FOCUS – L’évacuation par la police, vendredi 21 avril 2023, du bâtiment de la Maison des sciences de l’Homme (MSH), occupé depuis deux jours par des étudiants opposés à la réforme des retraites, crée la polémique à l’Université Grenoble Alpes (UGA). L’AG étudiante et plusieurs syndicats enseignants et du personnel dénoncent l’intervention des forces de l’ordre demandée par la présidence. Des blocages étaient ainsi organisés en protestation, ce lundi 24 avril, sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, tandis qu’un appel à la grève et au rassemblement a été lancé pour le jeudi 27 avril.
[Article publié initialement le 24 avril 2023 à 15 h 37 et mis à jour le 27 avril 2023 à 11 h 07 avec ajout encadré] « Nous ne voulons pas de la police à l’université. » Le titre du communiqué de la CGT Université de Grenoble résume un sentiment largement partagé par les étudiants et membres du personnel. Trois jours après, l’intervention de la police sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, vendredi 21 avril 2023, pour évacuer le bâtiment de la Maison des sciences de l’Homme (MSH), occupé depuis deux jours, continue en effet de susciter des remous à l’Université Grenoble Alpes (UGA).
Une petite centaine d’étudiants ont commencé à occuper le bâtiment de la Maison des sciences de l’Homme (MSH) mercredi 19 avril, à l’issue de l’AG étudiante. © Joël Kermabon – Place Gre’net
L’occupation de la MSH avait été décidée par l’assemblée générale étudiante, mercredi 19 avril, dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Les étudiants avaient fait « le choix d’intensifier par cette action le rapport de force avec la présidence » de l’UGA, expliquent plusieurs syndicats et organisations1AG étudiante, Unef, UEG, Solidaires étudiant-e‑s, Solidaires Isère, NPA, Ensemble!, Jeunes communistes 38 dans un communiqué unitaire.
L’objectif était double. D’une part, « obtenir la mise à disposition d’un lieu permettant aux étudiants mobilisés de se réunir et de stocker du matériel ». Mais également « exiger une bonne fois pour toutes l’interdiction du recours au distanciel, dans un contexte de mouvement social, et un aménagement des partiels approchants ».
« Aucune dégradation » mais un « dispositif démesuré », selon les étudiants
Selon les organisations signataires, les conditions étaient très claires et fixées dès le départ. « L’occupation se déroulerait dans le respect du lieu et des personnes présentes et serait levée après satisfaction des revendications portées auprès de la présidence de l’université », affirment-elles. Des engagements qui ont été « respectés », assurent-elles, ajoutant qu” « aucun matériel n’a été dégradé ».
Les policiers sont intervenus en nombre, vendredi 21 avril, pour évacuer le bâtiment de la MSH, occupé depuis 48 heures par des étudiants opposés à la réforme des retraites. DR (capture d’écran)
Malgré cela, les forces de l’ordre sont pourtant intervenues vendredi midi, à la demande du président de l’UGA Yassine Lakhnech, pour déloger les étudiants et mettre fin à l’occupation du bâtiment. « Ce sont plusieurs dizaines de policiers nationaux, Baceux et CRS qui ont été déployés en pleine journée sur un campus bondé d’étudiants », s’indignent l’AG étudiante et les autres signataires, qui décrivent un « dispositif démesuré ».
« On a eu très peur pour les étudiants »
« Plusieurs étudiant.es et personnels ont longuement expliqué au président, vendredi matin, qu’elles et ils se sentaient choqué.es et en insécurité à l’université en présence de tant de cars de CRS », dénonce de son côté la CGT. Même réaction de la FSU qui, dans un communiqué, « défend le principe des franchises universitaires » – statut dont bénéficient les universités françaises et selon lequel les forces de l’ordre ne peuvent y intervenir sans leur accord.
Réunie ce lundi 24 avril, l’AG du personnel a ainsi « exprimé sa consternation » devant ce recours à la police, indique Nicolas Sieffert, secrétaire de la section Snesup-FSU à l’UGA. Une évacuation policière que la présidence a justifiée par « le risque de dégradations », poursuit-il. « Mais il n’y a rien eu de tout ça, tout s’est bien passé. »
Les étudiants comme les membres du personnel mobilisés accusent le président de l’UGA Yassine Lakhnech d’avoir appelé la police à intervenir sur le campus, alors qu’aucune dégradation n’avait été constatée lors de l’occupation de la MSH. © Benjamin Houry – Place Gre’net
Dès le début de l’occupation, « le président avait dit qu’il appellerait tout de suite la police », rappelle le syndicaliste enseignant. La préfecture a ensuite « temporisé jusqu’à vendredi », avec cette expulsion qui a « surpris tout le monde », ajoute-t-il. « On a eu très peur pour les étudiants », souligne Nicolas Sieffert. « Heureusement, ils sont sortis d’eux-mêmes et l’évacuation s’est passée sans violence. »
Des blocages sur le campus en guise de protestation
L’AG du personnel évoque d’ailleurs une « décision, injuste, injustifiable, autoritaire et brutale de la présidence » qui, accuse-t-elle, « met en danger les personnes mobilisées et constitue un précédent dangereux concernant l’exercice des libertés démocratiques sur notre campus ». L’intervention de la police a en tout cas entraîné de nombreuses réactions de protestation à l’UGA… Et pas uniquement sur le plan verbal.
Ce lundi 24 avril, une « matinée d’action interprofessionnelle » était ainsi organisée à l’initiative de l’AG étudiante, avec plusieurs blocages sur le campus de Saint-Martin-d’Hères. Dès 7 h 30, des manifestants ont notamment bloqué la circulation avec du matériel de chantier sur l’avenue Centrale, à hauteur de la bibliothèque universitaire, rapporte la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP).
Rassemblement devant la MSH de l’UGA à l’heure de l’intervention de la police
En parallèle, l’AG du personnel appelle à une journée de grève, jeudi 27 avril, à la fois contre la réforme des retraites et « pour protester contre l’appel aux forces de l’ordre du président de l’UGA », précise le secrétaire de la section Snesup-FSU. Dans ce cadre, un rassemblement est prévu devant la MSH « à 11 h 58, heure à laquelle la police est intervenue vendredi dernier », expliquent les représentants du personnel.
L’AG du personnel appelle à un rassemblement devant la Maison des Sciences de l’Homme, jeudi 27 avril, afin de protester contre l’évacuation policière. © Léa Raymond – Place Gre’net
Pour la CGT, « une présidence d’université qui a peur de ses étudiant.es et les réprime par l’utilisation des forces de l’ordre et de sociétés privées de vigiles est le signal inquiétant d’une université malade… Il est urgent que cela cesse », conclut le syndicat.
Contactée ce lundi 24 avril 2023, la présidence de l’Université Grenoble Alpes indique avoir envoyé un communiqué en interne aux membres du personnel de l’UGA, mais n’a « pas prévu de communication externe » à ce stade.
Polémique sur l’alarme de la MSH et les coupures électriques sur le campus
Depuis l’occupation du bâtiment de la MSH, du 19 au 21 avril 2023, et les blocages organisés sur le campus, ces lundi 24 et mardi 25 avril, des versions contradictoires s’opposent au sujet d’éventuelles actions de « vandalisme » et « dégradations » évoquées notamment par la présidence de l’UGA. Des actes fermement démentis par les étudiants bloqueurs.
Dans son mail adressé au personnel de l’UGA, le président Yassine Lakhnech estime ainsi que l’occupation de la MSH a créé « une situation menaçant la sécurité des biens et des personnes » et déplore la « désactivation du système de sécurité incendie ».
Mais l’AG étudiante conteste : « Les bâtiments et les biens ne sont pas dégradés, le directeur de la MSH, Laurent Bègue-Shankland, a pu le confirmer en visitant le bâtiment le 20 avril. » Pour le second point, les étudiants assurent que « l’alarme incendie n’a pas été déconnectée. C’est l’alarme anti-intrusion qui a été débranchée car elle a été déclenchée afin de nous faire quitter la MSH », expliquent-ils.
Une autre controverse concerne des coupures électriques et des câbles de fibre optique sectionnés, lundi 24 avril, selon la présidence de l’UGA. Là encore, l’AG étudiante réfute toute responsabilité. Mais InterAsso Grenoble Alpes, qui regroupe une bonne partie des associations étudiantes, a réagi dans un communiqué.
La fédération étudiante « réaffirme son opposition à ces actes de dérive » qui, regrette-t-elle, « décrédibilisent l’opposition à la réforme des retraites ». « Ces actions ont aussi des répercussions humaines : personnels inquiets, étudiants privés de partiels ou maintenus dans de mauvaises conditions, mise en danger d’autrui au niveau des laboratoires de chimie », ajoute-t-elle.
« De plus, le 24 avril, le restaurant universitaire Diderot, le café littéraire et le café des sciences, n’ont pas pu ouvrir et le Crous n’a pas été en capacité de restaurer l’intégralité des étudiants du campus, renforçant un accès inégal à une bonne alimentation notamment pour les étudiants les plus en difficulté », déplore par ailleurs InterAsso Grenoble Alpes.
Et cette dernière de conclure : « Nous refusons toute forme de violence, mais nous sommes convaincus que la mobilisation générale avec les syndicats reste essentielle et nous devons y prendre part. »