Décharge publique illégale. Heyrieux, 18 ans de scandale.

Décharge illé­gale : une plainte au pénal

Décharge illé­gale : une plainte au pénal

ENQUÊTE – Dix-huit ans que les déchets s’ac­cu­mulent en toute illé­ga­lité sur un ter­rain privé d’Heyrieux, mena­çant l’é­co­sys­tème envi­ron­nant. Face à l’i­ner­tie admi­nis­tra­tive, élus et asso­cia­tions de défense de l’en­vi­ron­ne­ment portent l’af­faire au pénal. En Isère, il exis­te­rait encore une cen­taine de décharges sauvages.
Décharge publique illégale. Heyrieux, 18 ans de scandale.

© Patricia Cerinsek

A Heyrieux, dans le Nord Isère, des déchets s’ac­cu­mulent dans la plus totale illé­ga­lité depuis dix-huit ans. Démarches amiables, pro­cé­dures admi­nis­tra­tives… rien n’y fait.
« Cela fait bien­tôt vingt ans que tout le monde constate que cette décharge est illé­gale », tem­pête Francis Meneu, pré­sident de la Fédération Rhône-Alpes de la Protection de la Nature (Frapna) Isère. « Tout le monde se ren­voie la balle !»
A quelques cen­taines de mètres de l’é­tang de Césarge, les déchets s’en­tassent sur un ter­rain privé. Sur place, les asso­cia­tions de défense de l’en­vi­ron­ne­ment – Association portes de l’Isère envi­ron­ne­ment (Apie) et Sauvegarde nature envi­ron­ne­ment Heyrieux (SNEH) en tête – ne peuvent que consta­ter. Gravats de béton, tôles, plas­tiques et autres fer­railles amas­sés là pen­dant des années, sont peu à peu recou­verts de terre végétale.
Mise en demeure en 1995, puis en 2000

Décharge d'Heyrieux en 2013. © Frapna

© Frapna

« Cette décharge, on en parle depuis 1987 ! », pointe-t-on à la mai­rie d’Heyrieux. C’est la SNEH qui, la pre­mière, a donné l’a­lerte en 1994. Depuis, c’est un peu le jeu du chat et de la sou­ris. Car le bal­let des camions et leur noria de détri­tus conti­nuent, en dépit des arrê­tés de mise en demeure du pré­fet en 1995, puis en 2000. Ces der­niers impo­saient au pro­prié­taire de ne plus accep­ter de déchets sur le site mais aussi de faire éva­luer l’im­pact de la décharge sur l’en­vi­ron­ne­ment, notam­ment en reti­rant les déchets autres qu’i­nertes. Un arrêt momen­tané des apports de déchets n’a, là non plus, rien changé.
Pas de quoi affo­ler la Drire (direc­tion régio­nale de l’in­dus­trie, de la recherche et de l’en­vi­ron­ne­ment, deve­nue depuis Dreal), pour qui ces déchets sont consi­dé­rés comme non dangereux.
En 2008, la com­mune porte plainte auprès du pro­cu­reur de la République. Sans trou­ver le moindre écho… Face à l’i­ner­tie de l’ad­mi­nis­tra­tion, l’Apie se consti­tue par­tie civile en 2011. La Frapna lui emboîte le pas début 2013. Initialement au civil, l’af­faire a été por­tée au pénal et est aujourd’­hui ins­truite par le tri­bu­nal de grande ins­tance de Vienne. L’ultime espoir pour les asso­cia­tions et la mai­rie d’Heyrieux de voir bou­ger les choses…
Des déchets non dangereux ?
Au fil du temps, petit dépôt est devenu grand. Et, pour les asso­cia­tions, la pol­lu­tion n’est pas que visuelle. Car la décharge sur­plombe un petit ruis­seau, le Césarge, lequel tra­verse une zone humide avant de rejoindre l’é­tang du même nom. Un éco­sys­tème fra­gile, menacé par les lixi­viats, ces jus issus de la fer­men­ta­tion des déchets char­riés par les eaux de pluie.

Décharge d'Heyrieux en 2013. © Frapna

© Frapna

« Les lixi­viats sont entraî­nés jus­qu’au tor­rent de Césarge plus bas », pré­cise Nicolas Gourdin, juriste à la Frapna. « La pol­lu­tion a com­mencé. » Alors ? « Déchets non dan­ge­reux » ?, comme conti­nue de l’af­fir­mer la Dreal par la voix de Jean-Pierre Foray, res­pon­sable de l’u­nité ter­ri­to­riale de l’Isère.
« Aujourd’hui, c’est clair, il y a très majo­ri­tai­re­ment des déchets inertes ; pour moi, ils ne sont pas dan­ge­reux », insiste Jean-Pierre Foray. « Qui plus est, ainsi clas­si­fiés, ces déchets ne relè­ve­raient pas de la Dreal mais d’une autre admi­nis­tra­tion, la DDT, la direc­tion dépar­te­men­tale des ter­ri­toires. » Une par­tie de ping-pong qui fait bon­dir élus et asso­cia­tions. « Qui fait quoi ? Comment ? Qui coor­donne ? », inter­pelle Francis Meneu. « On a des moyens pour agir mais on se borne à consta­ter !»
L’ombre de la gra­vière de Domène
Une situa­tion qui n’est pas sans rap­pe­ler le dos­sier de la décharge de Domène, une ancienne gra­vière ali­men­tée par la nappe phréa­tique, com­blée par des tonnes de déchets ‚dont cer­tains très toxiques. Là, après douze années d’ins­truc­tions qui ont vu pas­ser six juges, l’af­faire a trouvé un épi­logue, en tout cas judiciaire.
Le 23 jan­vier 2012, le tri­bu­nal de grande ins­tance de Grenoble a condamné l’Etat pour inac­tion fau­tive poin­tant les dys­fonc­tion­ne­ments admi­nis­tra­tifs. L’ancien gérant a été reconnu seul cou­pable et condamné à une amende de 15 000 euros, dont la moi­tié avec sursis.
Amoncellement de plastique sur la décharge d'Heyrieux en 2000. © Frapna

Amoncellement de plas­tique sur la décharge d’Heyrieux en 2000.
© Frapna

Aujourd’hui, les asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment estiment entre 600 000 et un mil­lion de mètres cube le volume de déchets entre­po­sés le long de l’Isère et à 14 mil­lions d’eu­ros le coût de la dépol­lu­tion. Qui va payer ? Le dos­sier est loin d’être clos…
Heureusement, la grande majo­rité des décharges sau­vages trouve une issue plus rapide. Cette année, sur le dépar­te­ment de l’Isère, la Frapna a recensé une cen­taine de décharges illé­gales et déposé cinq plaintes. Dépôt de déchets inertes à Chanas, rem­blais de déchets de maçon­ne­rie à Apprieu, restes auto­mo­biles à Cessieu, vidange d’huile à Moirans, inci­né­ra­tion de déchets d’emballages à Barraux… La liste est encore longue. Négligences et inci­vi­li­tés prouvent que gérer ses déchets n’est pas encore com­plè­te­ment pas­sée dans les mœurs.
« Ce sont des dos­siers sur les­quels on s’use », admet Jean-Pierre Foray. « Les asso­cia­tions font un tra­vail admi­rable. » Ce sont sur­tout les seules à véri­ta­ble­ment mettre leur nez dans ces dépôts sau­vages qui conti­nuent de fleu­rir dans les cam­pagnes. Et elles vont devoir encore se retrous­ser les manches. Un inven­taire, conduit en 2008 – 2010 sur les ter­ri­toires du Trièves et de la Matheysine par le réseau de veille éco­lo­gique de la Frapna Isère (ReVE), a comp­ta­bi­lisé pas moins de 48 décharges non auto­ri­sées sur une soixan­taine de com­munes concernées…
Patricia Cerinsek
Décharges : un livret pour expli­quer, un réseau pour recenser
Livret de la Frapna sur la lutte contre les décharges sauvages.Afin de débrous­sailler la régle­men­ta­tion en matière de déchets et d’ap­por­ter des élé­ments de réponse, la Frapna Isère a conçu un livret consul­table et télé­char­geable sur le site de l’as­so­cia­tion. Car en France, la légis­la­tion est pour le moins tech­nique et com­plexe. « Pour chaque déchet, il y a un mode de valo­ri­sa­tion et de trai­te­ment dif­fé­rent », rap­pelle Nicolas Gourdin, juriste à la Frapna. « On est sur plu­sieurs blocs de loi avec plu­sieurs infrac­tions pos­sibles. »
C’est notam­ment pour sou­la­ger les élus, sou­vent en pre­mière ligne, que l’as­so­cia­tion a décor­ti­qué les textes. Car si le déten­teur ou pro­duc­teur des déchets est le pre­mier res­pon­sable de ce qu’il a entre­posé, le maire a, selon le légis­la­teur, sa part de res­pon­sa­bi­lité en tant que déten­teur des pou­voirs de police sur sa commune.
Face à une décharge sau­vage, le pre­mier magis­trat pos­sède des pou­voirs spé­ciaux. Il peut ainsi consi­gner une somme d’argent, faire pro­cé­der d’of­fice à l’exé­cu­tion des mesures, sus­pendre le fonc­tion­ne­ment des ins­tal­la­tions, voire ordon­ner le ver­se­ment d’une astreinte jour­na­lière ou d’une amende.

Patricia Cerinsek

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