ENTRETIEN – Haoues Seniguer, maître de conférences en science politique à Sciences-Po Lyon, chercheur au laboratoire Triangle (UMR 5206) et spécialiste de la politisation de l’islam, était l’invité de l’Alliance citoyenne pour une conférence-débat à la Maison du tourisme de Grenoble, le 6 décembre 2021. Le thème ? « Islamisme et Frères musulmans en France : entre fantasmes et réalités ». L’occasion pour ce fin connaisseur du sujet de dépassionner le débat sur la place réelle de l’islamisme en France.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur l’islam et l’islamisme ?
Haoues Seniguer – La raison principale, c’est un évènement majeur : le 11 septembre 2001. C’est un évènement planétaire qui a sidéré nombre de gens et qui a été commis au nom de l’islam. Surtout, ces attentats venaient percuter mes deux représentations de l’islam.
D’une part, celle venant de mon héritage et mes ascendants d’origine algérienne : un islam pratiqué simplement, paisiblement et pacifiquement, comme c’était toujours le cas dans la première génération d’immigrés – et c’est encore le cas de bien des musulmanes et musulmans.
D’autre part, ces attentats, et l’idéologie mortifère qui les justifia, entraient en contradiction avec mes enseignements reçus en philosophie arabe, dispensés par Michel Fattal, à l’université Pierre-Mendès-France1Ancienne université qui a disparu avec la création de l’Université Grenoble Alpes. Ce dernier, en mobilisant les apports de grands philosophes arabes de confession chrétienne et musulmane, démontrait l’accord et la conciliation possibles entre raison et foi, théologie et philosophie.
D’où vient l’islamisme ? Dans quel contexte historique est-il né ?
Haoues Seniguer - Les origines de l’islamisme remontent à la première moitié du XXe siècle. La date fondatrice, c’est 1928, avec la naissance des Frères musulmans fondés par Hassan al-Banna, en Égypte.
Deux éléments ont conduit à cela. D’abord, l’abolition du califat ottoman par Mustapha Kemal en 1924, qui a provoqué une onde de choc importante dans le monde arabe, au nom d’une hypothétique union. Ensuite, et concomitamment, la colonisation occidentale et britannique, vécue comme une agression culturelle, politique et économique. Les Frères musulmans se sont constitués dans ce contexte anticolonial.
Néanmoins, il n’y a pas que ça. On ne peut pas se limiter à cette lecture anti-impérialiste. Hassan al-Banna réclamait en effet l’application stricte de la charia et nourrissait la volonté de soumettre les musulmans à une pratique rigoriste de l’islam avec, par ailleurs, l’idée de servir de guide pour l’humanité.
« Musulmans de France, l’ex-UOIF, a une filiation réelle avec les Frères musulmans mais cela n’explique pas tout. Ils s’en écartent en effet par bien des aspects. »
En France, l’islamisme est-il dominé par les Frères musulmans ?
Haoues Seniguer - Les premiers mouvements islamistes de France, apparus à la fin des années 1970 et au début des années 1980, étaient influencés par la pensée frériste. Mais l’origine, comme l’affirme l’historien Marc Bloch, n’est pas une explication. Je préfère, s’agissant des islamistes français, parler de néo-frérisme et néo-islamisme. L’héritage ne dit en effet pas tout de ce qu’ils sont réellement car ils sont tenus par les contraintes institutionnelles et culturelles du lieu où ils évoluent.
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