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COUV Professeur de droit présent au rassemblement en l'hommage de Samuel Paty sur la place Verdun à Grenoble, dimanche 18 octobre 2020 © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

La parole se libère chez les ensei­gnants de l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise, après l’assassinat de Samuel Paty par un ter­ro­riste islamiste

La parole se libère chez les ensei­gnants de l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise, après l’assassinat de Samuel Paty par un ter­ro­riste islamiste

TÉMOIGNAGES – Tristesse, colère, effroi, inquié­tude, ras-le-bol suite à l’as­sas­si­nat de Samuel Paty, l’un de leurs confrères, les « hus­sards de la République » de l’ag­glo­mé­ra­tion gre­no­bloise ont la parole sur Place Gre’net. Le meurtre du pro­fes­seur Samuel Paty par un inté­griste isla­miste lais­sera des traces. Mais celui-ci ne doit pas être mort en vain, pré­viennent les ensei­gnants, qui réclament tant un sur­saut col­lec­tif pour faire recu­ler l’in­té­grisme qu’un plus grand sou­tien et davan­tage de consi­dé­ra­tion de la part de leur ministère.

Rassemblement Place Verdun en l'hommage de Samuel Paty dimanche 19 octobre 2020 © Tim Buisson – Place Gre’net

Rassemblement place de Verdun en l’hom­mage de Samuel Paty dimanche 19 octobre 2020 © Tim Buisson – Place Gre’net

Ce dimanche 18 octobre, un ras­sem­ble­ment en l’hom­mage de Samuel Paty, ce pro­fes­seur assas­siné à Conflans-Sainte-Honorine par un ter­ro­riste isla­miste deux jours plus tôt, s’est tenu place de Verdun à Grenoble, où de nom­breux ensei­gnants et pro­fes­seurs étaient présents.

Place Gre’net a recueilli les pro­pos d’un cer­tain nombre d’entre eux. À la suite de cette série de témoi­gnages, la rédac­tion publie les lettres de deux d’en­sei­gnantes. Ces der­nières reviennent plus lon­gue­ment sur le malaise de la pro­fes­sion dans son ensemble. L’une pointe du doigt en par­ti­cu­lier la place enva­his­sante de parents d’é­lèves, l’autre accuse le minis­tère de l’Éducation d’a­voir aban­donné les pro­fes­seurs depuis plu­sieurs années.

« Les jeunes se font mani­pu­ler par des vidéos, ils n’ont pas d’es­prit cri­tique », déplore Myriam, pro­fes­seure de lettres et d’histoire-géographie. Les reli­gions, la laï­cité et la guerre d’Algérie sont des sujets abor­dés en cours qui sus­citent régu­liè­re­ment des réactions.

Rassemblement en hommage à Samuel Paty, professeur assassiné le 16 octobre dernier © Simon Mars

Rassemblement en hom­mage à Samuel Paty, pro­fes­seur assas­siné le 16 octobre der­nier © Simon Mars

« Il a été très cou­ra­geux ce pro­fes­seur. Il a fait son bou­lot jusqu’au bout. A‑t-il été sou­tenu par l’administration ? Car oui, on a tou­jours peur de ne pas être sou­tenu par la hié­rar­chie en cas de conflit.

Au retour des vacances de la Toussaint, on va tout de suite par­ler de laï­cité avec les élèves, c’est obligé. Le pro­blème avec la reli­gion, c’est que c’est au quotidien.

Dans notre pro­gramme d’histoire, on aborde les reli­gions, la guerre d’Algérie, la laï­cité… À chaque fois, on fait très atten­tion à ce qu’on dit et com­ment on dit les choses. La semaine der­nière, j’ai pré­senté un texte sur l’Iran. J’ai affi­ché sur la carte, les Sunnites et les Chiites. Le fait de mettre « Sunnites » au tableau a créé un tollé, parce que les filles – j’ai beau­coup de filles dans ma classe – m’ont dit « c’est pas pos­sible, il n’y a qu’un seul Islam ».

Je leur ai pro­posé d’en par­ler avec leurs parents et elles l’ont admis. On ne peut pas ne pas en par­ler, il faut ame­ner des élé­ments de réflexion. Les gamines me montrent régu­liè­re­ment des vidéos abo­mi­nables, où l’on parle de meurtres de musul­mans. Elles ne se rendent pas compte qu’elles se font mani­pu­ler et que l’esprit cri­tique, elles n’en ont pas. »

« On a fermé les yeux depuis 30 ans. Et on paye cher main­te­nant » dénonce Colette,

mili­tante asso­cia­tive, pro­fes­seure retrai­tée qui a ensei­gné au col­lège les lettres et les arts plas­tiques. Après avoir tra­vaillé à Marseille dans les quar­tiers Nord, elle est arri­vée à Grenoble dans le col­lège privé du Rondeau Fleury, à Corenc.

Colette, professeure retraitée présente au rassemblement en mémoire à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Colette, pro­fes­seure retrai­tée pré­sente au ras­sem­ble­ment en mémoire à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« Samuel Paty avait des sou­cis, on le savait. Il y avait long­temps qu’il avait des sou­cis dans ce col­lège, c’était gan­gréné. On a laissé des parents d’élèves prendre la main. C’est déjà un pro­blème qu’il ait eu le besoin de deman­der aux élèves musul­mans de sor­tir. On a fermé les yeux depuis trente ans. Et on paye cher main­te­nant. Tout nous saute à la figure.

Ils ont com­mencé à s’en prendre à la liberté de la presse avec Charlie Hebdo. Après ça a été le loi­sir, avec le Bataclan, puis les catho­liques avec le curé dans sa messe. Après encore, ils s’en sont pris à un chef d’entreprise, et main­te­nant c’est à un ensei­gnant qu’ils assassinent…

Il faut qu’on se resais­sisse tous et qu’on ne tolère plus ce genre de choses. Quand il y a un pro­blème, qu’on le mette tout de suite sur la place publique et qu’on essaye de le résoudre. Il faut ten­ter de répa­rer ce qui n’a pas été fait, fil­trer au maxi­mum les extré­mistes, sans stig­ma­ti­ser les musul­mans, les immi­grés, etc. Dans les quar­tiers, il faut deman­der comme le fait le maire de Grenoble davan­tage de poli­ciers. Monsieur Sarkozy s’est per­mis d’en sup­pri­mer 12 000. Il faut arrê­ter de faire la poli­tique de l’autruche. »

« Il faut lut­ter contre le déve­lop­pe­ment des idéo­lo­gies vio­lentes », exhorte Nicolas, jeune bio­lo­giste en post-doc à Grenoble. Il a ensei­gné la bio­lo­gie évo­lu­tive en tant qu’at­ta­ché tem­po­raire d’en­sei­gne­ment et de recherche à la fac de Nice et de Metz.

Biologiste en post-doc Mathieu est venu avec sa pancarte au rassemblement en mémoire à Samuel Paty © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Biologiste en post-doc Mathieu est venu avec sa pan­carte au ras­sem­ble­ment en mémoire à Samuel Paty © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« J’ai déjà été per­son­nel­le­ment confronté à des croyants qui ont été gênés par le prin­cipe de la sélec­tion natu­relle. Je suis athée. Pour la laï­cité, les gens ont le droit de croire à ce qu’ils veulent. Mais on voit que le débat est sou­vent dif­fi­cile à instaurer.

Par rap­port à l’acte de bar­ba­rie contre Samuel Paty, je ne sais pas com­ment évi­ter cela, c’est un com­bat éter­nel et sans fin. Le pro­blème, c’est actuel­le­ment l’Islam agres­sif, mais il ne date pas d’aujourd’hui. Il est plus pro­fond. Toutes les reli­gions y com­pris les Bouddhistes ont dérapé au cours de l’Histoire en terme de vio­lence, c’est quasi inhé­rent à la reli­gion. Tôt ou tard, des per­sonnes vont avoir une lec­ture radi­cale des textes et appe­ler à la violence…

Mettre un poli­cier dans chaque salle de classe ne résou­dra rien. Il faut lut­ter contre le déve­lop­pe­ment des idéo­lo­gies vio­lentes, d’une façon géné­rale et au sein des reli­gions. On consi­dère que l’État n’a pas le droit de regard mais il devrait l’avoir vis-à-vis de ces appels à la violence… »

« On meurt d’enseigner » résume avec tris­tesse Emmanuel Carroz, direc­teur et ins­ti­tu­teur dans une école mater­nelle et adjoint Mémoire, migra­tions et coopé­ra­tions inter­na­tio­nales à la Ville de Grenoble.

Emmanuel Carroz, enseignant et adjoint à la Ville de Grenoble, présent au rassemblement en hommage à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020 © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Emmanuel Carroz, ensei­gnant et adjoint à la Ville de Grenoble, pré­sent au ras­sem­ble­ment en hom­mage à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« J’ai pris la nou­velle dans la figure. Ça me choque en tant que citoyen, en tant qu’élu, en tant qu’enseignant… On meurt d’enseigner. J’ai vrai­ment du mal à pas­ser au-des­sus de cette colère qui casse toutes mes valeurs. Après, on conti­nuera à ensei­gner, c’est vrai, avec une cer­taine appré­hen­sion qui exis­tait déjà…

La mater­nelle est une école très ouverte et elle conti­nuera à l’être. On voit tous les jours les parents. C’est sûr que la ren­trée après les vacances sera très par­ti­cu­lière. De même que, depuis Charlie, on a des pro­to­coles d’accueil très spé­ci­fique. Les enfants ont droit à des exer­cices en cas d’intrusion. On en est là… Mais il n’est pas pos­sible d’avoir peur d’aller à l’école. Il faut aussi qu’on soit aidés, accom­pa­gnés et for­més. La réa­lité est aussi que le gou­ver­ne­ment doit prendre en compte le mal-être ensei­gnant qui existe déjà et qui vient encore d’augmenter »

« On craint de se retrou­ver encore seuls », déclare Jennifer, 37 ans, pro­fes­seure dans un col­lège en Arts plas­tiques en ban­lieue pari­sienne, de pas­sage à Grenoble.

Jennifer, professeur dans un collège de banlieue parisienne. Elle était au rassemblement, place Verdun, à Grenoble, en hommage à Samuel Paty, ce dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Jennifer, pro­fes­seur dans un col­lège de ban­lieue pari­sienne. Elle était au ras­sem­ble­ment, place Verdun, à Grenoble, en hom­mage à Samuel Paty, ce dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« On se disait avec les col­lègues qu’on était contents d’avoir les vacances pour pou­voir envi­sa­ger les choses. Je ne suis pas sûre d’avoir confiance dans notre ministre de l’Éducation. On craint de se retrou­ver encore seuls, comme ça a été le cas pour les attentes de Charlie Hebdo, puis la tue­rie du Bataclan… Sur Charlie Hebdo, on savait qu’on n’avait perdu la bataille avec les caricatures.

On essaye de tra­vailler avec le temps qu’on a, l’administration qu’on a, car ce n’est pas tou­jours bien­veillant ni en sou­tien sur le fond et sur la forme. J’imagine qu’on va avoir une petite mis­sion péda­go­gique dans les classes, mais je doute que cela change grand-chose… On fait déjà ce tra­vail, comme on peut, mais il nous fau­drait plus de temps.

Dans ma matière, j’ai tou­jours pu dia­lo­guer. Je n’ai jamais eu de plaintes. Je suis dans un quar­tier défa­vo­risé mais les parents nous font confiance. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de ques­tions liées aux croyances. Par exemple, cer­tains ques­tionnent l’existence des dino­saures quand j’aborde l’art parié­tal par exemple. Il n’y a pas un rap­port de vio­lence avec le pro­fes­seur. Il faut lais­ser par­ler, accueillir la réponse et dis­cu­ter autant que c’est possible. »

« On n’est assez désar­més dans notre for­ma­tion de pro­fes­seur », constate Imara qui veut deve­nir ensei­gnante. Elle passe son Capes d’histoire géo­gra­phie en mars pro­chain. Choquée par le meurtre de Samuel Paty, elle ne veut pas céder à la peur.

Imara veut devenir professeure, elle a tenu à venir au rassemblement sur la place de Verdun en mémoire de Samuel Paty, dimanche 18 octobre © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Imara veut deve­nir pro­fes­seure. Elle a tenu à venir au ras­sem­ble­ment sur la place de Verdun en mémoire de Samuel Paty, dimanche 18 octobre © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« Nous sommes plu­sieurs futures ensei­gnants à être venus car c’est hyper sym­bo­lique d’être ici. Ça a été un choc de voir que ce métier peut être un métier dan­ge­reux. Mais on ne veut pas céder à la panique. Présenter les cari­ca­tures de Mahomet me semblent un bon moyen d’aborder la Liberté d’expression. Je sais que plu­sieurs ensei­gnants le font. Il faut conti­nuer à le faire.

Notre rôle est d’aborder les ques­tions polé­miques et lais­ser les élèves s’exprimer, en pre­nant du recul. L’école doit être un espace de par­tage et de tolé­rance, qui per­met aux jeunes de se construire une pen­sée cri­tique. Après, [concer­nant] la ges­tion de situa­tions concrètes, en direct, il faut recon­naître on n’est assez désar­més dans notre for­ma­tion de pro­fes­seur, et ça nous désole un peu. »

« Le mot d’ordre, on le connaît bien, c’est « pas de vague » », dénoncent deux pro­fes­seurs d’un lycée à Vizille, très remon­tés contre le ministre Blanquer et le manque de sou­tien de la part des élus locaux aux professeurs.

Sur la place Verdun, lors du rassemblement en l'honneur de Samuel Party, des professeurs veulent préserver leur anonymat dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Sur la place Verdun, lors du ras­sem­ble­ment en l’hon­neur de Samuel Paty, des pro­fes­seurs veulent pré­ser­ver leur ano­ny­mat dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« J’ai trouvé ici à Grenoble qu’il y avait peu de réac­tion du côté des élus. Il y a peu de monde aujourd’­hui et aucun dis­cours d’élus n’a été pro­noncé. Je trouve aussi cho­quant que l’administration n’ait pas sou­tenu ce pro­fes­seur, comme d’habitude. Le mot d’ordre, on le connaît bien, c’est « pas de vague ».

Il n’a pas eu de pro­tec­tion poli­cière alors que cet acte bar­bare n’est pas arrivé sou­dai­ne­ment ven­dredi. Ça a com­mencé plu­sieurs jours avant, pen­dant les­quels ce pro­fes­seur a beau­coup souf­fert mora­le­ment parce qu’il a été har­celé. Il se sen­tait menacé. Qu’a fait le rec­to­rat, qu’a fait le ministère ? […]

On est tous très meur­tris mais le ministre de l’Éducation a beau jeu de défendre la liberté d’expression. Dans un autre contexte, il ne la défend pas beau­coup. Quand Christine Renon s’est sui­ci­dée, l’année der­nière, parce qu’elle était en sur­charge de tra­vail, il a fallu une semaine pour que le ministre en parle. Ensuite, il n’y a pas eu d’hommage.

Pourquoi ? Parce que l’Éducation natio­nale était mise en cause par la lettre qu’elle a écrite. La liberté d’expression, on ne vou­drait pas que le minis­tère oublie que cela s’applique aussi pour les ensei­gnants. Trop sou­vent le minis­tère sanc­tionne aussi les ensei­gnants dès qu’ils usent de leur liberté d’expression en fai­sant grève. »

« Les choses peuvent vite mon­ter en épingle », alerte Annabelle, pro­fes­seure d’histoire géo­gra­phie au lycée Marie-Curie à Échirolles. Il est donc néces­saire de for­mer les ensei­gnants pour répondre aux argu­ments des jeunes.

Annabelle, professeure d'Histoire Géo au lycée d'Echirolles, rassemblement en mémoire à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Annabelle, pro­fes­seure d’Histoire Géo dans un lycée d’Echirolles, ras­sem­ble­ment en mémoire à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« C’est quelque chose de bou­le­ver­sant. Les mots manquent… Après, il ne faut pas bais­ser les bras. J’enseigne aussi la liberté d’expression. J’ai déjà mon­tré ces cari­ca­tures à des élèves, en les pré­pa­rant bien sûr. C’est-à-dire qu’il faut avoir une cer­taine rela­tion de confiance avec les jeunes car beau­coup sont aujourd’hui dans la défiance vis-à-vis de l’institution scolaire.

Par exemple, quand il y a eu les atten­tats de Charlie, on sait les réac­tions qu’il y a eu. Certains disaient « ils l’ont cher­ché », d’autres « oui mais Dieudonné, on l’empêche de par­ler ». La veille, j’avais pré­paré tous mes argu­ments pour y répondre, et il faut tout réex­pli­quer et remettre dans le contexte. Il faut connaître la loi…

Ma for­ma­tion m’a per­mis de le faire, mais j’ai aussi des col­lègues qui se sont pris la réac­tion des élèves dans la figure. Il y a aussi un défaut de for­ma­tion de la part de notre tutelle. On est tous sus­cep­tibles de répondre à des inter­pré­ta­tions d’é­lèves qui nous sur­prennent. Il y a aussi des col­lègues qui com­mettent des mal­adresses. Je sais aussi que dans les col­lèges, les jeunes sont encore plus dans la défiance. Et ils prennent beau­coup les choses sur le plan affec­tif et montent les choses en épingle, relaient aux familles qui ont ten­dance à croire davan­tage leur enfant que les enseignants… »

« Non, les profs ne sont pas des héros, et l’État doit les aider ». Tel est le mes­sage de Pascal Clouaire, pro­fes­seur à Sciences poli­tiques Grenoble, conseiller muni­ci­pal à la Ville de Grenoble, ainsi que vice-pré­sident à la par­ti­ci­pa­tion citoyenne à la Métropole de Grenoble.

Pascal Clouaire, professeur à Sciences Politiques, élu à la Ville de Grenoble, vice-président à Grenoble-Alpes-Métropole, lors du rassemblement en hommage de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Pascal Clouaire, pro­fes­seur à Sciences Politiques, élu à la Ville de Grenoble, vice-pré­sident à Grenoble-Alpes-Métropole, lors du ras­sem­ble­ment en hom­mage de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« Nous sommes tous là, ici sur cette place de Verdun, pour dire tout notre effroi et notre soli­da­rité envers ce pro­fes­seur qui n’a fait que son métier, qui l’a bien fait et s’est mal­heu­reu­se­ment trouvé pris dans une ava­lanche de haine infernale…

Nous sommes ici pour lan­cer un signal fort pour non seule­ment dire « plus jamais cela », mais mettre des actes concrets pour les choses bougent et changent… Les pro­fes­seurs doivent faire leur métier comme ils peuvent le faire. On ne peut deman­der à des per­sonnes de s’élever au rang de héros de la République. Il faut qu’ils fassent leur métier et que les auto­ri­tés ins­ti­tu­tion­nelles et admi­nis­tra­tives les aident et les accom­pa­gner à faire leur métier. »

« En cas d’at­teinte pour leur sécu­rité, les pro­fes­seurs ont droit à la pro­tec­tion de l’État », rap­pelle Serge Slama, pro­fes­seur à la faculté de droit à Grenoble, spé­cia­lisé dans les droits de l’Homme.

Pancarte de Samuel Smala, professeur à la faculté de Droit à Grenoble, présent sur la place verdun lors du rassemblement en hommage à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Pancarte de Serge Slama, pro­fes­seur à la faculté de Droit à Grenoble, pré­sent sur la place Verdun lors du ras­sem­ble­ment en hom­mage à Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« On a l’impression que ça pour­rait arri­ver à n’importe quel ensei­gnant. Ce pro­fes­seur a fait son tra­vail d’enseignant du public, dans un cadre répu­bli­cain. Il a essayé d’apprendre à ses élèves à faire preuve d’esprit cri­tique et à mettre une dis­tance par rap­port à la reli­gion… Et il s’est retrouvé assas­siné, la tête coupée.

Il se trouve qu’il a le même âge que moi et pro­ba­ble­ment le même type d’idées pro­gres­sistes, favo­rable aux droits de l’homme et à l’intégration des étran­gers. Je ne connais pas tous les élé­ments de l’enquête, mais si son nom a été effec­ti­ve­ment cité sur les réseaux sociaux, il aurait dû être placé sous pro­tec­tion. On y a droit comme enseignant…

Quant aux per­sonnes qui ont publié des choses sur les réseaux et dans ce cadre-là, elles auraient dû être inter­pel­lées s’il y avait des délits de haine carac­té­ri­sés. La contre­par­tie d’avoir la liberté d’expression, c’est aussi qu’on soit pro­té­gés par l’État. Parce que, là, ici il y a quelque chose qui dys­fonc­tionne, quand un jeune réfu­gié en France com­met un tel acte et que la République n’a pas pu empê­cher ça. »

« La pré­sence insi­dieuse des reli­gions autour de l’é­cole », insup­porte Michel, pro­fes­seur de phy­sique à l’université

La pancarte de Michel, professeur d'université de Physique venu au rassemblement en hommage de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

La pan­carte de Michel, pro­fes­seur de Physique à l’Université venu au ras­sem­ble­ment en hom­mage de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« Je trouve cho­quant qu’on ne puisse pas ins­truire nos enfants libre­ment. C’est l’évolution de la société qui me faire peur. Je trouve cho­quant la pré­sence des reli­gions au plu­riel à proxi­mité de nos écoles et cette pres­sion insi­dieuse qui s’installe me révolte.

J’ai repro­duit sur cette pan­carte cette strophe d’une bal­lade du chan­teur Renaud car elle a été cen­su­rée, il y a deux ans, par les ensei­gnants de ma fille au col­lège. J’ai voulu com­prendre. Ils m’ont dit qu’ils pré­fé­raient évi­ter le sujet, alors même que dans cette strophe on parle de reli­gions qui, aujourd’hui, ne se tapent pas le plus dessus…

C’était à mon avis, jus­te­ment, l’occasion idéale d’aborder ce sujet, de par­ler de l’ab­sur­dité de ces gens qui s’entretuent pour des textes sacrés qui annoncent que la terre est née il y a 8000 ans d’une étin­celle… On est tous là pour dire qu’on a peur, mais ce que je disais à ma fille, c’est que c’est main­te­nant qu’il faut se tenir debout, qu’il faut mon­trer qu’on est courageux ».

« J’espère que la hié­rar­chie va davan­tage nous sou­te­nir à l’a­ve­nir » suite au meurtre de Samuel Paty, espère Éric, ensei­gnant en CE1-CE2 dans une école de l’agglomération.

Eric enseigne en CE1 CE2 et Michel est professeur à l'université en Physique, lors rassemblement en mémoire de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Eric enseigne en CE1-CE2 et Michel, pro­fes­seur à l’Université en Physique, lors ras­sem­ble­ment en mémoire de Samuel Paty, dimanche 18 octobre 2020. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

« J’ai déjà croisé des réti­cences de parents quand on parle de l’évolution, de la sexua­lité. C’est tou­jours sen­sible… On prend beau­coup de pin­cettes pour jus­te­ment évi­ter après d’avoir à se jus­ti­fier car on n’est pas cou­verts par l’administration. On va nous dire qu’il faut être plus pru­dents, qu’on a mal abordé le sujet.

J’espère qu’il y aura des mesures ras­su­rantes après ce drame et que les supé­rieurs seront plus à même de sou­te­nir les pro­fes­seurs qui auront des retours de parents néga­tifs… Pour les ins­pec­teurs, à par­tir du moment où ils entendent par­ler d’un ensei­gnant, c’est pas bon, il est en cause. »

« On garan­tira la paix dans les éta­blis­se­ments en s’as­su­rant qu’il y ait du dia­logue », consi­dère Lucille Lheureux, ensei­gnante en his­toire-géo­gra­phie au col­lège Aimé-Césaire dans le quar­tier Mistral à Grenoble et adjointe aux Cultures à la Ville de Grenoble. L’adjointe n’é­tait pas pré­sente au ras­sem­ble­ment ce dimanche. La rédac­tion a recueilli son témoi­gnage ce lundi.

Lucille Lheureux, adjointe en charge des Cultures à la Ville de Grenoble. © Tim Buisson - Place Gre'net

Lucille Lheureux, adjointe en charge des Cultures à la Ville de Grenoble. © Tim Buisson – Place Gre’net

« Évidemment, on s’i­den­ti­fie à ce drame. On se dit cela aurait pu nous arri­ver. Ce qui est remis en cause, c’est le cœur de nos mis­sions, qui est de for­mer des citoyens à la pen­sée cri­tique. C’est notre rôle que d’ap­prendre aux enfants à lire la presse, à com­prendre ce qu’est un débat, à per­ce­voir les points de vue à tra­vers ceux qui s’expriment.

Je n’ai pas repris le che­min de l’é­cole en sep­tembre. Mes enfants sont en bas âge. J’ai fait le choix de mettre mon métier entre paren­thèses pen­dant quelques mois. Mais je me suis posé la ques­tion : si j’a­vais des classes, en ce moment, com­ment je réagi­rais ? La réponse est que, oui, je conti­nue­rais à pré­sen­ter ces cari­ca­tures pour réali­men­ter le débat et pour tra­vailler sur ce qu’il y a der­rière. Je le ferais évi­dem­ment avec un petit pin­ce­ment au cœur, une sueur dans le dos, mais c’est notre mission…

Aujourd’hui, on vit dans un monde radi­ca­lisé de tous côtés. Enseigner par exemple en 5e l’ap­pa­ri­tion des reli­gions dans leur contexte his­to­rique, c’est lut­ter contre les fana­tismes, c’est remettre les choses à leur place. Cet assas­si­nat ter­rible rap­pelle aussi que, dans notre société, les ensei­gnants sont depuis un moment mépri­sés. Il y a d’ailleurs une crise des voca­tions. Quand on déva­lo­rise les ensei­gnants et l’ins­truc­tion publique, on déva­lo­rise la parole des ensei­gnants face aux enfants, et donc néces­sai­re­ment quand on a un extré­misme en face, les familles ont plus de mal à se posi­tion­ner der­rière les enseignants…

On garan­tira la paix dans les éta­blis­se­ments, non pas en met­tant des poli­ciers mais en assu­rant que dans les éta­blis­se­ments il y a du dia­logue, de la ren­contre, du pro­jet, que les ensei­gnants ont du temps pour construire des pro­jets inter­dis­ci­pli­naires avec les asso­cia­tions. Ça veut dire que les enfants ont un accom­pa­gne­ment cohé­rent avec, en dehors de l’é­cole, du col­lège, une mai­son de quar­tier qui les connaît…»

« Nous nous cen­su­rons constam­ment, nous mar­chons sur des œufs » confie cette ensei­gnante en lettres de 42 ans, dans une mis­sive qu’elle a trans­mise à Place Gre’net. Cette pro­fes­seur a com­mencé sa car­rière en 2001 et exerce depuis dix ans dans un collège.

« J’enseigne depuis 2001. Je suis un vieux prof et j’ai­mais mon métier. Pour être prof, il faut la pas­sion et la voca­tion. Pour moi, la flamme est éteinte. Je ne sais plus vrai­ment quand les choses ont mal tourné. Peut-être quand on a voulu dégrais­ser le mam­mouth. Alors on a passé plus de temps à faire des papiers, des bilans, qu’à enseigner.

Il faut éle­ver le débat et vite. Quand, sur une grande chaîne, le débat était, il y a quinze jours « être prof et tatoué est-ce répu­bli­cain ? », il y a vrai­ment de quoi faire des bonds ! L’Éducation natio­nale va mal et ce n’est pas une nou­veauté. Les réseaux ont juste ampli­fié le phé­no­mène, tout comme les parents qui encombrent de plaintes les bureaux de police. Je ne veux pas le pro­cès de l’Islam. On est à l’é­cole de la République.

Un manifestant brandit sa pancarte en hommage à Samuel Paty, professeur assassiné le 16 octobre dernier © Simon Marseille – Place Gre’net

Un mani­fes­tant bran­dit sa pan­carte en hom­mage à Samuel Paty, pro­fes­seur assas­siné le 16 octobre der­nier © Simon Marseille – Place Gre’net

La reli­gion n’a rien à faire à l’é­cole et c’est bien, là, un des drames.

Il est urgent d’é­loi­gner les parents et les parents d’é­lèves de l’é­cole. Ils nous nuisent clai­re­ment. Notre col­lègue a été mis au ban et cela lui a coûté la vie. Les parents se sentent inves­tis d’une mis­sion. Celle de faire cours à notre place. Ils connaissent mieux les pro­grammes et nous le font savoir. Ironie.

On assiste a des cour­riers assas­sins. Nous sommes dan­ge­reux. On punit. On ose mettre des heures de colle, diantre ! On a baissé une note. Que ces parents nous laissent tran­quilles ! On enseigne. On forme des citoyens. Qu’ils s’oc­cupent de leurs enfants ! On s« occupe, nous, d’élèves.

Je ne veux plus entendre : « Mettez un point de plus », « Mon enfant ne fera pas son heure de colle », « Mon enfant ne lira pas votre livre sur la Shoah, c’est trop violent. Je ne sou­haite pas qu’il ait connais­sance de cela », « Mon enfant fera son stage d’ob­ser­va­tion où bon lui semble ». « Sur Harry Potter… Nous allons prier pour votre âme », « Le spec­tacle vu à la Mc2 était dégoû­tant, jus­ti­fiez-vous ! », « L’écrivain que vous ren­con­trez avec nos enfants (qui a vendu des mil­lions d’ou­vrages) est dan­ge­reux, justifiez-vous ! »

La liste serait bien longue. Elle a, dans mon cas, eu rai­son de l’a­mour que je por­tais à mon métier. Pour ce qui est de l’obs­cu­ran­tisme et du radi­ca­lisme, il est à ban­nir tout bon­ne­ment. Nous nous cen­su­rons, c’est un fait.

Une manifestante exhibe le numéro de Charlie Hebdo sorti début septembre © Simon Marseille – Place Gre’net

Une mani­fes­tante exhibe le numéro de Charlie Hebdo sorti début sep­tembre © Simon Marseille – Place Gre’net

Après 2015, nous sommes fort peu à évo­quer le sujet qui a coûté la vie à notre col­lègue. C’est hasar­deux et cela fait beau­coup de remous fati­gants et inutiles… Je n’ai plus la force. J’admire encore Samuel pour cela.

On parle peu des écoles pri­vées sous contrats. Nous, ensei­gnants, savons que l’Éducation natio­nale devrait s’en sou­cier et vite. Il y a urgence.

Parfois, nous avons des enfants qui nous tiennent de drôle de pro­pos. Chacun se réclame aujourd’­hui de sa mino­rité. C’est bien là le pro­blème. Ce n’est pas l’é­cole de la République. Nous nous cen­su­rons constam­ment. Nous mar­chons sur des œufs au quo­ti­dien dans nos classes. Les ados qui rentrent le soir déforment. Rapportent des paroles qui conduisent les pro­fes­seurs à des jus­ti­fi­ca­tions sans fins devant leur supé­rieurs, les parents (tou­jours).

Cela a conduit cette fois à une mort abjecte. Mais, avant, à com­bien de dépres­sions et de sui­cides ? La hié­rar­chie fait comme elle peut et comme elle veut. Parfois, elle vous sou­tient. Parfois pas. Il ne faut pas décla­rer trop d inci­dents. Il faut res­tau­rer l’i­mage du pro­fes­seur comme celle d’autres fonc­tion­naires. Il faut se sépa­rer des parents. Il faut lut­ter contre toute forme d’ex­tré­misme et d’obs­cu­ran­tisme. Et, sur­tout, il faut avoir foi en les ensei­gnants car il faut aimer ce métier pour le faire encore en 2020. Nous sommes beau­coup d’an­ciens profs à vou­loir quit­ter le métier. Paix à notre col­lègue, en espé­rant que ce sacri­fice ne res­tera pas lettre morte. »

« JM Blanquer n’a jamais défendu la dignité des ensei­gnants, il a fait le contraire », fus­tige cette ensei­gnante d’his­toire-géo­gra­phie. Cette der­nière nous a trans­mis une longue lettre décri­vant le malaise enseignant.

« Je suis pro­fes­seure d’his­toire-géo­gra­phie. Comme bon nombre de Français, j’ai été cho­quée par l’as­sas­si­nat d’un de mes col­lègues. Cet acte odieux ne devrait pas avoir lieu en République. Mais ce qui est odieux, aussi, c’est le dis­cours tenu par les diri­geants de cette même « République ». Ces diri­geants qui, tous les jours, assomment les ensei­gnants d’une charge de tra­vail déme­su­rée, les menacent s’ils pro­testent, les traitent de « radi­ca­li­sés » quand ils s’in­surgent contre des réformes mortifères.

À l’heure actuelle, quatre col­lègues de l’a­ca­dé­mie de Poitiers, du lycée de Melle, sont sus­pen­dus admi­nis­tra­ti­ve­ment (pas d’in­ter­ven­tion du judi­ciaire) depuis des mois pour avoir fait valoir leur droit de grève contre les nou­velles épreuves de bac. Voilà une drôle de manière pour le ministre de l’Éducation natio­nale de défendre la liberté d’expression.

Qui se sou­vient de Christine Renon, direc­trice d’é­cole qui s’est sui­ci­dée l’an­née der­nière ? [Celle-ci] incri­mi­nait dans sa lettre d’a­dieu l’ins­ti­tu­tion qui l’emplo[yait] et qui, à force de la pres­su­rer et de faire repo­ser sur ses épaules une charge de tra­vail telle, l’a conduite à n’a­voir comme seule solu­tion pour s’y sous­traire : échap­per à la vie.

Se sou­vient-on de ces profs de lycée qui avaient fait valoir leur droit de grève en juillet 2019, en refu­sant de ren­trer dans l’or­di­na­teur les notes des copies de bac qu’ils avaient cor­ri­gées ? Cette grève visait à faire savoir à tout le monde que la réforme du bac mise au point par J‑M Blanquer met­tait l’é­cole et leur métier en dan­ger. J.-M. Blanquer n’a­vait eu d’autres réponses que la menace de sanc­tions à l’en­contre d’en­sei­gnants qui avaient sim­ple­ment exercé leur droit de grève et leur liberté d’expression.

Rentrée des classes, mardi 1er septembre 2020, sous le signe du covid-19, école Malherbe à Grenoble. © Séverine Cattiaux - Place Gre'net

Rentrée des classes, mardi 1er sep­tembre 2020, sous le signe du covid-19, école Malherbe à Grenoble. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Ces mêmes « ser­vi­teurs de la République » dont le ministre de l’Éducation natio­nale parle aujourd’­hui… Ils les avaient trai­tés de cri­mi­nels à ce moment-là.

Depuis la ren­trée, les pro­fes­seurs et les per­son­nels de l’Éducation natio­nale dans leur ensemble font face à la quasi-absence de pro­to­cole sani­taire ; à des classes sur­char­gées, à la ges­tion du pré­sen­tiel et du dis­tan­ciel (il y a beau­coup d’é­lèves absents à cause du virus); à de nou­veaux pro­grammes infi­nis que les élèves ne peuvent assi­mi­ler ; à des épreuves de bac qui vont com­men­cer au mois de jan­vier pro­chain, et pour les­quelles les ensei­gnants n’ont pas le temps de for­mer leurs élèves ; à une masse de tra­vail déme­su­rée ; à une pres­sion de la part de l’ins­ti­tu­tion, des élèves (angois­sés par l’a­ve­nir), de parents (angois­sés par l’a­ve­nir de leurs enfants).

Rassemblement en hommage à Samuel Paty

Rassemblement en hom­mage à Samuel Paty le 19 octobre 2020

Et quand les ensei­gnants ont le mal­heur de dire que tout cela conduit l’é­cole à sa perte, qu’ils n’ont pas le temps de for­mer des élèves, des citoyens, qu’à la place de cela ils font de l’a­bat­tage, comme le pré­voit « l’é­cole de la confiance », expres­sion inven­tée par JM Blanquer des­ti­née à mas­quer la réa­lité de « l’é­cole de la défiance ».

Au quo­ti­dien, chaque ensei­gnant est pris dans un tour­billon d’in­jonc­tions contra­dic­toires, en étau entre le dis­cours ins­ti­tu­tion­nel (tech­no­cra­tique et auto­ri­taire) et la réa­lité du ter­rain. Et quand les pro­fes­seurs pro­testent, la seule réponse qu’ils trouvent chez cette République qui les emploie, ce sont des menaces (rete­nues sur salaire, pro­cé­dure pour faute pro­fes­sion­nelle, sus­pen­sion admi­nis­tra­tive…) : un tour­nant répres­sif a été pris, la liberté d’ex­pres­sion se trans­for­mant en coquille vide.

Alors, oui, les crimes comme celui qui a eu lieu [ven­dredi] sont à punir fer­me­ment. Mais les ter­ro­ristes du quo­ti­dien, les gens les plus dan­ge­reux pour l’é­cole et la liberté d’ex­pres­sion, sont ceux-là mêmes qui les portent aux nues aujourd’­hui, le temps de la média­ti­sa­tion de cet attentat.

Rassemblement des enseignants en grève lundi 24 juin devant le rectorat de Grenoble. © Nina Soudre - Placegrenet.fr

Rassemblement des ensei­gnants en grève lundi 24 juin devant le rec­to­rat de Grenoble. © Nina Soudre – Placegrenet​.fr

Ce sont eux qui, pierre par pierre, détruisent cette école répu­bli­caine qu’ils feignent d’ap­pe­ler de leur vœux : en sup­pri­mant des postes d’en­sei­gnant ; en met­tant en concur­rence les dis­ci­plines, les éta­blis­se­ments, les élèves, en façon­nant des pro­grammes, des épreuves, des rythmes sco­laires impos­sibles à tenir ; en fai­sant de l’é­cole un lieu exclu­si­ve­ment des­tiné à l’é­va­lua­tion et à la sélec­tion des élèves plu­tôt qu’un lieu de la for­ma­tion et de l’é­man­ci­pa­tion ; en lais­sant des ensei­gnants s’en­fon­cer dans la détresse des quar­tiers dits « sensibles ».…

Que fait le minis­tère de l’Éducation natio­nale pour pro­mou­voir la dignité des ensei­gnants, pour signi­fier qu’ils sont des agents du ser­vice public à qui tout un cha­cun doit le res­pect ? Que ces gens ont une mis­sion d’in­té­rêt géné­ral et qu’ils ne comptent ni leur temps ni leur argent pour la rem­plir ? Et qu’au nom de cela, ils doivent être trai­tés correctement ?

J‑M Blanquer n’a jamais défendu la dignité des ensei­gnants, il a fait le contraire. En fra­gi­li­sant le sta­tut des ensei­gnants, JM Blanquer donne le signal que l’on peut s’en prendre impu­né­ment à eux. En lais­sant l’image d’enseignants fai­néants-nan­tis pros­pé­rer dans l’opinion publique et dans les médias, J‑M Blanquer ne contri­bue-t-il pas à rendre les pro­fes­seurs vul­né­rables ? Ne contri­bue-t-il pas à livrer ces fameux « ser­vi­teurs de la République » en pâture à des gens gagnés par le fana­tisme et l’irrationnel ?

Cérémonie de pavoisement à Grenoble, la devise de la République Française, "Liberté, Egalité, Fraternité" a été apposée sur le fronton de l'école primaire de la Bajatière mai 2018 © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Cérémonie de pavoi­se­ment à Grenoble, la devise de la République Française, « Liberté, Egalité, Fraternité » a été appo­sée sur le fron­ton de l’é­cole pri­maire de la Bajatière mai 2018 © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

En les main­te­nant dans une soli­tude face aux pro­blèmes sociaux qu’ils sont char­gés de résoudre, en en fai­sant des rem­parts contre tous les obs­cu­ran­tismes, contre toutes les théo­ries du com­plot ; en leur deman­dant d’être les garants de l’ordre moral, du res­pect des biens, des per­sonnes, des ins­ti­tu­tions, alors que tout ce qui se passe en dehors de l’école est à l’opposé des valeurs répu­bli­caines que les ensei­gnants ont pour mis­sion de pro­mou­voir ; quand un pré­sident parle de ceux qui « sont tout » et de « ceux qui ne sont rien », alors qu’il est écrit au fron­ton des écoles « Liberté, Égalité, Fraternité », quand les dis­cours pro­fes­sés à l’école res­tent de vaines paroles car la réa­lité de notre monde démontre le contraire… on est en droit d’interroger la res­pon­sa­bi­lité de nos dirigeants.

Les lignes de frac­ture de cette République « une et indi­vi­sible », c’est à l’é­cole qu’elles sont des­si­nées. Et Emmanuel Macron pourra dire le contraire, ses pro­pos ne sont pas per­for­ma­tifs, le réel a tou­jours rai­son sur les dis­cours. Contrairement à ce que dit le pré­sident, nous sommes divi­sés, en fonc­tion de nos classes sociales, en fonc­tion de notre cou­leur de peau… Et la République ne fait rien pour réduire ces inéga­li­tés qui se trans­forment en divi­sions irréductibles.

L’école a perdu son âme, sa voca­tion, son carac­tère sacré. Mais cela, ce n’est pas le crime des ter­ro­ristes. C’est le crime de ceux qui, à la tête de l’État, dénoncent les ter­ro­ristes. J’espère que cette réa­lité-là du métier d’en­sei­gnant sera aussi relayée sur les antennes, dans les jour­naux, en paral­lèle de l’a­na­lyse du crime qui dont a été vic­time ce pro­fes­seur d’histoire-géographie ».

Propos recueillis par Séverine Cattiaux 

Séverine Cattiaux

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