grenoble, nous avons essayé de construire un quar­tier pour toute la ville, avec un grand centre com­mer­cial, un beau parc… De ce fait, on a éva­cué l’ef­fet NIMBY (Not In My BackYard : pas dans mon arrière-cour), c’est-à-dire l’op­po­si­tion d’ha­bi­tants à un pro­jet local d’in­té­rêt géné­ral dont ils estiment qu’ils subi­ront les nui­sances. Personne ne s’est appro­prié ce quar­tier qui est un lieu de vie pour tous les Grenoblois.
Un immeuble produisant plus d'énergie qu'il n'en consomme.

Un immeuble pro­dui­sant plus d’éner­gie qu’il n’en consomme.

Au début, nous ne connais­sions pas les futurs habi­tants, puis­qu’il s’a­gis­sait de l’a­mé­na­ge­ment d’une friche urbaine. On a donc asso­cié les quar­tiers autours. Au fur et à mesure que les gens sont arri­vés dans la Zac, ils se sont impliqués.
D’autre pro­jets d’é­co­quar­tiers sont en cours de réa­li­sa­tion, à la Presqu’île ou encore à l’Esplanade. En quoi dif­fè­re­ront-ils de celui de Bonne ? 
Il n’y a pas de modèle d’é­co­quar­tier. Chaque espace est à amé­na­ger en fonc­tion de son envi­ron­ne­ment et de sa fonc­tion. Ces deux pro­jets sont évi­dem­ment conçus pour répondre à des cri­tères envi­ron­ne­men­taux et de qua­lité de vie. Il y a donc des carac­té­ris­tiques com­munes : espaces verts, modes de trans­port doux, qua­lité ther­mique et acoustique… 
Mais le quar­tier de la Presqu’île va, par exemple, avoir des espaces mutua­li­sés, des appar­te­ments en libre ser­vice, des crèches « tenues » par les habi­tants, des jar­dins par­ta­gés… Il y a une taille cri­tique à par­tir de laquelle on peut intro­duire des ser­vices mutua­li­sés. La charge répar­tie sur l’en­semble des loge­ments est alors fina­le­ment faible par rap­ports aux avan­tages pro­cu­rés. On ne l’a pas fait dans le quar­tier de Bonne parce que nous n’é­tions pas encore assez murs. Il y a donc une évo­lu­tion. Nous tenons compte de nos expé­riences pour faire tou­jours mieux. 
Toujours à la Presqu’île, nous construi­sons un îlot tota­le­ment auto­nome. Il pro­duira son eau et son élec­tri­cité, gèrera ses déchets… C’est un pro­jet expé­ri­men­tal mais qui, en évi­tant de tirer des réseaux énormes, per­met­tra d’é­co­no­mi­ser la res­source publique. Limiter la taille des réseaux à entre­te­nir, qui sont extrê­me­ment coû­teux, risque d’être un enjeu pour les muni­ci­pa­li­tés dans le futur. 
Le projet de l'Esplanade
Le pro­jet de l’Esplanade conçu par l’ar­chi­tecte Christian de Portzamparc
Quand ces deux pro­jets ver­ront-ils le jour ?
Ils sont en cours. L’Esplanade devrait être ter­mi­née autour de 2025 – 2030 et la Presqu’île vers 2035. La Presqu’île est un pro­jet énorme qui vise à ame­ner de la vie, de l’ha­bi­tat et du com­merce dans un quar­tier pour le moment mono-fonc­tion et peu vivant. Il ne faut pas oublier que l’ur­ba­nisme est une science du temps long. On construit pour le futur. C’est aussi l’une des dif­fi­cul­tés de la concer­ta­tion qui met en avant des pré­oc­cu­pa­tions impor­tantes, mais de court-terme. Il faut aussi essayer de se projeter.
Enfin, ces quar­tiers ne sont pas figés. Les avan­cées tech­no­lo­giques, les nou­veaux modes de trans­ports, ainsi que les évo­lu­tions des modes de vie sont des para­mètres qui peuvent ame­ner à une réorien­ta­tion du pro­jet pour que celui-ci soit le mieux adapté aux attentes des Grenoblois.
Remettre la nature au coeur de la ville. Remettre la nature au cœur de la ville.
Grenoble est en train de révi­ser son Plan Local d’Urbanisme (PLU). Y a‑t-il un plan glo­bal de trans­for­ma­tion éco­lo­gique de la ville ?
Les pro­jets urbains sont auto­nomes, mais la révi­sion du PLU a pour objec­tif d’in­té­grer les nou­velles normes du Grenelle 2, l’exi­gence BBC et les plans de dépla­ce­ments urbains. Il faut aussi prendre en compte les docu­ments supra-com­mu­naux, à l’é­chelle de l’in­ter­com­mu­na­lité. On ne gère plus un espace entouré de fron­tières, mais on s’ins­crit dans un fonc­tion­ne­ment métropolitain. 
L’adaptation du PLU, c’est aussi de voir com­ment on s’a­dapte aux attentes des gens, aux modi­fi­ca­tions des com­por­te­ments, au vieillis­se­ment de la popu­la­tion. Nous essayons éga­le­ment de redé­fi­nir la ques­tion de la proxi­mité, des dépla­ce­ments et de l’ac­cès à l’in­for­ma­tion de manière tota­le­ment dif­fé­rente. La proxi­mité n’est donc plus for­cé­ment une ques­tion de dis­tance phy­sique, mais aussi de temps d’accès. 
Nous tra­vaillons donc sur la végé­ta­li­sa­tion des espaces, le retour de la nature en ville, les espaces de « cowor­king », le télé­tra­vail… Peut être que tout cela va chan­ger le rap­port à l’es­pace urbain. 
Propos recueillis par Lucas Piessat 
A lire aussi : Ecoquartiers : trop verts pour être murs

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