REPORTAGE - Aller en bas des immeubles, dans les cages d’escalier, sur les terrains de sport. Ces nouvelles méthodes de médiation dans les quartiers permettent d’approcher un public décrocheur face à l’emploi. Depuis plusieurs années, des processus de recrutement innovants se développent pour faciliter l’insertion des jeunes issus de zones sensibles. Eclairage.
« Si nous n’allons pas chercher les jeunes dans leur quartier, ils ne se déplaceront pas dans les structures traditionnelles », affirme Adbel Belmokadem, fondateur de Nes & Cité, un cabinet de formation en médiation et en gestion de conflits. Aujourd’hui, les acteurs classiques de l’emploi, à l’image de Pôle Emploi, parviennent à accueillir des candidats qui se trouvent dans une démarche d’insertion. Pourtant, un échantillon large de demandeurs d’emploi a baissé les bras. « Ils ont envie de travailler mais ils ne vont plus dans les boîtes d’intérim », précise Abdel Belmokadem.
Face à cette résignation, Nes & Cité a décidé d’agir et d”« aller vers » les jeunes. « Nous essayons d’organiser des rencontres au cœur des quartiers », explique-t-il. Jobs & Cité en est un exemple. Pour sa huitième édition grenobloise le 4 avril dernier dans le gymnase Malherbe, l’événement a attiré près de 300 personnes, au cours d’une demi-journée de recrutement en présence d’une vingtaine d’entreprises. Un travail qui a commencé trois mois avant l’opération : les médiateurs ont fait du terrain pour aborder les jeunes, « le jour et la nuit à partir de 22h », précise Adbel Belmokadem.
Nabil Kherrab a également l’habitude de se balader dans les quartiers de Grenoble. À 35 ans, ce chargé d’animation au sein de la mission locale arpente les galeries et parcourt le parc chaque jeudi pour avertir les habitants des actions relatives à l’emploi. « Je vais à la rencontre des jeunes qui sont déscolarisés, démobilisés, à la rue, pour tenter de leur remettre le pied à l’étrier », précise-t-il. À ses yeux, se rendre sur leur territoire est indispensable pour les informer. « C’est nouveau pour eux. Ils n’ont pas l’habitude que nous nous déplacions vers eux », confie-t-il.
Des jeunes difficiles à mobiliser
Pourtant, malgré les efforts, la mobilisation des jeunes est encore faible. Lors du temps fort organisé au Patio visant à préparer le Forum pour l’emploi de Grand’Place, le jeudi 6 juin, les jeunes se sont présentés au compte-gouttes, malgré le démarchage des agents de la mission locale. « Nous avions déjà fait un flop à Teisseire et à Mistral », regrette Michèle, conseillère emploi formation. Affichage, tractage, communication sur les réseaux sociaux ou relances par SMS, rien n’y fait : la jeunesse est de plus en plus difficile à mobiliser.
« Les jeunes sont toujours en demande d’emploi », nuance Aurélie Jourdan, également conseillère. « Mais, en ce moment, nous avons peu de solutions à apporter à ceux qui sont sans diplôme et sans expérience », poursuit-elle. La faute au contexte économique selon David Fauconet, responsable de la mission locale de la Ville. « Nous avons le sentiment d’un manque de propositions malgré nos actions de proximités. Les offres d’emploi se raréfient. Les jeunes ont surtout accès aux contrats aidés ou précaires mais pas aux CDI » déplore-t-il. « Pour la plupart des jeunes, la mission locale ne sert à rien », regrette Nabil Kherrab. « Nous les informons que nous sommes là, mais nous n’avons pas de baguette magique. Eux seuls peuvent y arriver, avec de l’aide », précise-t-il.
De tâtonnements en tâtonnements, ces nouvelles méthodes de recrutement se développent dans les quartiers dits sensibles. Autre innovation en terme d’emploi : les « Kfé-CV », lancés par Nes & Cité. Expérimentées dans le quartier de la Villeneuve il y a quelques mois, ces rencontres « autour d’un café » se développent partout en France. L’idée est simple : inviter les recruteurs à partager un moment privilégié avec les postulants pour faciliter les relations et accélérer le processus d’embauche. « Nous démontrons ainsi qu’en se rendant sur les lieux de vie les recruteurs peuvent découvrir des niches de candidats et de talents », affirme Abdel Belmokadem. Le défi est désormais de faire comprendre aux jeunes qu’ils peuvent tous prétendre à un emploi.
Emeline Wuilbercq